mercredi 18 décembre 2019
TRIGGER HIPPY (2014), by Bruno
Nombreux sont ceux qui témoignent que le monde de la musique est corrompu par une industrie du divertissement bien plus occupée à des campagnes de marketing et de rentabilité que mue par l'amour et la passion de la musique. Même des musiciens talentueux et professionnels (deux termes pas nécessairement indissociables), dégoûtés, se sont mis un temps au vert quand d'autres ont préféré carrément raccrocher.
Il y a bien longtemps que cette hydre fait la pluie et le beau temps, soutenant qui bon lui semble, à savoir les plus malléables. Et malgré l'énergie que déploient quelques labels indépendants, bien rares sont les artistes et groupes qui parviennent à toucher les étoiles sans l'appuie d'une major.
C'est le cas de Trigger Hippy qui, bien que présentant non seulement une affiche attrayante mais - et surtout - un superbe album, exempt de tout défaut, n'a pas eu le succès qu'il méritait. Même si quelques revues d'outre-Atlantique l'ont érigé au rang des meilleures réalisations de l'année.
Pour commencer, lorsque l'on parle d'affiche attrayante, c'est parce qu'il s'agit quasiment d'un super-groupe ; soit une formation réunissant des musiciens réputés et d'expérience, pouvant se targuer d'une carrière - plus ou moins - médiatisée. C'est le cas de Joan Osborne, la chanteuse américaine qui eut même son heure de gloire en France grâce à son hit matraqué : "One of Us". Son premier album, "Relish", poussé par le succès planétaire de son single, a été triple disque de platine aux USA et s'est tranquillement installé dans le top 20 dans les pays du Commonwealth et les pays Européens (sauf en France ...). Elle a aussi été à maintes reprises nominée aux Grammy Awards (mais n'en remporta qu'un seul, en 2010). Certes, par la suite, en s'obstinant à rester sur des labels indépendants (à l'exception de Vanguard Records, qui lui même, malgré son ancienneté, n'a pas la puissance d'une major), elle n'est plus parvenue à rééditer l'exploit.
Ensuite, il y a Jackie Greene, auteur-compositeur-interprète reconnu, fort de huit galettes en solo, fortement imprégnées du patrimoine musical américain ; du Blues à la Country en passant évidemment par Creedence Clearwater Revival. Quelque part entre Neal Casal et Tom Petty. Il a pris le poste de guitariste lead pour les Black Crowes en 2013.
Puis Steve Gorman, membre historique des Black Crowes, seul rescapé de l'ancestrale mouture avec les frères Robinson de Mr Crowe's Garden. (Il a aussi dépanné les Stereophonics). Il est l'instigateur du projet, en partenariat avec le bassiste, Nick Govrick.
Gorman a effectué sa sélection en fonction de ses affinités, en choisissant des musiciens qu'il connait depuis des années et avec qui il a déjà joué (que cela soit sur scène avec les Black Crowes ou lors de séances studio)
Bien moins connu, car homme de l'ombre, le nom de Tom Bukovac, doyen du collectif, n'évoquera probablement, rien à personne sinon aux fadas qui scrutent avec une loupe les crédits des disques. Car il est avant tout un musicien de session. Mais pas n'importe lequel puisque sa réputation lui a valu d'être sollicité pour une pléthore d'albums - de Sheryl Crow à Bob Seger - (on parle de plus de 500 contributions !). A ce titre, il a remporté cinq années d'affilée le titre de guitariste de session de l'année. Parallèlement, l'académie de Country lui a aussi décerné quelques trophées.
Nick Govrick, bassiste et chanteur, reste le petit joueur de l'équipe, en ayant pour seul fait d'arme notable d'avoir accompagné Mike Farris (ex-Screamin' Cheetah Wheelies) et d'avoir fait partie de Highwater (un sympathique groupe Southern-soul-rock de la fin du siècle dernier et auteur d'une seule galette).
Ensuite, il y a cette galette, ou plutôt ce calice de vin capiteux et épicé, fort en bouche et égaillant les humeurs. Une subtile boisson enivrante, fruit d'une sélection de divers cépages américains. Cépages du meilleur cru issu du Country-rock, du Southern-rock de Floride et de Georgie, cépage Soul de Memphis avec une pincée de Blues. Pour faire plus simple, et plus précis, ce pourrait être le retour de Delaney & Bonnie soutenu par les Black Crowes.
Sans jamais donner la sensation de casser le rythme ou l'ambiance, le quintet alterne morceaux foncièrement Rock'n'Roll - un poil Heavy-rock dans le genre des Faces - parfumés de Country-rock, et autres plus moelleux, d'où émerge avec plus d'évidence la Soul. La Country, dans sa forme la plus rock, n'est jamais loin, ce qui peut lier la bande à une forme de Southern-rock. A moins qu'il ne s'agisse de Soul rustique largement infusée de Rock.
☞ Dans la première tranche, quelques pièces se distinguent particulièrement. A commencer par "Turpentine" ; un hymne à la joie en mode heavy-rock où la voix de Joan tranche, fraîche comme une source provenant de la fonte des glaciers.
Puis "Cave Hill Cemetery", qui s'endurcit un peu plus avec une Telecaster furibarde (ou assimilée), à peine adoucie par le B3 de Greene. Joan semble galvanisée par le tempo, et se laisse aller jusqu'à grogner de plaisir.
