Le
film commence par des hordes de gamins affublés de drapeaux tricolores, parfois
algériens, venus fêter une victoire de foot sur les Champs Elysées. La France
tricolore comme les médias aiment nous la vendre. Sauf que la réalité est tout
autre. C’est ce que nous dit le réalisateur Ladj Ly par cette première
séquence. Il y a ça, et il y a ce qui va suivre.
Ce
qui va suivre c’est 36 heures à Montfermeil, banlieue parisienne parmi les plus
sinistrées, filmée du point de vue de trois flics, dont Stéphane Ruiz
qui vient d’être muté depuis Cherbourg. Cherbourg… la campagne comme lui disent
ses nouveaux coéquipiers « ça te manque pas trop, les vaches ? ». Le
coup du bizut qui arrive au commissariat et les blagues qui vont avec sentent
le réchauffé. Même si le chef d’équipe, Chris, 10 ans de terrain, facho sur les
bords, a de bonnes répliques. Son district est son domaine, son
royaume, et la légalité n’est pas son fort lorsqu’il s’agit d’y mettre de l’ordre.
Illustration
par cette scène, où Chris et Stéphane abordent trois jeunes filles à un abri de
bus. Un mégot de pétard est encore fumant au sol. Chris veut fouiller les
filles, les palper comme il dit, le sourire entendu. Elles résistent. Il prévient :
« je suis flic, je fais ce que je veux, je peux te mettre un doigt dans l’cul
si j’veux ». Elles ont 14 ou 15 ans, c’est hyper violent, on déteste ce
type, alors imaginez les trois gamines… Allez savoir pourquoi, ce personnage de
Chris, si odieux soit-il, deviendra plus attachant, parce que boule de contradictions.
Dans ce film, rien n’est blanc ou noir.
Etre
flic ici, c’est survivre. Etre habitant ici, aussi. C’est ce que montre Ladj Ly :
les deux camps. Mais il y en a d’autres, et c’est très bien rendu. On voit les
Frères Muz’ (Frères Musulmans) qui racolent à la sortie des immeubles,
appellent les gamins à la prière, ils sont surnommés par les flics la BAC, la
brigade anti came. Ce sont les barbus qui font le ménage. Mais Ladj Ly n’est pas dupe. Salah, grande
figure du quartier, illuminé d’Allah (son discours sur le lion sauvage !) est
surtout un ancien taulard qui s’est fait pousser la barbe pour se racheter une
conduite.
Il
y a aussi La Pince, gros dealer du coin, dont les flics useront du réseau pour
démêler le tissu d’emmerdements dans lequel ils vont s’empêtrer. Et puis le
maire. « Ah bon, le maire de Montfermeil est noir ?! ». En
réalité un gars payé par la mairie, affublé d’un maillot flocké « Le Maire 93
» qui règne sur son petit empire, gère les gosses de la cité et les mètres
carrés des étals du marché à coups de bakchich. Et où est l’Etat ? Nulle part.
Ce que montre aussi le film, ce justement ce qui est absent. L’Etat, les
politiques, et les femmes. A part quelques apparitions éparses, Jeanne Ballibar
surfaite et anecdotique en commissaire, ou plus tard cette mama africaine outrée de
l’intervention des trois flics dans son hall d’immeuble, le film est
exclusivement masculin, comme sur le terrain.
LES
MISERABLES n’est pas un documentaire, mais un film avec un scénario, une
dramaturgie. Un enchainement de faits qui vont conduire au chaos. D’abord ce
gamin paumé, Issa, qui vole un lionceau du cirque venu s’installer en ville. Plus
tôt il avait volé des poules. Pour organiser un combat lion contre poules ?
Les gars du cirque sont très remontés, débarquent à douze armés de batte de
baseball chez Le Maire (« On m’a volé Johnny ! »). Face à face
tendu, filmé caméra à l’épaule, les flics interviennent, on calme le jeu, mais on
doit surtout retrouver le voleur, et le lionceau.
D’où
l’enquête des flics, les indics, l’importance des réseaux sociaux, l’identification
de Issa et son interpellation qui tourne mal. Sauf que la bavure est filmée par
un drone téléguidé par un gamin qui jusque-là s’en server pour mater des
gonzesses au 8ème étage. Deuxième chasse à l’homme pour retrouve ce
témoin gênant, que certains veulent faire taire, d’autres instrumentaliser. Et
tout part en vrille…
Ladj
Ly a deux façons de filmer, ras du sol, à l’épaule, mais sans nous donner le
tournis, et vu du ciel, vu du drone, parenthèses aériennes qui apaisent autant
qu’elles inquiètent. Le rythme ne faiblit pas, la tension monte d’un cran à
chaque scène, avant une courte pause, la nuit, quand on voit les trois flics
rentrer chez eux, ils habitent la cité aussi. La suite est un crescendo de
tensions et de violences, huis clos asphyxiant, éprouvant, qui n’est pas sans rappeler
le DEEPHAN de Jacques Audiard (qui excusez-moi, mais en termes de mise en scène reste très au dessus)
Très
habilement, le scénario convoque pour cette dernière séquence presque tous les
protagonistes, la dernière image du film nous tétanise, à chacun de se faire
une idée de ce qu’il va se passer dans la seconde qui suit. Cette absence d’épilogue
est une très bonne idée, une chose est sûre, personne ne s’en relèvera indemne.
On
a beaucoup parlé de ce film comme un choc à la fois cinématographique,
esthétique, social… bon, faut pas pousser non plus, d’autres metteurs en scène
ont exploité la banlieue dans un film (on pense toujours à LA HAINE de Mathieu
Kassovitz, pourtant réalisé y’a 25 ans) mais Ladj Ly, natif de Montfermeil, y
porte un regard plus actualisé, la grande différence portant sur l’âge des personnages,
beaucoup plus jeunes, et l’islamisation des consciences. Le film est
remarquablement interprété, parfois drôle, loufoque, ne s’apitoie sur le sort
de personne, c’est un terrible constat.
PS : ce film est le développement du court métrage homonyme réalisé en 2017, et qui reprend quasi l'exhaustivité de la distribution.
PS : ce film est le développement du court métrage homonyme réalisé en 2017, et qui reprend quasi l'exhaustivité de la distribution.
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