Keef Hartley a été pendant quelques années un batteur renommé dans la communauté des musiciens britanniques. Suffisamment pour qu'il puisse se permettre de monter un groupe sous son propre nom. Fait plus fréquent pour un chanteur ou un guitariste occupant normalement le devant de la scène et les projecteurs, que pour un batteur généralement posté en retrait et caché par son kit de batterie. Et fait amusant, mais plus l'ego du batteur est important, plus son kit est impressionnant et fourni, et plus il est difficile de l'apercevoir.
Son premier fait d'armes connu est celui d'avoir pris, dans le courant de l'année 1962, à Liverpool, la place vacante de Richard Starkey au sein de Rory Storm And The Hurricanes. Ensuite, lorsqu'il part pour Londres, celui de rallier The Artwoods ; groupe surtout connu grâce à la présence de Jon Lord.
Démarché par John Mayall, il accède à une exposition plus conséquente en rejoignant les Bluesbreakers en juin 1967. La formation comporte alors un autre très jeune talent : Mick Taylor. Avec Mayall, il participe à deux disques passés à la postérité : "Crusade" et "The Blues Alone".
En désaccord avec Mayall sur certains points, il claque la porte en avril 1968 (on le retrouve sur un titre de "Bare Wires" enregistré en avril 68). Toutefois, Hartley et Mayall se rabibochent et resteront amis pour toujours.
C'est le point de départ de ce qui restera l'apogée de ce musicien, aujourd'hui disparu. A vingt-quatre ans, il fonde un groupe portant son nom, le Keef HARTLEY Band, pour lequel il rameute des musiciens de talent dont certains vont durablement s'implanter dans le paysage musical Anglais. Voire bien au-delà, si l'on tient compte de la première mouture où se trouvait deux jeunots partageant le même prénom, Paul. Il s'agit de Kossof et de Rodgers, futurs fondateurs d'un groupe fondamental, Free.
Le bassiste, d'origine Néo-zélandaise, n'est autre que Gary Thain. L'un des grands bassistes rock des années 70, qui rejoindra plus tard Uriah-Heep, avec qui il restera jusqu'à un profond épuisement qu'il ne parviendra jamais à surmonter (1).
Hartley, Kossof, Rodgers & Thain : une dream team ! Trois morceaux sont enregistrés et envoyés à Chess Records (le fiston, Marshall, cherchait à relancer la boîte familiale en élargissant le catalogue en démarchant un groupe de British-blues - avant de simplement se retourner vers ses propres artistes, et d'insérer divers arrangements psychédéliques à leur musique -). Il n'y eut jamais de retour et ces morceaux restent à ce jour inédits.
Finalement, Keef se retourne vers un jeune Écossais qui a fait ses classes avec Ian Hunter : Miller Anderson.
Ce dernier est une réelle valeur ajoutée. En plus d'être un guitariste solide, il possède une voix chaude et autoritaire, à la fois forte et distinctive ; avec un petit grain de rugosité suffisant pour lui ouvrir les portes du Blues et du Rock.
Par ailleurs, Hartley se singularise par son attrait et sa passion pour la culture et l'histoire Amérindienne, qu'il affiche en arborant diverses étoffes et ornementations typées. Ce qui rejaillit également sur la présentation de tous ses disques à venir - à l'exception du live -.
Le Keef Hartley Band enregistre en 1968 un premier disque (sorti en 1969), "Halfbreed", qui n'a pas à rougir devant des œuvres de British-blues bien plus renommées. En dépit du nom du groupe -de la même façon qu'avec le Aynsley Dunbar Retaliation (⇨ lien) - bien que leader, le batteur n'est pas aveuglé par son ego et se contient pour rester au service de la musique, n'ayant aucun a priori à mettre en lumière ses collègues. Ainsi, avec Aynsley Dunbar Retaliation, c'est Victor Brox, ici c'est Miller Anderson, dont l'importance aurait pu leur permettre de prendre les rênes et de modifier le nom du groupe à leur profit.
Un second 33-tours, "The Battle of North West Six", sort dans la foulée. Malheureusement, ce disque trahit un manque évident d'inspiration, et porte la marque de séances bâclées. Le groupe y est méconnaissable avec un mixage aléatoire pénalisant notablement Miller Anderson qui semble alors mis un peu à l'écart, avec un chant en retrait. Une grossière erreur tant son chant émotionnel apporte une densité et une dimension qui ont souvent fait défaut à nombre de jeunes groupes de l'époque. Il ne semble aussi plus participer aux compositions. (un élan passager de jalousie ?)
L'année suivante, le groupe se ressaisit et resserre les rangs. A la place de différents intervenants extérieurs pour les cuivres, il a pris la décision de créer une solide section de cuivres qui va se souder au noyau dur (Hartley-Anderson-Thain). Lyle Jenkins (Saxophone baryton et ténor, flûte) et Dave Caswell (Trompette, tuba et bugle) sont partie intégrante de la formation et sont bien présents sur scène (on les retrouve sur le "Live at Aachen Open Air Festival 1970", exhumé en 2014). Ce dernier assure aussi les claviers (piano électrique).
Pour la première fois, c'est bien la troupe qui officie sur scène que l'on retrouve sur disque. Avec pour conséquence une belle cohésion en dépit d'une orchestration relativement riche.
