mercredi 2 novembre 2011

AYNSLEY DUNBAR RETALIATION - 1968 - 1970 - (by Bruno)


     Aynsley Dunbar fait partie de ces forçats de la batterie qui se sont forgés une robuste réputation, à tel point que la présence de leur nom est un gage de qualité (pas toujours prouvé). Pour Aynsley, sa réputation s'est construite sur une longue et riche carrière, faite en jouant avec des groupes et des artistes mondialement connus, tels que Jeff Beck, John Mayall (il vient de participer à l'album Hard Road), Donovan, Eddie Boyd, Frank Zappa, John Lennon, Lou Reed, Bowie, Mick Ronson, Nils Lofgren, Journey, Ian Hunter, Sammy Hagar, Jefferson Starship, Whitesnake, Champion Jack Dupree, Pat Travers, Eric Burdon, Micheal Schenker, UFO, Leslie West. Jimi Hendrix hésita entre lui et Mitch Mitchell (Chas Chandler trancha pour Mitch, le look faisant la différence). 
     Pour ceux qui s'intéressent un tant soit peu aux musiciens, il est extrêmement difficile de passer à côté de ce nom. D'autant plus que sa carrière commence dans les années 60 pour finir au XXIème siècle. Premier album enregistré en 1963 (Stu James & the Mojos) et dernier en 2005 (Schenker – Pattison Summit : Endless Jam). 


     Après avoir enregistré avec Champion Jack Dupree et Eddie Boyd, et après avoir été membre des Bluesbreakers (l'album Hard Road) et vite remercié par John Mayall, Aynsley veut monter un groupe avec des musiciens de son choix. Ainsi, la première mouture du Aynsley Dunbar Retaliation se regroupe autour de Jack Bruce, Rod Stewart et Peter Green (!). Cette "Dream Team" aurait enregistré un titre ou deux. On peut d'ailleurs retrouver sur le net un extrait de cette formation éphémère (une version de "Stone Crazy" de 1967).
     La formation se concrétise autour donc de Victor Brox, de Jon Morshead (guitare & chant), d'Alex Dmochowski (basse), et de son leader, Dunbar (batterie).

     Toutefois, la vraie star de cette bande, c'est Victor Brox. Un musicien accompli, combinant, avec classe, les rôles de chanteur, guitariste, clavièriste, trompettiste, et, très accessoirement violoniste, nanti d'une solide culture musicale (et extra-musicale). Bien qu'il soit toujours en activité (en solo), à ce jour, son nom est tombé dans un anonymat complet, et ce, bien qu'il fut cité par Jimi Hendrix et Tina Turner comme leur chanteur de Blues-blanc préféré (excusez du peu !). 
Victor Brox travailla également pour Clapton, Dr John, Memphis Slim, Graham Bond, John Mayall, Alexis Korner, John Lee Hooker, Ian Gillan, et Charles Mingus. Il interprète le grand prêtre Caiaphas dans la comédie musicale « Jesus Christ Superstar » (1). Sa voix est profonde, sûre, expressive, puissante et maîtrisée ; une puissance couvant telle la braise, prête à mettre le feu dès que la brise se lève. Peut-être bien plus proche des icônes Américaines que ne l'ont jamais été les prétendants Anglais.
La guitare est assez typique des groupes de British-blues, très proche de Peter Green. Un pur son estampillé Gibson, sans fioritures, excepté de temps à autre, un habillage de réverbe ou d'une très légère saturation crunchie.
Quant au bassiste, (Fender Jazzbass), il suffit de savoir qu'il a joué avec Frank Zappa, Peter Green, Graham Bond, et John Mayall, pour comprendre que c'est loin d'être un manchot. 



      En 1968, premier album (sans titre). Sans réelle surprise de la part d'un batteur, le disque débute avec un titre qui est assis uniquement sur des percussions et la batterie, qui soutiennent le chant, et une mélodie sifflée (!). « Watch' n' Chain » dont le rythme du chant est pompé sur le « Chevrolet » de Ed & Lonnie Young où l'on retrouve d'ailleurs dans les paroles la phrase « I'll buy you a watch and chain » ; titre qui, à l'origine, proviendrait d'un chant traditionnel de prisonniers afro-américains. Un Blues aux ambiances Jazzy et Afro.
Ensuite vient un blues langoureux, soutenu par un saxophone (dont le timbre et le 
tempo m'évoque le générique de la série télé des 70's, « Les 5 dernières minutes »). Bien qu'étant de purs Blues, ces deux premières chansons sont nimbées d'une ambiance intimiste Soul-jazzy. Atmosphère que l'on retrouve quelque peu sur le langoureux « Double Leavin' ». 
Le reste est plus en accord avec le British-Blues de la fin des 60's, très marqué par le Chicago-blues, mais avec en plus ici une telle maîtrise que l'on penserait plus volontiers à des vieux briscards américains qu'à des jeunots anglais.
« Sage of Sidney street », est un instrumental dont la batterie et la basse (qui prend un solo tout en gardant le rythme) appliquent une dimension Jazzy.
En clôture, « Mutiny » qui comporte un bon mais trop long solo de batterie (d'environ 5 minutes), vient, hélas, gâcher l'excellente tenue de cet opus. Il fut un temps où les démonstrations de batterie étaient à la mode, notamment grâce à (ou à cause de) l'influence de certains musiciens jazz, dont Art Barkley.









