mercredi 13 novembre 2019

MICHAEL KATON "Proud To Be Loud" (1988), by Proud Bruno



     Michael Katon fait partie de ses artistes rares, qui en dépit de leur sacerdoce, ne semblent pas particulièrement attirés par une vie libertine, de vagabondages et d'excès divers. A ce titre, Katon n'a quitté son Michigan natal que le temps de désillusions.
Né à Ann Arbor, en 1953, il passe sa jeunesse à Ypsilanti, une petite ville d'à peine plus de vingt-mille têtes, située à dix bornes de son lieu de naissance et à une heure de route de Detroit. Petite ville qui connue néanmoins une certaine activité industrielle avec les usines de constructions automobile (c'est là où se situe l'histoire du concepteur automobile Preston Tucker que Francis Ford Coppola a porté à l'écran).
 

   Michael Katon
 a été bercé très jeune par la musique. D'abord par ce qu'écoutait régulièrement son père à la radio : la country des Johnny Cash et Hank Williams. Puis par l'influence de ses deux frères aînés. Il commence par vouloir suivre l'exemple du plus âgé, Marty, à savoir jouer comme lui de la batterie, mais, deux batteurs à la maison auraient eu raison de la patience des parents. Ses derniers l'inscrivent à des cours à l'école où il apprend la trompette. Au secondaire, intègre la fanfare et y reste durant toute sa période scolaire.

Quant à son second frère, Billy, il lui ramène des disques dénichés à Détroit. Des disques de la Motown, mais aussi de Link Wray et de Duane Eddy dont l'instrument principal, la guitare, est une révélation. L'arrivée des Beatles sur les ondes renforce ce sentiment, en plus de faire naître l'envie d'intégrer un groupe.
Son père lui offre une Harmony acoustique d'occasion sur laquelle il s’escrime à plaquer quelques accords de base. Il prend des cours dans le magasin de musique de la ville ; lieu où se croisent les diverses communautés de la ville et de ses alentours (dont les Afro-américains qui ont quitté les plantations pour prendre un emploi mieux rémunéré à l'usine)

     Il monte avec deux copains de quartier son premier groupe en 1965. Un trio à deux guitares et une batterie. Initialement, juste chanteur, les deux comparses l'incitent à investir dans une gratte électrique. C'est l'apprentissage en groupe, avec la mère du premier guitariste, ancienne chanteuse de Hillbilly, qui leur apprend comment interpréter des chansons de Rhythmn'n'Blues et de Country.

     Par la suite, il découvre le Blues grâce à Marty qui intensifie son éducation musicale en l'accompagnant dans divers clubs de Detroit. Il le présente aux Prime Movers, un groupe de puristes du Blues dans lequel il joue de la batterie pendant quelques mois (quelques temps après James Osterberg). La proximité avec le groupe lui permet d'apprendre auprès du lead guitar (1) et d'assister aux prestations - et parfois même de les rencontrer - des figures tutélaires du Blues tels que Muddy Water, Howlin' Wolf, Albert Collins, Freddie King, Otis Rush et Hound Dog Taylor.
Cette immersion dans le Blues l'incite à économiser afin de remplacer au plus vite la "japonaise" qu'il regrette amèrement, et d'acquérir un ampli plus puissant. Enfin, il parvient à acquérir une Fender Telecaster (de 1958). Une occasion qui a appartenue à Bob Seger. Une guitare qu'il possède toujours et qu'il a utilisée pour certains enregistrements. La côte de cette guitare, qui aujourd'hui vaudrait une petite fortune, a perdu de sa valeur le jour où il l'a poncée.


   Toutefois, 
pour répondre à la demande des ouvriers qui venaient se changer les idées après une dure journée de labeur, plutôt que du Blues c'est principalement de la Country qu'il interprète avec son petit groupe, maintenant nommé Drywater Band. Encore mineur, il doit se grimer pour paraître plus âgé afin de rentrer et jouer dans les bars du coin. Ses résultats scolaires s'en ressentent ce qui force Mr Katon-père à brûler les chaussures à la mode "Beatles" de son fils, et à lui prendre sa guitare pour réglementer son utilisation.
Mais une fois ses études secondaires terminées, il se voue totalement à la musique, jouant dans n'importe groupe qui se présente pourvu qu'il puisse jouer dans les clubs et les bars.
Un peu plus tard (en 72-73), il prend quelques cours et aborde ainsi le Jazz pour renforcer son éducation musicale.

