

Regardez ce premier plan de Tom Joad marchant vers nous sur une
route déserte, un noir et blanc sublime, cadre aux lignes de forces
géométriques, et ces ombres des poteaux télégraphiques. La photo est signée
de Gregg Tolland, qui a travaillé pour Wyler, Hawks, Ford, Hitchcock et…
Welles. Le maitre des contrastes et de la profondeur de champ. Pour obtenir un tel axe de contre plongée, dans certains plans, il est certain que la caméra était placée sous la surface
du sol, donc creusé, avec la volonté de rendre l'image monumentale.
LES
RAISINS DE LA COLÈRE est l’adaptation du bouquin de Steinbeck, publié l’année
précédente, dont il ne reprend pas la fin, certaines scènes écrites ne pouvant
être filmées à cette époque, censure oblige, oh mon Dieu un sein de femme... Il y a donc le livre d’un côté, et le film de l’autre.
Ca tombe bien, on parle du film !

Ce
qu’on voit à l’écran est un flash back. C'est le vieux Mulley qui raconte. Il est resté chez lui, dans les décombres. John
Ford oppose ce récit filmé dans l’obscurité la plus sombre, juste à la lueur d'une
bougie (on se croirait dans un film néo-réaliste italien) aux larges plans d’ensemble
extérieurs baignés de soleil. On songe aussi à LA NUIT DE CHASSEUR (1955) de
Charles Laughton, dans cette photographie si contrastée que les arbres, les
granges, nous apparaissent en ombres chinoises.

Magnifique scène à la station-service, où le père Joad n’a que 10 cents à dépenser pour du pain, où la serveuse daignera sur injonction de son patron offrir deux sucre d’orge aux gamins. Sublime. « Les Okies ne doivent pas être humains, sinon ils ne supporteraient pas de vivre dans une telle misère ». Cette réplique résonne encore horriblement de nos jours, face aux phénomènes de migration.
La
famille Joad atterrit dans un camp de réfugiés. C’est pas Calais mais c’est
tout comme. John Ford place sa caméra sur le devant du camion. Plan en travelling subjectif, des images qui avaient été récupérées par Goebbels pour le compte de
la propagande nazie, censées illustrées l’état de décrépitude de l’impérialisme
occidental.

John
Ford, habituellement positionné politiquement très à droite, réalise un film
socialiste ! Un peuple uni. « Une seule âme pour tout le monde »
entend-on. Maxime marxiste !** Il filme un autre camp où la famille Joad va
atterrir, géré par le ministère de l’agriculture. Autrement dit, l’Etat. Qui
offre des salaires décents, mais aussi des sanitaires (adorable scène des
gamins qui voient un chiotte pour la première fois) et
une piste de bal. Dans presque tous les films de Ford, il y a un bal. Moment de
convivialité, la communauté, la danse, la musique, autour de laquelle chacun se
retrouve. Tom Joad y danse avec sa mère, magnifique Jane Darwell oscarisée pour
ce second rôle.
Le
dilemme de Tom Joad est de savoir s’il doit soutenir sa famille, ou soutenir la
cause, s’engager ou se faire discret. John Ford a surement
vu les photos de Dorothy Lange qui sillonnait les Etats Unis au temps de la
grande dépression, et s’en inspirer pour filmer avec une telle acuité le
destin tragique de ses personnages. Il n’y a pas une image, un plan qui soit de
trop, le cadrage juste, évident. Pour être certain que les Studios ne détériorent
pas ses films au montage (à cette époque, chaque étape de la production était
supervisée par des départements distincts, la notion de « final cut »
n’existait pas, sauf pour Welles, justement, et son CITIZEN KANE) John Ford
avait l’habitude de 1) faire un minimum de prises et de changements d'axe, pour limiter ensuite le choix des monteurs, 2) passer sa main devant l’objectif de la caméra dès qu’il
savait le plan abouti, rendant inutilisables les images qui suivaient.
La distribution est du tonnerre, Henri Fonda en tête, fidèle à cette époque du
réalisateur, qui donne toute sa grandeur et sa fragilité au personnage. On le voyait arriver
dans le premier plan, on le voit repartir dans le dernier, marchant vers un
avenir que l’on espère radieux, dans une image magnifique, à flanc de colline, avec
cette proportion d’image chère au réalisateur, 1/3 de terre, 2/3 de ciel, le "nombre d'or" cher aux peintres classiques.
Un
film magnifique, bouleversant, esthétiquement sublime, encore brûlant d’actualité,
universel, chaque peuple peut s’y retrouver. N’est-ce pas ce qu’on attend du cinéma ?
PS : si après ça vous voulez (ré)écouter l'album de Bruce Springsteen "The ghost of Tom Joad" (1995) vous aurez tout compris !
** Petite anecdote sur John Ford, souvent qualifié d'ultra-droitier. Il a été président de la guilde des réalisateurs, en plein maccarthysme. A une séance houleuse, on s'engueule pour savoir si on doit exclure ou non les acteurs / auteurs / techniciens communistes des tournages. La parole arrive à John Ford, qui doit trancher la question. Il dit juste, le plus calmement du monde : "le gars qui pousse le charriot de travelling, j'en ai rien à foutre qu'il soit communiste, du moment qu'il pousse correctement". Fin des débats.
PS : si après ça vous voulez (ré)écouter l'album de Bruce Springsteen "The ghost of Tom Joad" (1995) vous aurez tout compris !
** Petite anecdote sur John Ford, souvent qualifié d'ultra-droitier. Il a été président de la guilde des réalisateurs, en plein maccarthysme. A une séance houleuse, on s'engueule pour savoir si on doit exclure ou non les acteurs / auteurs / techniciens communistes des tournages. La parole arrive à John Ford, qui doit trancher la question. Il dit juste, le plus calmement du monde : "le gars qui pousse le charriot de travelling, j'en ai rien à foutre qu'il soit communiste, du moment qu'il pousse correctement". Fin des débats.
noir
et blanc – 2h05 – 1 :1.33
Désolé, je n'ai trouvé que ça en guise de bande annonce, format écrasé, mauvaise qualité, chansonnette (coupez lez son !)
Désolé, je n'ai trouvé que ça en guise de bande annonce, format écrasé, mauvaise qualité, chansonnette (coupez lez son !)
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