Atlantis est né des cendres de Frumpy. Un précédent groupe teuton déjà auréolé d'une très bonne réputation. Une troupe créé en 1969 qui s'articulait autour du claviériste et saxophoniste Jean-Jacques Kravetz et de la chanteuse Inga Rumpf.
Cette dernière s'initie à la scène en passant par divers groupes de Blues et de Folk, avant de se fixer en 1965, à dix-neuf ans, avec The City Preachers. Un groupe de folk à géométrie variable qui va progressivement injecter parcimonieusement du Rock dans sa musique.
Le parisien Jean-Jacques Kravetz quitte le groupe de Michel Polnareff pour rejoindre à Hambourg celle dont il s'est épris. C'est dans la ville du premier port allemand et seizième länder, qu'en 1968, il intègre The City Preachers.
La même année, Rumpf fait une petite incursion remarquée dans la variété avec la chanson "Schade um die Tränen" - connue en France sous le titre "Sèche vite tes larmes" interprétée par Dalida ... -. Bien certainement une parenthèse générée par un manager et/ou un besoin financier, car, l'année suivante c'est la mutinerie, au sein des City Preachers, car la majorité des membres en ont un peu marre du Folk et souhaitent épouser des sonorités nettement plus électriques.
Le groupe éclate et Jean-Jacques, Inga et le bassiste Karl-Heinz Schott forment prestement Frumpy. Un très bon groupe de Heavy-soul rock psychédélique. La formation part à l'assaut des salles européennes (avec des incursions ponctuelles en France) et réalise trois albums studio (qui jouissent encore aujourd'hui d'une assez bonne réputation) en seulement deux ans. Leur premier essai est exempt de guitare, - à l'exception des deux dernières chansons lacérées de slide (1) -, Jean-Jacques abattant un travail de titan avec son Mellotron et son Hammond couplé à un système Leslie, très bien soutenu par la basse puissante de Schott.
Malheureusement, bien que manifestement débordant d'énergie et en perpétuelle évolution, Frumpy se disloque courant 72. Un double-live, simplement titré "Live", est mis en vente après coup, en 1973. Pour beaucoup, il demeure la meilleure réalisation du groupe.
Jean-Jacques, Inga et Karl-Heinz - apparemment pas épuisés le moins du monde, rebondissent et montent la même année une nouvelle troupe. Ils recrutent deux musiciens expérimentés : Frank Diez, peut-être le premier guitariste professionnel teuton de Blues, qui aurait d'ailleurs été le seul du pays à avoir joué avec Hendrix et Chuck Berry ; et Curt Cress à la batterie.
Inga, alors passionnée par la légende de l'Atlantide, baptise cette nouvelle aventure Atlantis.
Sans surprise, le groupe est dans la continuité de Frumpy, le psychédélisme en moins. Bien qu'assimilé au mouvement Krautrock, à l'exception du premier et éponyme album, plus orienté Rock-progressif (avec une bonne dose de Soul insufflée par le chant), les disques s'évertuent plutôt à brasser indifféremment Blues-rock, Soul, funk et Heavy-rock, avec quelquefois une once de Jazz-rock (par quelques soli de guitare).
L'entreprise est instable et c'est la valse des entrées et sorties, générant forcément quelques différences entre les albums. Ainsi, à partir du second essai, "It's Getting Better !", le Rock progressif devient donc un vague souvenir, occulté par la Soul qui s'impose et des sonorités funky qui s'immiscent. Cela sans se désolidariser d'un indéfectible fond Heavy-rock. Une fois n'est pas coutume, mais même la presse Anglaise s'entiche de cette formation qu'elle juge si bonne qu'elle pourrait être assimilée à la scène anglo-saxonne.
Les rythmes et les résonances afro-américaines s'affirment plus profondément encore sur "Ooh, Baby" (1974), avec toujours le Rock'n'Roll collé à la peau. Cependant, si les changements de personnel entraînent inévitablement des chambardements, Rumpf pousse pour intégrer plus de Soul et de Funk. L'excellente production de Dieter Dierks (1), qui donne force et clarté à cet album, est un sérieux coup de pouce propulsant le quintet au niveau supérieur. Après de précédentes tournées en tant qu'ouvreur, Atlantis parvient à s'offrir une tournée au Royaume-Uni. Puis, ce sont les Etats-Unis en première partie de Lynyrd Skynyrd et d'Aerosmith.
"Get On Boards" (1975) marque le pas, perdant en fraîcheur et en pureté. Un poil policé (avec notamment un "Tried to Climb a Mountain" digne d'une pièce mielleuse des Bee Gees ; d'ailleurs placé en fin de disque comme un acte honteux), il trahit une certaine compromission pour élargir son auditoire. L'album n'est pas inintéressant pour autant, bien qu'il s'avère le moins attrayant - après l'insipide et standardisé" "Top Of The Bill" (1976) constitué d'inédits et sorti après la séparation du groupe -. L'absence de Jean-Jacques, parti pour Randy Pie pendant l'enregistrement du précédent album, y est peut-être pour quelque chose.