Plein de sève et de vie, "Tennessee Mud", plus rythmé, avale la route dans un Ford F100 gonflé, transportant dans sa benne amplis, guitares et bottes de foin à l'arrière (accessoirement des musiciens), déversant notes électriques et fétus de paille sur son passage.
"Dry Country", plus sournois, se distingue par des mouvements ouatés, chuchotés, brisés soudainement par une explosion de Country-rock noyé dans une sauce bluesy, avec un long et jouissif final avec un harmonica qui s'époumone avant de laisser sa place à une Gibson SG éructant de longues notes dans un larsen taché de fuzz. Une réminiscence du Leon Russell avec ses gens du studio Shelter. Le jeu de Gorman y est explosif, volubile, nuancé et séduisant. Pour lui rendre justice, il mériterait une piste à part, sans l'ombre de ses compères.
The last but not the least, "Nothing New" reprend avec classe les fondamentaux ; ça fleure bon de le Rock'n'Roll des Stones, avec ces deux grattes limite rêche, légèrement décalées.
☞ Pour le moelleux, moins fourni, il y a "Heartache on the Line" ; une ballade que l'on chante après la fête, après un bon repas et du bon vin (et/ou de la bonne bière fraîche), lorsque la fraîcheur tombe sur les épaules et que, repus de fatigue, on regarde des amis partir, sachant que l'on risque de ne pas les revoir avant longtemps. Où la satisfaction se mêle à la mélancolie.
"Pretty Mess" réveille le fantôme de Tom Petty, pour une chanson d'amour destructeur en duo, respirant l'herbe et la terre desséchées par le soleil d'été.
"Pocahontas" fraye un nouveau chemin reliant la Deep-Soul et le Blues à un Funk lourd, oppressant.
"... le Sud profond est comme la jungle. Vous ne faites qu'un avec les nuages en forme de femmes, leur corps doux et propre. Peut-être qu'ils ont obtenu la réponse pour expliquer pourquoi je suis si méchant"
"Adelaide" est un adieu se perdant dans les sombres et ternes rayons mauves et ocres du soleil couchant. Une jolie ballade country-rock - non loin d'un Steve Earle - judicieusement placée pour clôturer l'album, avec cet espoir que ce ne soit qu'un au revoir.
Entre les deux s’insère "Rise Up Singing", une sorte de ballade massive, une invitation rayonnante à la joie, l'amitié et l'Amour. Présenté en entrée, il est la parfaite invitation à la fête, comme si l'on vous prenait la main avec assurance et douceur, et un sourire sincère faisant fondre toute velléité de refus.
Et puis ... (chut..., un instant... les poils se hérissent, les frissons descendent de la nuque jusqu'aux reins ) et puis, il y a le félin "Ain't Persuaded Yet", engendré par une basse de velours et groovant comme Clive Chaman (avec le Jeff Beck Group), une batterie sèche et boisée qui swingue nerveusement, et Joan qui chante telle une panthère apeurée mais sur ses gardes, prête à mordre.
"Au scintillement du Soleil, j'ai vu un pistolet dans sa main. Le regard dans les yeux de l'homme que j'aime. Convaincu que j'avais triché, il était venu me prendre la vie. Je me suis mise à implorer le Ciel. Ses doigts tremblaient, ses yeux pleins de larmes, je pouvais sentir le whisky dans son souffle. Comment pourrais-je prendre une balle pour une chose que je n'ai pas faite ?"
Mais ... en fait, malgré un généreux menu de onze morceaux, il n'y a rien à laisser. Et même si cela pourrait paraître un poil trop copieux, ce n'est nullement indigeste. Bien au contraire. Ça s'avale sans heurt, d'une traite.
Un disque précieux, un bijou inaltérable (sur cinq ans, l'intérêt n'a pas faibli d'un pouce ), un disque sans carcan, aucunement enchaîné à une église, si ce n'est à la grande famille du rock avec un "R" majuscule. Sans l'ombre d'un doute, le meilleur skeud de Jackie Greene et de Joan Osborne réunis.
Hélas, il n'y a pas réellement de suite à cet excellent et inoxydable album.
Le groupe a bien refait surface cette année, en 2019, cependant seuls Steve Gorman et Nick Govrick font partie de la nouvelle mouture. Certes, ce sont les inventeurs de ce groupe, cependant l'absence de Jackie Greene et de Joan Osborne, les deux astres de la formation originale, fait cruellement défaut. Ainsi, le Trigger Hippy version 2019 n'a plus qu'un bien lointain rapport avec le disque éponyme. Désormais, le groupe a mis l'accent sur le Funk et la Soul. C'est d'un bon niveau, mais ... l'énergie, l'envie, et une toute relative rusticité campagnarde font défaut.
🎼🎶♬
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Un excellent groupe en effet , j'avais repéré ce disque à sa sortie étant toujours à l'affût de ce que font les anciens Black Crowes .....Joan Osborne s'est illustré un temps au sein du Phil Lesh and Friends . Bref ce Trigger Hippy est un des meilleurs disques de 2014 (déjà!) . Pour la suite , comme toi Bruno , c'est plus pareil et j'ai fait l'impasse.
RépondreSupprimerC'est juste : un des meilleurs disques de l'année.
Supprimer(je l'ai tellement écouté que le cd est couvert de rayures, à un point où je crains qu'il ne finisse par ne plus passer)