     En 1974, il descend s'installer dans une Californie pleine de promesses. Il intègre rapidement un groupe qui se révèle sans envergure, se contentant de jouer le répertoire du Top 40. Néanmoins, le batteur a en parallèle un projet plus sérieux, Black Pocket. Il lui permet se faire son baptême de studio, en l'invitant à enregistrer avec quelques titres avec sa formation. 
   Il rencontre aussi Mighty Mo Rodgers et grave avec lui quelques pistes restées à ce jour inédites.
   Il loupe le coche lorsqu'il a la possibilité de rejoindre le jeune Moon Martin, mais perd le poste quand il s'éclipse un mois pour remonter dans le Michigan afin de se marier et convoler. A son retour, il n'a d'autre choix de renouer avec le groupe de reprises, et enfiler un costume pour l'occasion. Deux choses qu'il n'apprécie pas vraiment, mais il faut bien manger.
Enfin, il a l'occasion de rejoindre les Venice Alligators, une formation locale de Country-blues et boogie avec laquelle il a plus d'affinités. L'engouement local dont profite la troupe, avec ses entrées dans de nombreux bars de la région, l'encourage à fonder son propre groupe : un quatuor baptisé Mike Katon and Rock Hard.

     Cependant, le couple Katon peine à se faire à l'atmosphère de la Californie ; il ne supporte plus les embouteillages, la foule et la pollution ambiante. Les jeunes époux font le choix de vendre leurs biens (pas la guitare !) pour retrouver leur Michigan natal. Ils s'y étaient rencontrés une première fois après un concert de Michael. Ils reviennent à Ypsilanti avant de s'installer définitivement dans une maison cernée d'arbre, au bord d'une petite étendue d'eau, à Hell. Une bourgade, non loin d'Ann Arbor, constituée uniquement de maisons individuelles, et entourée d'espaces verts, de mares et de modestes lacs (dont l'abondance de moustiques a dû lui valoir ce surprenant patronyme). Une vie modeste mais loin de toutes agitations.

     Michael prend les devants et va à Chicago réaliser des séances studio en vue d'un premier disque sous son propre nom. Hélas, c'est une déception : le son retranscrit par le producteur est anémié. Il a perdu la puissance délivrée sur scène. Cette déconvenue l'amène à créer son propre studio en investissant progressivement dans du matériel d'occasion, et en créant son propre label : Wild Ass Record.
Sage décision puisque lorsque sort enfin sa première galette, en 1984, "Boogie All Over Your Head", sous le patronyme de Mike Katon And Wild A'S, (avec le frangin Marty aux fûts et des notes faisant autorité signées Cub Koda [2]) la presse musicale américaine est positive. La galette franchit même l'Atlantique grâce à une maison indépendante Suédoise. La musique de Katon est encore très marquée par le Chicago-blues en général, et de Chuck Berry, de Jerry Lee Lewis, et de Johnny Winter en particulier. Néanmoins, elle possède une sauvagerie - une facette dure évoquant la scène de Detroit d'antan - qui la ramène sur le terrain de jeu des The Pirates de Mick Green et de George Thorogood.
Cub Koda s'entiche de ce fougueux musicien, et le sollicite à maintes reprises pour ouvrir ses concerts (avec Cub Koda & The Points). A son sujet, il écrivit : "Michael joue un vrai Rock américain et un Blues avec un son brut, méchant et fougueux, combinant un Blues lowdown et le Boogie dans une approche amplifiée. Il joue de la guitare avec les tonalités les plus odieuses et les plus savoureuses imaginables grâce à des "images torrentielles" et à une étonnante capacité de flexion des cordes"
Plus tard, Katon mixera dans son studio maison, deux albums de Koda.

