LE SOUFFLE RUSSE : UNE SYMPHONIE DU DESTIN
- SONIA : Oh, mais tu abuses, Diablotin, M'sieur Toon nous avait déjà
présenté cette symphonie dans ces pages, si je ne m’abuse !
- DIABLOTIN : Sonia, double-buse si je puis me permettre, c’était il y a
longtemps déjà, en 2012, et mon approche est un peu différente : je te
propose de réentendre cette très belle symphonie un peu à la manière dont
le grand-public occidental la découvrit, dans les années 50. Sois curieuse
et tout ouïe !
Composée durant une grande partie de l’année 1877 et créée en
1878, la quatrième symphonie de
Piotr Tchaïkovski
- 1840-1893 - est la première de ses « grandes » symphonies, les
trois premières étant nettement moins populaires et jouées.
Elle est parcourue d’un motif de trompettes récurrent, qui ouvre l’œuvre
et revient régulièrement, que le compositeur décrit comme évoquant le
« fatum », à savoir « un lent poison de l’âme, une force du
destin qui nous empêche de trouver le bonheur ».
La version de
Ferenc Fricsay, proposée ici, a été enregistrée avec son orchestre de la
RIAS
-
orchestre radio-symphonique
en secteur américain - de Berlin, les 9 et 10 septembre 1952, mais ne
sortit chez
Deutsche Grammophon qu'en
1955. Il s’agit bien évidemment d’un enregistrement
monophonique.
De nos jours, cette version est à peu près unanimement louée par l’ensemble
de la critique internationale comme l’une des "versions de référence" de
l’œuvre, au moins selon une approche occidentale, par opposition aux
interprétations russes. On apprécie en particulier la qualité du jeu de
l’orchestre, l’engagement maîtrisé du chef et la hauteur de vue de son
discours. Un seul critique mentionne, sans la regretter, une gestion un peu
trop libre des tempi.
Etonnamment, donc, il apparaît qu’il n’en fut pas du tout de même lors de
la sortie de l’album, qui ne reçut qu’un accueil mitigé, à la fois pour des
questions de confort d’écoute, mais également en raison d’une interprétation
globalement peu appréciée.
D’une part, donc, la première face proposait le premier mouvement en entier
et la moitié du deuxième : il fallait ensuite tourner le disque pour écouter
la fin du deuxième mouvement et les deux suivants. D’autre part, la prise de
son semblait un peu dure et compacte aux oreilles de l’époque. Le
remastering actuel semble avoir bien résolu cet aspect des choses, et la
prise de son, si elle reste claire, est assez équilibrée, malgré une légère
surexposition des cuivres, qui, dans le contexte de l’œuvre, ne constitue
pas un contresens.
En ce qui concerne l’interprétation, si la qualité de l’orchestre et celle
du jeu d’ensemble furent reconnues dès la sortie du disque, on reprocha à
FRICSAY d’offrir une vision un peu trop clinquante, trop proche de la
musique militaire, avec notamment des cuivres trop en avant et pas toujours
très beaux. De même, les ruptures de tempo trop libres lui furent
reprochées, et celui du premier mouvement fut jugé trop précipité, la
gestion des climax étant décrite comme insuffisamment maîtrisée.
Cette évolution de l’appréciation d’une interprétation est intéressante et
somme toute naturelle, les habitudes d’écoute ayant évolué en même temps que
l’histoire de l’enregistrement sonore. Dans les années 1950,
Toscanini
et une "approche objective" des partitions étaient érigés en valeur absolue.
Fricsay, grand amateur de
Toscanini, mais également de
Furtwängler
eut malheureusement assez peu de chance de son vivant : fleuron de la marque
Deutsche Grammophon durant une
grande partie des années 50, la majorité de ses enregistrements est gravée
en monophonie, malgré un orchestre très radiogénique. Confronté à une grave
maladie à la fin de la décennie, il enregistra beaucoup moins - mais en
stéréo -, et dans une optique beaucoup plus idiosyncrasique.
