vendredi 14 février 2020

KIRK DOUGLAS (1916-2020) RIP par Luc B.


103 ans aux prunes ! La vache, le mec aura été hors normes jusqu’au bout ! 1916-2020. Avec ce qu’il a bu et clopé, pas sûr que le Ministère de la santé en fasse son égérie ! Tous les médias ont parlé du décès de Kirk Douglas, on a même vu des nécros sur le web où on lisait : mort le xx/xx/xxxx, genre le truc était pondu d’avance, mais ces charognes n’avaient même pas eu la décence de relire et compléter leur papier virtuel avant de cliquer sur envoyer… Bande de cons.
Je ne vais pas passer en revue toute sa carrière, tout a été dit ailleurs, mais vous pensez bien que le Déblocnot ne pouvait pas faire l’impasse sur cette immense figure d’Hollywood. Parce que moi, ça me replonge dans les années où ma chevelure encore bien fournie était noire de jais, des moments d’émerveillement quand je découvrais éberlué dans d’obscures salles du Quartier Latin LA CAPTIVE AUX YEUX CLAIRS (Howard Hawks, 1952, quelle beauté !), quand je lisais son autobiographie LE FILS DU CHIFFONNIER qu’il avait écrite avant la mode des bios sur papier (vous avez maintenant des gugusses qui après deux téléfilms ou un seul disque nous pondent ma vie mon oeuvre), ou quand je découvrais le rôle qu’il a pu jouer dans la carrière de Stanley Kubrick.
Et je ne suis pas peu fier de vous dire que parmi des DVD achetés à 1 euro, des Films Noirs, se trouvait L’EMPRISE DU CRIME (Lewis Mileston, 1946) son premier rôle au cinéma, à déjà 30 ans, sur recommandation de son amie Lauren Bacall, croisée sur les planches. C’est à cette occasion que le producteur Hal Wallis lui fit changer de nom. C’est sûr que Issur Danielovitch Demsky, sur une affiche, ça pète moins que Kirk Douglas !
Déjà le pseudo claque comme un coup de fouet, et si vous rajoutez la gueule exceptionnelle du gars, le talent et la niaque qui vont avec, vous obtenez une star. Vous vous souvenez de son passage à la télé française, chez Pivot ? Il y parlait parfaitement français (marié à la belge Anne Buydens, 100 ans aux miches !) et répondait à ce triste sire de Jacques Séguéla qui dissertait sur la différence entre star et vedette : « Mais vous êtes qui, vous, pour dire que Kirk Douglas n’est pas une star ?! ». Il était né pauvre, chétif et juif. Tout ce qu’il faut pour réussir dans la vie. D’où cette soif de revanche, et son amitié pour Tony Curtis, né Bernard Schwartz, au parcours identique.
J’ai trois acteurs dans mon panthéon hollywoodien : James Stewart, Burt Lancaster et Kirk Douglas. Les deux derniers étaient amis, ils ont tourné 6 ou 7 films ensemble, L’HOMME AUX ABOIS (1948) marque leur rencontre, mais on se souvient évidemment de REGLEMENT DE COMPTE A OK CORRAL (John Sturges, 1957) et des diffusions télé le dimanche après-midi avant que le bétonneur Bouygues mette la main sur la première chaine française. C’est sans doute dans ce western efficacement charpenté - mais LE DERNIER TRAIN POUR GUN HILL du même réalisateur n’est pas mal non plus - que j’ai découvert Kirk Douglas, tenant le rôle du tuberculeux et alcoolique Doc Holliday.
Car Kirk Douglas, malgré cette image de vaillant héros intrépide aux dents admirablement blanchies, a souvent endossé des rôles d’éclopés de la vie, et de salauds notoires. Je citerai deux chefs d’œuvres dans sa filmographie : LE GOUFFRE AUX CHIMÈRES (Billy Wilder, 1951) où il interprète un journaliste arriviste de la pire espèce, 70 ans plus tard d’une actualité encore brulante. Et LES ENSORCELÉS (Vincente Minnelli, 1953) drame savamment construit en flash-back sur les milieux du cinéma (comment un tel film aussi cynique a pu voir le jour ?). Minnelli sous la direction duquel il tourne LA VIE PASSIONNÉE DE VINCENT VAN GOGH (1956), tellement investi dans son rôle qu’il déclarait : « je me réveillais le matin pour vérifier que mon oreille était toujours là ». Kirk Douglas n’a jamais été adepte de l’Actor Studio, chère à Brando, Newman ou Pacino.
Dans la catégorie western, j’ai un faible pour L’HOMME QUI N’A PAS D’ETOILE (King Vidor, 1955) ou l’excellent et méconnu LA RIVIÈRE DE NOS AMOURS (André de Toth, 1955) dont Kirk Douglas était aussi producteur.
