lundi 2 décembre 2019

UN HOMME EN VUE de Roger Béteille (2018) - par Nema M.




Nema se demande bien pour qui elle va voter aux prochaines élections municipales. Le parti Truc, le parti Machin, les Verts, les Extrêmes de droite, de gauche… Tout est tellement confus pour elle qui s’intéresse plus aux aspects infrastructures routières, aux grands bâtiments publics (avec une grande affection pour les marchés couverts en structure béton…). Elle se tourne vers Sonia :
- Tu sais un peu pour qui tu vas voter aux municipales l’année prochaine ? T’es plutôt à droite ? Au centre ? À gauche ?…
- Bah, moi je vote toujours dans la commune de mes parents, tu sais le village en Bretagne. On vote pour quelqu’un pas pour un parti politique…   

Roger Béteille
L’histoire démarre avec un retour du Kenya. Pour René Marcillac, c’est la fin d’un voyage d’agrément avec un dépaysement total, une parenthèse en dehors de tous les problèmes du quotidien, loin de la monotonie routinière d’une vie de famille très conventionnelle. Après l’arrivée à l’aéroport de Blagnac, un court trajet en taxi pour rejoindre la gare SNCF de Toulouse nous révèle le caractère autoritaire et impatient de cet homme âgé de 50 ans. René Marcillac fait la connaissance de Violaine Lafon dans le train régional pour rejoindre Rodez. Une rencontre très policée et pleine de courtoisie entre l’homme d’affaires carré et la jeune femme discrète (mais très féminine).
Retour donc de l’entrepreneur, notable du pays, dans sa belle propriété de la Vernière, un peu au-dessus de la ville. Ce n’est pas avec une grande effusion que sa femme Antonine l’accueillera, pas plus que son fils Henri de 16 ans. Il faut dire qu’il est tard, il fait nuit, on est en novembre. Ambiance feutrée d’une villa isolée et endormie. Fin du 1er chapitre.

René Marcillac a une vie mondaine : sa qualité de patron d’une grande entreprise de construction, lui qui semble-t-il a démarré comme simple maçon, l’oblige à être présent là où il se doit, notamment aux réceptions de l’Hôtel de France. Bien entendu tous les notables du coin s’y retrouvent : le Préfet, le commissaire de police, le notaire, un avocat, un journaliste, un commissaire-priseur… et leurs épouses. Il ne faut pas croire que tout est corvée désagréable dans ces réceptions, on y a des échanges amicaux, on y organise les prochaines chasses ou parties de pêche par exemple.
Montagne du Rouergue
L’anniversaire de René, ses 50 ans, est fêté comme il se doit, avec la famille : Antonine a tout organisé avec l’aide de Mathilde, la femme de son fils Charles (garçon né d’un amour de jeunesse d’Antonine qui avait 17 ans à l’époque et adopté par René). Seule la petite Chloé est spontanée et participe au déballage des cadeaux offerts à son grand-père. Mathilde annonce, fortement soutenue par Antonine, les débuts de Charles dans une carrière politique : il compte se présenter aux élections des députés du département. Un gros nuage dans le ciel radieux de cet anniversaire.

Pas forcément ravi de voir sa femme et son fils adoptif se lancer en politique, l’entrepreneur sera malgré lui contraint d’accepter de soutenir ce projet. En effet, il ne va pas admettre les pressions qu’on essaie de faire sur lui pour arrêter son fils adoptif dans ses velléités politiques, sous divers prétextes. Le député en place, Fernand Chassan, homme politique investi au parlement de longue date, aura une conversation privée avec Marcillac lors d’une partie de chasse au cours de laquelle il ne mâchera pas ses mots : il brisera Charles s’il fait campagne contre lui. Bonjour l’ambiance…
Il y aura des mondanités donc. Hommes d’affaires et hommes de pouvoir qui se rencontrent autour d’un verre et de petits fours, sourires de façade, coups de poignard dans le dos. Heureusement pour René, il a aussi son entreprise de construction et de travaux publics. Aline, sa secrétaire, est là pour veiller à la bonne marche administrative des nombreux contrats et chantiers en cours. Fidèle, loyale, très ordonnée, elle est la collaboratrice parfaite. Nous sommes dans les années 70, le travail de secrétariat nécessitait alors de nombreuses dactylos pour frapper tous les courriers : ce n’était pas l’époque du mail et de la dématérialisation des factures… Un recrutement de dactylo remet Violaine Lafon sur la route de René Marcillac, lui qui tient son entreprise de main de maître tout en ayant gardé le goût d’aller sur ses chantiers vérifier lui-même la qualité des travaux.

Ancienne préfecture de Rodez
Par petites touches, par de petits évènements, le héros va basculer d’une vie routinière (certes il faut se battre pour décrocher de nouveaux contrats, mais c’est la règle du jeu pour toutes les entreprises de bâtiment) vers une forme de chaos intérieur. Voir sa femme se charger de piloter avec Mathilde les réunions de campagne de son fils Charles et par là s’éloigner de plus en plus de lui, l’interpelle profondément. En plus, l’ambiance malsaine autour de ces futures élections lui pèse. Et puis, les malintentionnés vont se mettre en branle…  
L’histoire dérive vers une angoissante quête de compréhension du passé. On remonte le temps, jusqu’à la dernière guerre, jusqu’à la jeunesse d’Antonine. Cela ne finira pas très bien. Mais au moins les choses seront dites, ces souvenirs de famille que l’on a parfois tendance à taire en pensant que jamais ils ne remonteront à la surface apparaîtront dans une lumière crue aux yeux de René. Il fera tout pour remettre sous le boisseau ce fatal secret.
Quant au résultat des élections… Je n’en dirai rien.

Roger Béteille écrit de manière fluide et l’histoire se lit agréablement avec cette ambiance de terroir et un héros solide comme un pilier central dans une construction. Cet écrivain né en 1938 a reçu de nombreux prix littéraires.

Bonne lecture !

Editions du Rouergue
264 pages


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