Au sujet des guitaristes doués, l'intérêt se porte quasi exclusivement sur les musiciens anglo-saxons, avec une petite tolérance pour les autochtones. La faute incombe à une culture du guitar-hero qui, depuis les années soixante, a eu les yeux rivés sur le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Par la suite, encouragés par les médias, les non-saxons ont été considérés comme des imitateurs. Ou alors, ils devaient s'expatrier pour tenter de faire carrière dans ces pays plutôt chauvins, en incorporant des groupes nationaux, ou, au moins, en jouant avec des musiciens du cru.
Ainsi, rares sont ceux qui ont réussi à briller en dehors de leurs frontières. Même les Australiens - pourtant membres du Commonwealth - ont dû mettre les bouchées doubles pour parvenir à obtenir une reconnaissance internationale. Parfois d'une durée limitée.
L'Allemagne n'est pas épargnée par cette injustice. Même si elle a su gagner la confiance des métalleux à l'échelle internationale depuis Scorpions - dans une moindre mesure Accept et Helloween - et plus récemment avec Raimnstein. Elle a enfanté quelques guitar-heroes pas piqués des vers, mais seul un petit groupe d'élus est parvenu à s'expatrier avec succès.
Le petit Michael Schenker, lui, est passé par la case "J'incorpore un groupe anglo-saxon" avec UFO, et par la suite, pour sa carrière personnelle, en embauchant exclusivement des musiciens anglais et américains.
C'est à ce demander s'il n'y a pas une forme de chauvinisme, comme si, dans la vaste sphère du Rock, le domaine de la vélocité, du feeling ou de la performance étaient endémiques aux anglo-saxons. Finalement, cela rejoint la politique de protectionnisme en matière d'économie.
Bon, bref, tout ça pour dire qu'il y a en Allemagne un guitariste qui devrait logiquement tourner à guichets fermés sur toute la surface de la planète, au lieu d'être confiné aux territoires teutoniques. Car, en effet, Marcus Deml , puisqu'il s'agit de ce monsieur, est un maître de la Stratocaster.
L'histoire de cet illustre inconnu débute à Prague, où il voit le jour, avant d'émigrer rapidement en Allemagne où il y demeure jusqu'à la fin de ses études. Entre temps, à seize ans, il monte son premier groupe.
Soucieux de progresser, il part aux Etats-Unis étudier au G.I.T. de Los Angeles (Guitar Institute of Technology), où il apprend auprès de Scott Henderson, de Paul Gilbert et de Larry Carlton. On a vu pire en matière d'enseignants.
Au bout de deux années studieuses et réussies, c'est lui-même qui se retrouve sur l'estrade, en qualité de professeur. Enseigner c'est bien, mais jouer, c'est fondamental. Ainsi, parallèlement à l'enseignement, il offre bien volontiers ses services pour accompagner des artistes en tournée, ou pour quelques séances de studio. Il se retrouve même sur les projets de Carmine Appice et de Randy Jackson (Little Randy).
Bien parti pour faire son trou en Californie et au-delà, après cinq années passées sur le sol de l'oncle Sam (ou plutôt des Amérindiens), il est rattrapé par le service d'émigration qui ne renouvelle pas son permis de séjour.
Il devait probablement y avoir quelques fonctionnaires envieux ... ou qui auraient touché une enveloppe de quelques musiciens jaloux.
Marcus Deml doit donc rentrer en Europe. De retour au bercail, il rencontre le pianiste, compositeur et producteur Ralf Hidenbeutel, avec qui il monte le projet Earth Nation. Rien de bien rock dans ce projet qui donne cinq albums, dont deux live, de musique éthérée, entre jazz-fusion, électronique et musique transcendantale. A côté, il continue à répondre présent pour des demandes de sessions. Il en fera plus de 300 (dont pour Kingdom Come - bien -, et ... aïe, pour Rick Astley 🤢 - pas bien - cependant, il faut bien manger ... ).
Enfin, en 1998, il fonde ERRORHEAD. Une cour de récréation dédiée à un Heavy-rock protéiforme avec inclination bluesy. Du rock expansif, festif, volage, qui fricote avec qui (quoi) bon lui semble. Du Rock psychédélique au Funk, en passant par le Blues. Il tâte même du jazz manouche (avec "Tàta"). Les seules limites seraient celles de la guitare. Le problème c'est que ... comment dire ? Avec ce gars, là, Marcus Deml, la guitare ne semble plus en avoir. Ou Presque. C'est qu'il semble tout maîtriser, ce cochon. Jeu aux doigts, hybride, médiator, legato, sweeping, tapping, slapping, violoning, guitare percussive, tout y passe avec une aisance déconcertante, et sans jamais que l'on ait la sensation de la moindre démonstration. Sans compter les couleurs arc-en-ciel composées à l'aide d'une assez large palette d'effets en tout genre, subtilement exploités.
Dans le cas présent, la technique est au service de l’expressivité et de l'émotion. Elle n'est qu'un moyen permettant d'accéder à un niveau élevé de vocabulaire musicale. En l’occurrence, Deml le développe pour sortir des sentiers battus, tout en gardant une belle et attrayante musicalité.