1969, « Doctor Dunbar's Prescription ». Cette deuxième galette est moins aventureuse ; les ambiances jazzy sont délaissées au profit d'un Chicago-blues 60's plus conventionnel. Néanmoins, les solos de guitares ont gagné en expressivité et fluidité. On reste toujours proche de Peter Green, mais avec parfois une approche vers Freddie King plus marquée. ; comme pour « Call my woman » et « Low gear man », composés en s'inspirant ouvertement du Cannonball. Hormis les deux pièces précédentes, les titres qui se démarquent sont : « Fugitive », un Blues au riff répétitif (qui fut un hit en France !) ; « Till your lovin ' », un slow-blues intimiste où Brox sussure et la guitare chante sur un nappage d'orgue ; « Devil Drives », blues acoustique (où seul Brox officie ?) ; une reprise du « I Tried » de Larry Davis avec l'énergie d'un Elmore James ; et une version relevée du « Mean Old World » de Little Walter.





     A l'écoute de ces deux premiers disques, on peut se demander, si, du moins durant ces deux années, Aynsley Dunbar Retaliation n'était pas un des meilleurs groupes du British-blues.




     Malheureusement, « To Mum From Aynsley and the Boys », sorti également en 1969, marque un déclin aussi brusque qu'inattendu. Ce troisième opus, toujours dans une veine British Blues, et bien que produit par John Mayall, a perdu en consistance. Pourtant, "Don't Take The Power Away", tout en retenue, avec cette complainte à la trompette en toile de fond, laisse présager le meilleur pour la suite. Hélas, Victor Brox semble moins concerné, moins investi dans la musique. Le groupe paraît être en pleine confusion. Nombre de compositions se perdent dans des improvisations vaguement jazzy (Unheard en tête), ne sachant pas où le groupe veut en venir (le sait-il seulement ?). Parfois, cela donne même l'impression que chacun joue dans son coin, sans trop se soucier d'une réelle cohésion. L'embauche de Tommy Eyre (Joe Cocker, AHSB, Greg Lake, Wham!, Gary Moore) n'apporte pas grand chose. 
Pourquoi avoir sorti un troisième opus si vite alors que le groupe semble absent, vidé, plus concerné ?




« Remains to Be Heard » (1970) marque bien la scission au sein du groupe.
Déjà, plus de Tommy Eyre, Victor reprenant les claviers, pour une utilisation ramené au strict minimum. L'album débute par cinq bonnes compositions de groupe qui laissent penser que Aynsley Dunbar Retaliation a renoué avec la qualité des deux premiers. Or, cela se gâte dès "Keep Your Hands Out", titre bien moyen, et encore de façon plus marquée à partir de  "Sleepy Town Sister" (la seconde face). Aynsley y est absent (!?), et donc le jeu de batterie travaillé est remplacé par quelques discrètes et banales percussions. En fait la seconde face est réservée au couple Brox ; Victor et Annette, monsieur et madame. Madame Brox Annette est « invitée » à chanter. Et si l'amour est aveugle, il doit également être sourd, car madame est bien loin d'approcher le niveau de son mari. Si elle est bien en qualité de choriste, elle est à la limite du supportable en chanteuse lead. Sa voix est dénuée de profondeur, et parfois hors-temps. Du moins pour interpréter du Blues, car il semblerait, d'après son timbre et ses intonations, qu'elle soit plus adaptée au Rythm'n'Blues. 
De plus, les  compositions sont emprunt de suffisance, avec des arrangements qui font plus l'effet d'une expérience hasardeuse que d'un embellissement. Le meilleur exemple étant le dernier titre, Toga, avec son violon bien pénible.





     Désormais, les Brox sont maître à bord, mais sans équipage le bateau coule. C'est la (triste) fin d'Aynsley Dunbar Retaliation.
Étonnamment, sur la grande majorité des disques auxquelles elle a participée, son mari était présent...
Alors qu'il est indéniable que Brox soit la valeur ajoutée d'A.D.R., il apparaît évident qu'il en soit également le saboteur.

     Les rééditions remasterisées du département Blues de la maison de disque allemande SPV (Blue Label)  sont présentées sous forme de digipack comprenant deux CD. Un par album, évitant ainsi trop de compression et permettant de restituer une sonorité irréprochable (pouvant faire croire à des enregistrements des années 90), avec une belle dynamique qui rend hommage à tous les instruments, batterie et basse comprises. Deux doubles digipacks cossus comportant chacun un livret de 16 pages avec l'historique des musiciens.
Victor Brox (au 1er plan)


     Victor Brox, qui vit actuellement en France, lorsqu'il n'écrit pas un livre, ou encore lorsqu'il ne s'adonne pas à sa passion de l'archéologie, continue à se produire, seul, dans des petits clubs, ou en groupe avec le Victor Brox Blues Train. Parfois avec sa fille Kyla.

 
P.S. : Aynsley Dundar Retaliation avait réalisé un 45 t en 1967, qui comprenait « Warning ». Ce titre fut repris en 1970 par un groupe obscur originaire de Birmingham, avec un guitariste gaucher qui s'était confectionné deux prothèses pour continuer à jouer alors qu'il s'était sectionné les extrémités de deux phalanges de la main droite pendant son travail.

(1) Pour mémoire, le Christ était interprété par Ian Gillan, et Judas Iscariot par Murray Head.

Extrait du 1er opus :


Extrait de Doctor Dunbar's Prescrition


Le 45 tours "Warning"


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