Néanmoins, quoi qu'on pense de leurs albums studio, musiciens, public et presse reconnaissent unanimement qu'Atlantis est un groupe de scène. En conséquence, c'est en live qu'il s'apprécie à sa juste valeur. Ainsi, pour confirmation, il reste ce double, sobrement baptisé "Live", sorti en 1975, parfois appelé "Live At The Fabrik".
De la formation originale, seuls demeurent Inga Rumpf et Karl-Heinz Schott. Alex Conti, ex-Curly Cuve, à la guitare, Ringo Funk ex-Jeronimo, à la batterie et Adrian M. Askew aux claviers complètent la nouvelle mouture. Si on peut regretter l'absence de Jean-Jacques, voire de Diez - Conti étant à quelques occasions un tantinet brouillon et trébuchant dans ses soli - l'intérêt de cet enregistrement est indéniable. Suffisamment pour être admis dans le temple sacré des fameux "live" de cette décennie, ô combien porteuse d'enregistrements d'une trempe devenue depuis exceptionnelle.
Le concert débute en douceur, sur du funk épais, comme un tapis dense pour inviter Inga à poser sa voix fêlée. Une fascinante panthère, fière et conquérante, consciente de son pouvoir hypnotique. Un commencement en souplesse, le groove à l'honneur, avec les hits "Friends", "Ooh Baby" et "It's Getting Better", temporisé par le Blues "Somewhere". Atlantis ouvre un portail reliant Hamburg aux quartiers chauds de Harlem.
La température augmente progressivement. Après la soul-bluesy - balafrée par un solo lumineux à la BB King de Conti - avec "Waiting and Longing", "Brother" entreprend de faire chauffer les amplis. La Soul n'est plus vraiment festive mais plutôt revendicatrice, militante. Elle provoque aussi, d'un air concupiscent, le Heavy-rock. La frappe de Ringo devient plus lourde, Askew imite Graig Frost, et Conti lâche un solo épineux, sale et passablement saturé. "Rock'n'Roll Preacher" piétine les plates bandes des Faces, faisant passer Rod the mod pour un pochard en manque de voix (ou presque). La tension monte, les sangs s'échauffent et le cœur prend l'ascendant sur la tête.
"New-York City", jolie chanson appuyée et enjouée à la manière de Steppenwolf, calme un peu les ardeurs avant que "Mr. Bigshot" ne défie James Brown sur son terrain, celui d'un funk torride, bravache et viril.
Première reprise avec "Mainline Florida" qui fait la rupture avec les rythmes black. Une version plus hérissée et emportée que celle d'Eric Clapton. Désormais, le groupe se vautre dans une marre boueuse de bruits blancs, de Rock'n'roll et de sueur, dont il ne sort, qu’exsangue, pour le final. Avec un "Leave It To The Devil" un peu expédié, hésitant entre flirter avec le Funk et s'offrir à nouveau au Rock'n'Roll.
Entre-temps, "Godfather", "Going To The Country" (récupéré de Frumpy) et la scie "Rock Me Baby" (seconde et dernière reprise) ont mis le feu à la Fabrik.
A l'écoute de ces deux galettes, on comprend l'engouement de la presse et du public pour les prestations de ce quintet germain. Les titres sont magnifiés, ils gagnent en consistance et en chaleur. La bande est soudée, ne faisant qu'un seul bloc, même dans lors des mouvements relativement complexes, pour soutenir la féline Inga Rumpf. Figure féminine héroïque de son pays, extirpant du fond de ses poumons, ou expulsant de sa gorge traumatisée, des râles d'extases, des feulements de contentement et des grognements dominateurs. Parfois, elle devient plus virile, plus forte et affermie que nombre de ses pairs masculins.
Si la bande est manifestement un groupe solide, compétent, groovy et/ou Rock'n'roll, c'est la voix joliment éraillée d'Inga qui fait toute la différence. Une voix profonde, habitée, sûre, dominatrice, absolue. La voix d'une guerrière, d'un chef de clan, imposant sa volonté. Les Lagherta, Daenerys et autres Cersei, elle n'en fait qu'une bouchée.
(1) De la slide jouée par Inga Rumpf ? Sachant qu'elle joue de la guitare depuis l'adolescence et qu'elle se produira à nouveau sur scène dès l'après Atlantis, faisant preuve d'une bonne maîtrise en rythmique et ... en slide.
(1) Dieter Dierks qui ne va pas tarder à se faire une réputation internationale grâce à son travail pour Scorpions. Il reste le producteur attitré d'Atlantis jusqu'à son dernier râle, en 1976.
🌋🌊
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