Evidemment, cela pourrait être une lapalissade si depuis des décennies, quantité de musiciens ne se feraient fort de démontrer leur niveau par moult prouesses.
Quelque temps plus tard, avec le volubile bassiste d'Errorhead, Frank Itt, c'est un nouvel espace musical qui voit le jour, sous le patronyme d'Electric Outlet. En reprenant le nom d'un album de John Scofield, (de 1984), aucun doute possible quant au style de musique de la formation. Toutefois, Marcus est nettement plus Rock que Scofield ne le sera jamais (même pour sa collaboration avec Gov't Mule). Là, ce serait plutôt un télescopage entre Jeff Beck, Scott Henderson, Satriani, Jing Chi et Steve Vai.
Pour en revenir à Errorhead, tous les albums sont bons, très bons même, mais s'il y en a un qui se détache, c'est bien "Evolution". Le dernier à ce jour. La raison ? L'incorporation de Karsten Stiers, un chanteur hors pair, donnant de la substance à ses chansons, transcendé par ses mots. Le genre de gars pouvant chanter aussi bien de la Soul que du Heavy-rock. Formant une véritable osmose avec la guitare de Deml, il est l'élément qui permet au groupe de passer à la vitesse supérieure, et désormais de flirter avec les étoiles. D'en faire un groupe quasi parfait.
Les deux autres lascars ne sont pas en reste puisque nous avons Frank Itt, qui a commencé avec le groupe The Touch, où l'ancien militaire Terence Tret D'Arby fit ses débuts. Dans les 80's, il accompagne Jennifer Rush, la diva pop-rock des années 80, avant de s'engager la décennie suivante dans la voie du Jazz, rejoignant même Michael Sagmeister considéré comme l'un des meilleurs guitaristes de Jazz européen (enseignant cinq ans au Berklee College, à Boston , puis à l'université de musique de Francfort).
Quant à Athanasios "Zacky" Tsoukas, qui est comme son nom l'indique, d'origine grecque, il débute avec Attack, un groupe de Heavy-metal à l'image de ses pochettes ; caricatural. Puis il part aux USA où il est recruté par John "Red Devil" Haynes (futur guitariste de Mother's Finest). Il fait un court passage chez Fair Warning, et fait partie des premières années de Soul Doctor (très bon groupe de Heavy-rock).
de G à D : Zacky, Stiers, Itt et Deml |
Errorhead, c'est du heavy-rock explosif et élastique, pourvu d'une aura blanche et or. Les compositions se révèlent invariablement positives, même lorsque le sujet penche vers la critique. Ainsi, "Thieves & Poets (The Social Network Song)", en dépit d'un fond désabusé et affligé, ne peut empêcher un élan pop presque enjoué venu redonner allégresse et gaieté lors du refrain. Même sur "Be Someone", chanson d'amour contrarié, le chant chasse les ombres générées par une union contre-nature du Sabbath avec Hendrix.
Seul "Tell Me", un slow-blues, ouvre une porte sur un climat dramatique. Quoique, même là, subsiste une bulle d'espoir.
De nombreux éléments funk se fondent dans la musique de la formation. Parfois un peu comme savait si bien le faire à l'occasion Extreme. Une référence qui paraît évidente sur le bouillant "Get Off My Back", bien qu'étant moins tapageur que le quatuor du Massachusetts. Ou avec "One Good Reason" où les mouvements funky sont brutalisés par des couplets de Hard bien agressif.
Composant et écrivant à lui seul l'intégralité du répertoire, Deml ne se refuse pas quelques bien ravissants petits instrumentaux. Le joyau étant "Resurrection" où la Stratocaster s'étire sensuellement sur un tapis de synthés, contant le miracle de la vie ; celle croissant lors des premiers rayons de l'aube, faisant fondre la neige pour libérer une flore régénérée et avide de chaleur, et où les fleurs s'étirent pour s'offrir à l'astre bienfaiteur.
Mention aussi de "Purple Lord", qui ne peut qu'être un hommage au regretté Jon Lord ; le morceau a d'ailleurs pour toile de fond un Hammond. Quant au long solo de guitare, tout en retenue et en nuances, il est travaillé au vibrato et au sélecteur de micros ; assez dans la manière de Ritchie.
Il faut faire abstraction de cette pochette rebutante et se plonger sans retenue dans cette riche musique où se croisent et fusionnent indifféremment le style des Richard Pryor, Stevie Salas, Nuno Bettencourt, Bernie Brausewester, Jeff Beck, Philip Sayce et Satriani.
Marcus Deml est, définitivement et irrévocablement, un grand de la Fender Stratocaster. Vouaille !
En 2005, suivant une sélection de la revue américaine Guitar Player, il est finaliste du "Guitar Hero Awards", organisé au Rock'n'Roll Hall of Fame de Cleveland, avec parmi les juges, Steve Lukather et Joe Satriani. Il remporte le deuxième prix. (des chauvins...)
(seulement 6/5 à cause du conventionnel "Where Did Our Love Go ?") |
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