Surtout, dès 1959,
Herbert Von Karajan
signa son retour sur le label jaune - il avait déjà enregistré pour lui
entre 1938 et 1942 -, tout auréolé d’un prestige de "gros
vendeur de disques" - il avait bâti, durant toutes les années 50, une énorme
discographie chez EMI, avec le
Philharmonia Orchestra
puis le
Philharmonique de Berlin – et hérité du titre de "General Musikdirektor Europas".
Les disques de
Friscay
furent donc rapidement relégués en séries économiques, avant de rejoindre le
catalogue des suppressions : il est bon de savoir que ce catalogue exista
vraiment; en effet, tous les mois, la liste des disques supprimés était
publiée. Ce n’est qu’à la fin des années 70 qu’il fut en quelque sorte
«redécouvert», avant d’acquérir une nouvelle popularité depuis la fin des
années 80.
Ainsi, en 1955, la version occidentale la plus largement recommandée
était celle de l’encore jeune
Herbert Von Karajan, enregistrée avec le
Philharmonia Orchestra
en juillet 1953 - une main de fer dans un gant de velours -, et parue
chez EMI. Celle de
Wilhelm Furtwängler
était citée régulièrement comme bonne version. Les deux, en tout cas,
étaient largement préférées à celle de
Fricsay.
L’année suivante, l’Occident, par le biais de l’éditeur au label jaune
découvrait la première version russe : le disque de
Kurt Sanderling, à la tête de l’Orchestre philharmonique de Leningrad, préféré à
Mravinski
déjà présenté par Maître Toon pour l’occasion, était en effet disponible
dans les bacs.
DIABLOTIN : Alors, Sonia, convaincue ?
SONIA : Mmmouiiiiii ! C’est un éclairage différent, en effet !
DIABLOTIN : J’ai encore une surprise pour toi : regarde ! C’est une
« Consolette » de marque EAR : c’est avec ce genre
d’appareil-combiné, qui commençait à se répandre dans les foyers, qu’on
écoutait des disques ! En 1955, l’engin coûtait l’équivalent de 40£, une
belle somme pour l’époque ! Le look « suédois » commençait à
être apprécié dans nos contrées.
SONIA : Moi aussi, j’ai des meubles suédois, mais ils sont beaucoup plus
« jeunes et modernes » !
PIOTR TCHAÏKOVSKY
SYMPHONIE N°4, EN FA MINEUR
CRÉATION :
MOSCOU, 10 FÉVRIER 1878
1. ANDANTE SOSTENUTO -
MODERATO CON ANIMA
2. ANDANTINO EN MODO DI
CANZONA
3. SCHERZO. PIZZICATO OSTINATO
4. FINALE. ALLEGRO CON FUOCO
ORCHESTRE RIAS BERLIN
FERENC FRICSAY
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ALLER PLUS LOIN
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Herbert Von Karajan. Philharmonia Orchestra, juillet 1953 -
EMI/Columbia. La version la plus fréquemment recommandée comme
premier choix dans les années 50.
·
Kurt Sanderling. Orchestre philharmonique de Leningrad. 1956 -
Deutsche Grammophon. La première version russe facilement accessible
sur le marché occidental
·
Wilhelm Furtwängler. Orchestre philharmonique de Vienne, 1951 -
EMI.
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Nota : pour les gourmands de cette symphonie, la version de Evgeny Mravinsky
peut-être écoutée sur l'article de maître Toon
(Clic)
Après avoir écouté trois versions de la Pathétique avec le plus grand bonheur et une émotion encore plus grande dans sa version live de 1960 par ce génie, Fricsay est pour moi le chef absolu. Sans parler de sa 9eme de Beethoven, de ses Mozart, Bartock, entre autres joyaux absolus . La liste serait longue.
RépondreSupprimerOui et mort bien jeune. Une chronique sur son interprétation de la Messe e Ut de Mozart avec Maria Staeder est prévue...
RépondreSupprimerIl y a une chronique à propos du Concerto de Bartok N°1 Anda-Fricsay : http://ledeblocnot.blogspot.com/2018/12/bartok-concerto-pour-piano-n1-1927.html