- Waouh,
c'est glaçant cette musique frissonnante M'sieur Claude, musique de chambre à
l'évidence… Quatuor ? Schumann par ce côté dramatique ?
- Pas bête
Sonia… Non, Mendelssohn, mais oui, dramatique, une forme de requiem pour quatuor
et la dernière œuvre de ce compositeur…
- Requiem ?
Une commande ou un ouvrage dédié à un être cher ?
- La relation
entre Felix et sa sœur Fanny était fusionnelle… Or, elle meurt en 1847. Son
frère écrit son quatuor génial juste avant de suivre Fanny dans la tombe…
- Mon dieu,
c'est shakespearien ce drame… Une belle discographie disponible ?
- Oui, notamment
celle du quatuor Artémis, une publication récente de 2013… Espérons que la
vidéo YouTube va se maintenir…
Fanny Mendelssohn |
1847, en
février Felix Mendelssohn a eu 38 ans. Le petit gamin, génie dès ses douze ans,
est devenu l'un des compositeurs et maestros allemands les plus en vue. Il est directeur
musical du Gewandhaus de Leipzig depuis 1835.
À Berlin, depuis 1840, il anime la
vie musicale à l'invitation du roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV. Il s'est lié d'amitié avec Schumann,
dédicaçant un cahier de ses romances sans paroles à Clara (Clic). Il a
redécouvert Bach et a ressuscité ses Passions, tout en écrivant ses
propres oratorios
Paulus
et Élias.
D'esprit moderniste, il a définitivement contribué au lancement du Romantisme à
la suite de Beethoven et de Schubert dont il a créé la symphonie
"inachevée".
Il voyage sans cesse vers le Royaume-Unis, visite l'Écosse. Cela dit, bien
que s'étant converti au protestantisme, sa postérité sera ternie par l'antisémitisme de
l'époque… celui de Wagner qui lui doit pourtant
beaucoup, et évidement il sera interdit par les nazis. Je ne suis pas certain
que, boudé de 1847 à 1945, Mendelssohn
occupe la place qu'il mérite, celle de "Mozart
du XIXème siècle" pour citer son ami Schumann…
Né riche, virtuose et compositeur précoce, assez talentueux
et bosseur pour gérer à la fois sa carrière de musicien et de créateur, Mendelssohn travaille comme un fou,
s'épuise-t-il ?
C'est dingue la génétique ! Sa sœur ainée Fanny ne s'intéresse guère aux frivolités féminines
imposées par une société patriarcale et misogyne. Comme son jeune frère, elle
aussi compose très jeune et dispose de dons exceptionnels comme pianiste. Elle
composera pas moins de 250 lieder inspirés de Joseph von Eichendorff, Johann Wolfgang
von Goethe,
Heinrich
Heine et quelques autres poètes germaniques parmi les plus célèbres.
Felix et Fanny
s'adorent et leur passion musicale commune renforce cette grande complicité fraternelle.
Fanny organise des concerts pour son frère,
gère son carnet mondain dont des rencontres avec… Gounod,
Liszt, Clara
et Robert Schumann… De son côté Felix n'hésite pas à lui demander des
conseils pour ses compositions. Fanny
: une femme éclairée et avide de découverte ; hélas son catalogue ne sera pas
publié de son vivant…
Le 14 mai 1847,
elle succombe à une hémorragie cérébrale à seulement 41 ans. Fou de chagrin et
de rage, Felix compose rapidement son
6ème
quatuor surnommé parfois Requiem pour Fanny, œuvre de furie
qui contraste fortement avec le style plutôt optimiste propre au compositeur.
Fatigué, rongé par le deuil ou fragilité héréditaire,
il souffre de violents maux de tête en octobre 1847 soit 5 mois après la disparition de Fanny.
Un AVC emporte Felix Mendelssohn
à son tour le 5 novembre ! Il a 38 ans et nous lègue 321 œuvres dont nombre d'entre-elles sont de
premier plan.
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Felix Mendelssohn sur son lit de mort |
La tonalité sombre de Fa mineur domine la partition.
Il sera créé en privé chez Ignaz Moscheles
début octobre 1847 (Clic). La création officielle n'aura lieu
qu'après le décès de Mendelssohn en 1848, le 4 novembre - quasiment la date anniversaire de sa mort -
avec son ami Joseph Joachim comme premier violon.
Mendelssohn composera
encore un mouvement isolé de quatuor qui, avec trois autres pièces antérieures
écrites pour cette formation, sont réunis dans l'opus 81.
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Fondé en 1989,
le quatuor Artemis a la particularité de
changer souvent ses membres rompant avec la tradition historique des
engagements quasiment "à vie" comme les quatuors
Busch ou Alban Berg.
On pourrait craindre un manque de cohérence dans le jeu dû à un manque de complicité
dans la continuité. Il n'en est rien.
Il faut dire que l'ensemble a suivi la rude mais profitable
école des quatuors LaSalle, Berg, Juilliard
et Emerson.
Leur discographie comporte une excellente intégrale
des quatuors de Beethoven.