Finies aussi les compositions à trois ou quatre mains avec du personnel extérieur, cette fois-ci on a laissé les coudées franches à Miller Anderson. Le résultat est flagrant. Il sauve le groupe d'une déchéance précoce. Non seulement il lui permet de retrouver la verve et l'éclat du premier essai, mais il l'amène plus loin, amenant son British-blues à élargir sa vision. A tel point que cet album est parfois déroutant pour celui qui chercherait à le rattacher à un genre précis. Raison pour laquelle on le retrouve parfois catalogué dans le genre Progressif. Pourquoi pas. Cependant, il n'y a aucun lien avec l'école de Canterbury, encore moins avec les monstres sacrés que sont Pink Floyd, Yes ou Genesis. A la limite, parfois, on pourrait relever certains tronc commun avec Jethro Tull. Toutefois, il est vrai que "Morning Train", qui ouvre l'album, incite l'affiliation. Mais que penser alors de "From The Window" qui évoque le Chicago Transit Authority., dont le premier essai est sorti quelques mois auparavant. En fait, c'est trop rythmé, trop groovy, pour être vraiment assimilé au Rock-progressif. Du moins, à part entière.
La forte présence des cuivres, il est vrai parfois un peu jazzy, et quelques mouvements typés (étirés sur scène), lui ont également valu d'être affilié au mouvement Jazz-fusion.
Au fond, cette section de cuivres omniprésente, assez puissante et chantante, serait plutôt un moyen de marier le British-blues avec l'expression festive et un brin chatoyante de Blood, Sweat and Tears, voire du Chicago Transit Authority. L’exubérance et la prétention en moins. Avec leur vocabulaire copieusement nourri d'aérophones. Il y a d'ailleurs aussi quelques similitudes entre le timbre vocal de Terry Kath (de Chicago) et celui d'Anderson.
On peut aussi souligner deci-delà quelques émanations de latin rock (bien probablement inspiré de Santana).
En fouillant un peu, on découvre que le pont de "The Time Is Near ..." (la chanson) dérape vers la British Pop des 60's limite variétés.
En fouillant, car la majorité des morceaux recèlent des humeurs et des couleurs différentes ; ou plutôt des variations où l'on peut mettre plus en évidence le Blues, le Jazz ou la Soul.
Par ailleurs, il suffirait de retirer les cuivres de l'instrumental "Premonition" pour faire le lien avec les Doors. Et lorsque, toujours dans ce même morceau, la guitare se lance dans un chorus, on se tourne vers Paul Personne. Étonnant, non ?
Tandis que "Another Time, Another Place", où Miller se produit seul avec sa guitare acoustique et sa voix, (et l'intervention de la trompette de Caswell sur les deux derniers mouvements), lâche totalement le Blues pour embrasser un folk pur, proche d'un Townes Van Zandt.
L'album suivant, l'excellent "Overdog", le dernier avec Miller Anderson, change encore d'apparat, sans qu'il n'y ait le moindre doute quant à son auteur. C'est un peu l'osmose entre "Halfbreed" et le précédent.
(1) En septembre 1974, à Dallas (Texas), Gary Thain manque de peu de mourir sur scène en se faisant électrocuter pendant la prestation du groupe. Souffrant de brûlures, il reste hospitalisé pendant trois semaines, mais reprend tout de même la scène un mois après l'accident et enchaîne une tournée Anglaise coupée avec une Australienne. Il est bien conscient qu'il n'est pas en état et rentre en conflit avec Gerry Bron (manager et producteur du groupe, fondateur de Bronze Records) lui reprochant de faire passer avant tout les intérêts pécuniaires, au détriment de la santé du groupe sans cesse sur la route. Il considère aussi que le groupe stagne.
Épuisé, essayant de tromper sa dépression dans l'héroïne, il quitte la formation en janvier 75. Il en profite pour retourner à l'hôpital. Malheureusement, toujours affaibli par son électrocution, ainsi que par deux divorces en moins d'un an, il s'enfonce dans la drogue et décède le 8 décembre 1975 ; à 27 ans (bienvenue au club).
Est-ce que les dés étaient truqués avec le Keef Hartley Band, promu à rester dans l'ombre en dépit de ses qualités ? C'est à se demander sachant que le groupe avait participé au festival de Woodstock, juste avant la prestation de Santana Blues Band, mais sa prestation n'a pas été filmée (ou du moins retenue - pas convaincante ? -). Quand on connaît la retombée extraordinaire dont avait bénéficié Ten Years After à la projection de sa séquence, on ne peut que compatir sur ce coup du sort.
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Ca me rappelle un peu une période de Mike Bloomfield avec "Electric Flag" et Nick Gravenites, voire avec Al Kooper, qui incorporait des cuivres avec des relents de psychédélisme (mais pas de prog, c'était plus ancré dans le blues).
RépondreSupprimerMais oui ! Tu as raison ! Pourquoi n'y ais-je pas pensé, alors que j'adore ce disque ! Avec Mike Bloomfield et Nick Gravenites, et Buddy Miles! "A Long Time Comin'" !
SupprimerQui est d'ailleurs plus proche de ce "The Time is Near ..." que tout les Chicago (Transit) et Blood, Sweat & Tears de la Terre.
Bien joué, Luc.
J'avais la photo de la pochette en poster il y a ...longtemps Mais je connaissais mal ce groupe effectivement très bon
RépondreSupprimerSuperbe pochette. Aucune idée de l'origine : issue d'une photo authentique, ou bien "montage" pour la pochette ? Une récupération d'un quelconque film ?
SupprimerC'est l'époque des belles pochettes, dont certaines sont à ériger en tant qu'oeuvre d'art.
Aujourd'hui - étonnamment ? -, c'est vers les groupes de Stoner qu'il faut se tourner pour retrouver de belles réalisations qui accrochent l’œil. Et qui du coup éveillent la curiosité.
P.S. : Je n'sais pas, mais peut-être que la compta du blog pourrait racheter ce poster ?
C'était au siècle dernier... peut être encore au fond du grenier
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