     Le second skeud de Katon est débarrassé de ses oripeaux de Rock'n'Roll pour s'immerger totalement dans l'antre d'un Boogie-rock aux parfums de moteur V8 et d'asphalte.
Sa pochette dénote en cette fin des années 80, en pleine apogée du Hair-metal, ère des musiciens apprêtés comme des figures de mode outrancières et décadentes, avec ses Spandex indécents, ses froufrous, ses brandeloques et ses permanentes saugrenues. On y voit un gars avec une épaisse tignasse sauvage, vêtu tout de jeans usés et armé d'une simple Stratocaster (alors que l'époque était aux formes agressives d'inspirations Gibson Explorer et Flying V, et autres silhouettes Stratoïdes aux angles vifs et acérés, équipées de Floyd-rose et d'un ou de deux humbuckers) qui, plutôt que de prendre une pose lascive ou de jouer à l'abruti belliqueux et renfrogné, préfère s'attaquer aux potards de ses antiques Fender Super Reverb Blackface 4x10 (des modèles des années 60, réputés pour envoyer les watts dès le volume à 2, et commencer à rugir à 5. Ici, probablement des modèles de 1965) à la pince-croco (un clin d’œil aux potards à "11" de Spinal Tap ?). Un look qui nous ramène une décennie en arrière, à l'époque où un certain Rory Gallagher qui jouait à guichet fermé, était pareillement habillé à la scène comme à la rue.
Bref, le gars est un anachronisme ; il sort d'une autre époque. Cependant, il dégage la sensation de jouer une musique brute, sans fard, qui ne fait ni dans la dentelle ni dans la poésie.

   Impression confirmée dès l'entame du disque qui tourne le dos aux productions stéroïdées de l'époque. Ici, point de batterie sur-amplifiée enregistrée dans un hangar avec des cymbales et des caisses claires qui bavent (même si l'on peut déceler quelques menues séquelles) ; pas plus de chanteur s'époumonant la gorge serrée et les roustons coincés dans la braguette, et encore moins de concours de vitesse à la guitare et d'acharnements intempestifs d'autiste sur le tremolo. "Proud To Be Love" est une ode au Boogie et au Blues-rock, avec une approche suffisamment Heavy pour séduire les amateurs de Rock musclé. Du Heavy-boogie-blues rock joué avec sincérité, authenticité et une singulière rusticité. Le seul luxe du sieur est l'apport occasionnel d'un harmonica espiègle (tenu par Ed Phelps). Tout comme les Georgia Satellites et les Dusters, au milieu d'une pléthore de groupes de Glam-rock plus attentifs à leur image qu'à ce qui sort de leurs amplis, et de Heavy-Metal énervés et cloutés, Michael Katon entretient la flamme d'un Rock sans artifice, jouant avec une foi inébranlable, sans rien concéder à la pression des modes. 
Il pérennise le précieux héritage des Rory Gallagher, Johnny Winter et  George Thorogood mêlé à celui des Foghat, ZZ-Top et même Blackfoot.

   En effet, dès les premières mesures de "Gotta Move" annonce la couleur : Le maître mot est "Boogie" ! Un boogie hargneux, torride et vindicatif, agrémenté de d'overdrives chaleureuses, lardés de slides épaisses et cinglantes, avec un chant dont le timbre doit beaucoup à Billy Gibbons et Thorogood. Le tout aromatisé de traits d'harmonica gras et cinglant, et supporté par une rythmique infaillible ronflant comme un moteur de Ford Mustang Shelby GT-H. Et cela ne va pas flancher d'un iota de tout le disque. Ça monte même en intensité après le sémillant "Boogie Whip", relecture du "Night Time" de George Thorogood. A commencer par "Tight White Pants" croquant la vie à pleine dents et respirant le Pub-rock, celui de Nine Below Zero ou des Inmates post-1988.
Pas de tonnes de distorsions pour masquer un manque de technique et/ou de feeling, ni de claviers pour une quelconque concession commerciale. C'est du brut ! 
Sur "I Ain't Ready To Go Steady" - étonnant hymne anti-mariage de la part de Katon - la Stratocaster paraît pure, sans aucune adjonction de la moindre pédale d'effet ; on goûte ainsi au grain et à la puissance des Blackface. Une limpidité d'où émerge l'odeur de lampes surchauffées expulsant une fine couche de poussière brûlée ; un crunch cinglant sans être perçant. 
Après une première partie fricotant avec l'ambiance du "Live !" de Status Quo, "Roadhouse 69" s'envole même vers l'Australie pour surfer avec Rose Tattoo.
Katon chante avec une voix d'outre-tombe sur "I'm Boogie Man", avec son un riff à la John Lee Hooker (musicien assimilé au Detroit Blues) ; on pense évidemment irrémédiablement à "La Grange".
"Love Stepped In My Way" aurait dû être l'instant tendresse, le slow-blues langoureux de rigueur ; mais Katon n'en a cure et envoie la rythmique s'escrimer sur un léger mid-tempo ; après la partie chantée - en retrait, au fond d'un hangar - il fend l'obscurité d'un solo où il étire ses cordes dans des angles insensés. Malgré toutes ses attaques périlleuses, il garde une fluidité et surtout une musicalité qui fait souvent défaut à ses congénères dans ces moments décisifs. Ce gars joue avec son cœur.