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Eckart Runge, violoncelle - Gregor Sigl &
Vineta Sareika, violons - Friedemann Weigle, alto |
1 - Allegro vivace assai :
L'introduction se révèle rageuse et désespérée. Un cri du violoncelle puis de
l'alto puis, à l'unisson, des quatre instruments. Un frisson enfiévré de trémolos
et de trilles de doubles croches déploie un premier motif hiératique, un jaillissement
furieux, un motif dont la dislocation fera songer à l'expression "la tête contre les
murs", la symbolique du deuil insupportable. Un court motif secondaire ff en forme de dialogue exprime la stupéfaction,
l'incompréhension face à une mort si brutale, si injuste. Ce groupe thématique
est repris mais avec des variantes. Pas de da capo académique, on lit encore ce
reproche sans fondement à propos de la maturité de Mendelssohn.
Un rude crescendo sur le premier motif furieux conduit à une nouvelle idée thématique
plus mélodieuse. [0:38] Est-ce l'évocation teintée d'amertume des souvenirs des
temps heureux ?
Jamais quatuor n'a atteint un tel degré de fébrilité
et de fureur par son écriture : ruptures de rythme, dissonances agressives, syncopes,
toute une alchimie sonore oppressée accompagnant une âme perdue dans son
chagrin. Un flot déchirant. Le discours risque de rompre sa logique à chaque
instant car gagné par la déraison causée par un déchirement inconsolable. [1:33]
Un premier développement à la fois scandé et articulé tente une réconciliation,
une acceptation du destin. En vain… [2:23] La réexposition nous conduit à un
étrange passage élégiaque [3:06]. Le violon s'impose alors dans le quatuor comme
témoin de la prostration du compositeur seul avec son angoisse face à son
manuscrit érigé en épitaphe. Tous les motifs seront récapitulés dans un
désordre (très organisé) révélant qu'à ce stade du deuil la colère l'emporte encore
sur la raison.
Le quatuor Artemis interprète sous amphétamine cette
dramaturgie, on pourrait dire avec férocité mais, et de là naît le miracle d'intelligence
et de virtuosité, sans aucun pathos…
Tombe de Fanny |
3- Adagio :
[11:34] Une mélopée dans laquelle domine le violon solo débute le mélancolique
adagio. Mélancolique, le mot est faible. Le temps s'est arrêté, la musique se
développe sans thème marqué, désincarnée. Cette absence volontaire de
construction déterministe s'apparente à un flot de songes, de souvenirs éthérés
qui s'entrecroisent. Peut-on parler de prière ? [15:40] Ce voyage dans les
limbes prend un ton déchirant lors de l'émergence d'un crescendo douloureux
conclu par un arpège descendant-montant du premier violon soutenu par
d'obsédantes trilles ff de ses trois
compagnons. Un court passage rythmé avec une transition en si majeur apporte
une lueur d'espoir fort ténue. La conclusion retrouve le climat de litanie, un de profundis qui ne peut aboutir qu'au silence…
4 - Finale
Allegro molto : [19:30] On pourrait attendre du final un peu de repos.
Non, les tensions marquées par les scansions frénétiques, les ruptures rythmiques
abruptes caractérisant l'allegro initial font leur retour. L'ambiguïté règne en
maître, celle de l'affrontement entre amertume et cynisme. Les traits cinglants
et douloureux ne laissent aucun espoir d'apaisement dans la coda. On pourra
même dans des interprétations moins contrôlées que celle-ci déplorer une forme
de dislocation morbide de la ligne mélodique. Dislocation ne veut pas dire
confusion.
Schubert ou Beethoven dans leurs derniers opus pour le
genre quatuor n'ont jamais atteint l'expression d'une telle désespérance. Écrite
comme un brasier expiatoire, ce quatuor demeure une œuvre fondatrice du quatuor
romantique, une oraison funèbre au lyrisme élégiaque.
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Fanny Mendelssohn est
l'auteure d'un quatuor
rarement joué et c'est dommage. Une œuvre toute en douceur, poétique, j'ose
dire empreinte de féminité. Un enregistrement sympathique, celui du label CPO qui comporte également deux quatuors
de compositrices du XIXème siècle : Emilie
Mayer (1821-1883) et Maddalena
Laura Sirmen (1745-1818). (Jaquette en
regard de la vidéo)
Face à la bacchanale tragique du quatuor
Artemis, on pourra apprécier la retenue du quatuor Artis qui a gravé une belle
intégrale de 1988 à 1989. (Accord –
6/6)
Grand cru plus enragé que les Artis,
également au sein d'une intégrale, par le quatuor
Cherubini, un discours nerveux, des timbres acidulés, une
réussite totale à rapprocher de leur intégrale en 2 CD des trois quatuors
et du quintette
de Schumann (EMI – 6/6)
Enfin, le quatuor Ebène
a gravé les quatuors
2 et 6 de Felix séparés par une
interprétation de celui de Fanny,
une excellente initiation à cet univers (ERATO
– 5/6)
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Peut-être le plus beau quatuor post-beethovénien écrit au XIXème siècle, en tout cas à mes oreilles... Et très loin de l'image que l'on se fait ordinairement de Mendelssohn, dont la musique est généralement un bel hommage à son prénom !
RépondreSupprimerSonia n'ose pas te le dire après la soufflante que tu lui as passée il y a quelque semaines, mais elle préfère largement ce quatuor à tous ceux de Chostakovich ;-) !
C'est sûr, Felix = joyeux ou Heureux en Latin, enfin je crois...
SupprimerMon dieu c'est quoi cette sombre affaire de soufflante ? Su quel article ? Moi qui suis un amour :o)))
Tss Tss est-ce une pique anti Chostakovitch... ??