A partir de là, il faut que je vous explique un truc. Dans les années 50, un certain nombre de réalisateurs ou acteurs en avaient marre des diktats des Studios, du genre soit beau et tais-toi. T’es salarié, on te paie une fortune, tu fais le job et tu la fermes. Apparait donc une génération d’acteurs/producteurs. Ca veut dire quoi ? Qu’un acteur monte une structure financière sur ses gains acquis, sa renommée, achète les droits de tel roman ou scénario, et les développe. Bref, devient le patron, comme un Alain Delon en France, s’opposant à la notion d’auteur. Les Studios continuent de distribuer les films (s’ils croient au potentiel commercial) mais n’en sont plus à l’origine. Le producteur devient prestataire de service, des gars comme Jack Nicholson ou Warren Beatty feront la même chose dans les 70’s.
Kirk Douglas monte sa boite, Byrna, du prénom de sa mère, et développe ses propres projets. C’est ainsi qu’il repère un jeune metteur en scène, Stanley Kubrick, qui vient de sortir ce joyau de Film Noir L’ULTIME RAZZIA (THE KILLING, 1956). Leur première collaboration sera LES SENTIERS DE LA GLOIRE (1957) sur lequel il est inutile de revenir, film majeur, les mots nous manquent... Sous contrat, Kubrick accepte de reprendre au débotté le tournage de la super production SPARTACUS (1960) dont le premier réalisateur Anthony Mann avait été viré. Douglas impose au générique le nom du scénariste de Dalton Trumbo, inscrit sur la liste noire de Joseph McCarthy, le sénateur qui pourchassait les communistes ou prétendus tels. Acte politique, qui fit grand bruit. La suite on la connait. Les deux hommes ne s’apprécient guère, Kubrick fulmine de n’être qu’un faire-valoir aux ordres du producteur/star tout puissant, Douglas le libère de ses obligations, Kubrick se barre à Londres. Merci Kirk !
Suivent des films à la fois à grand spectacle comme LES VICKINGS (Richard Fleisher, 1958) où il apparait borgne, fourbe et violent (avec Tony Curtis et Ernest Borgnine) et le superbe SEULS SONT LES INDOMPTÉS (David Miller, 1962) dont Kirk Douglas a visiblement dirigé plusieurs scènes, drame en noir et blanc et scope fantastique, sur un cowboy paumé dans le nouveau monde dans années 60, son film préféré, le plus personnel, il y est incroyable. Kirk Douglas n’a cessé d’engager sa notoriété dans des films à la fois grand public et personnels, la marque des grands.
Il a croisé les caméras de John Huston, Otto Premimger, Frankenheimer (le très politique SEPT JOURS EN MAI, avec Burt Lancaster et Ava Gardner) et bien sûr de Mankiewicz dans l’éblouissant CHAINES CONJUGALES (1949) marivaudage satirique de haute volée, puis dans LE REPTILE (1970) western sarcastique où il joue avec Henry Fonda. En 1969 il tourne l’étrange et dérangeant L’ARRANGEMENT réalisé par Elia Kazan (le même qui avait dénoncé ses p’tits copains gauchistes à la commission McCarthy, preuve que Douglas savait faire la part des choses, entre le bonhomme et l’artiste, à méditer encore aujourd’hui…) on le voit même dans FURIE (1978) du jeune Brian de Palma, et dans NIMITZ, RETOUR VERS L'ENFER (1980) du tâcheron Don Taylor, là encore des souvenirs émus de diffusion télé.  
Kirk Douglas s’était essayé à la mise en scène, SCALAWAG (1973, en V.O. LE TRESOR DE BOX CANYON d’après RL Stevenson) et LA BRIGADE DU TEXAS (1975) : des flops commerciaux retentissants.
La suite n’a que peu d’importance, il s’amuse avec son pote Burt Lancaster dans l’oubliable COUP DOUBLE (1986), mais sa renommée était faite. Acteur très engagé politiquement et socialement jusqu’au bout (relire sa diatribe anti-Trump), il avait gardé toute sa tête malgré une attaque cérébrale qui le prive de sa bonne élocution en 1996, et son apparence de vieillard momifié à coups de bistouris – mais pourquoi, bon dieu, pourquoi ?! Ce mec était un immense acteur, qui vous crucifiait de son regard tantôt pétillant ou acéré, froid comme l’acier, une lame de couteau, mâchoire en béton, sourire carnassier et venimeux, une gueule et une voix, celle de Roger Rudel en français, car c’est bien avec ce timbre si caractéristique qu’on l’a connu.
Impossible de tout dire, tout raconter, je ne vous ai parlé que des films que je connais, que j’ai vus, aimés, liste sélective, vous pouvez piocher dedans, c’est cadeau !
Allez Sonia, passez-moi mon glaive en carton, ma jupette, et aidez-moi à monter sur le bureau, ah putain mon dos... Bruno ! Claude, aidez-la ! Pour crier une dernière fois :  « I’m Spartacus ! »    

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