     Seules concessions au jeu des reprises : le "Cat Squirrel" de Doctor Ross, popularisé par Cream et Jethro Tull, inondé de slide incandescente à faire pâlir de jalousie feu-Rod Price ; et un "Gotta Move" des Kinks brutalisée par un harmonica surexcité digne de Mark Feltham de Nine Below Zero.

Certes, on pourrait reprocher à ce "Proud To Be Love" d'utiliser nombre de recettes éculées, mais c'est joué avec une telle conviction, avec un tel enthousiasme communicatif, avec une maîtrise et une fluidité rares, que l'on ne doute pas un seul instant que Michael Katon est bien un authentique Boogieman. Et on y adhère plutôt deux fois qu'une.

     Cette fois-ci, en Europe, c'est l'Angleterre qui succombe aux assauts incandescent de ce Blues-rock impatient. Un "expert" musical Anglais appelle directement Katon depuis Londres, puis fait le déplacement pour assister à un de ses concerts avec le responsable d'un tout jeune label, Link Company. Un label Français qui a à cœur de promouvoir des artistes méritant de leur ouvrir les portes du vieux continent (3). 
Michael Katon part pour l'Angleterre, donne des interviews pour les revues Anglaises et fait la couverture de Kerrang! ; (la revue attribue à son disque la note maximale).
Hélas, cette belle percée en Europe est stoppée nette par la faillite d'un petit label à la structure trop fragile.
Toutefois, lors de la décennie suivante, Katon est sollicité par un nouveau label Européen. Les Hollandais de Provogue Records qui se sont appuyés sur une ribambelles de musiciens adeptes d'un Blues copieusement irradié de tonalités heavy, pour en faire leur fond de commerce. C'est probablement lors de cette nouvelle période que Michael Katon va sortir ses meilleurs disques. Même si pour beaucoup, ce "Proud to be Loud" reste une pierre angulaire. Pourtant, l'Europe ne retrouvera plus le même engouement à son égard. La faute peut-être au label Hollandais qui n'avait pas encore le poids d'aujourd'hui.



(1) Dan Erlewine est un des fondateurs du groupe. Parallèlement, il s'intéresse à la lutherie et commence à entretenir des guitares dès 1963, avant de se lancer dans la confection. C'est lui qui a conçu la célèbre Flying V pour gaucher d'Albert King, la "Lucy II", dans une pièce de noyer de 125 ans d'âge, avec le nom du bluesman en lettre de nacre sur le manche. Pendant 15 ans, il écrit pour la revue Guitar Player. Il est aussi connu pour sa publication d'ouvrages sur les guitares, ainsi qu'une série de DVD traitant de l'entretien et de la réparation de son instrument de prédilection.
(2) Cub Koda a été une célébrité de la scène du Michigan, en particulier de Detroit et d'Ann Arbor (où il était né). Membre de Brownsville Station, puis producteur et chroniqueur pour le magazine Goldmine, il entretenit tranquillement une carrière solo.
(3) Pour suivre l'exemple de Bernett Records qui diffuse aux débuts des années 80 quelques galettes qui devinrent des classiques de la scène Metal internationale ; dont "Kill'em All", "This Mean War", "Night of the Blade", "Choirboys", "The Good, The Bad and the Waysted", "First Visit", "Thunder in the East", "Fistfull of Metal", "Melissa", "Killing is my business ... and Business is Good !", "Hail to England"


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