vendredi 15 novembre 2019

LA BELLE EPOQUE de Nicolas Bedos (2019) par Luc B.


L’idée au cœur du film est assez séduisante : une société dirigée par Antoine (Guillaume Canet) permet à ses clients de revivre une époque qu’ils n’ont pas connue, le temps d’une journée. Grâce à des reconstitutions de décors, des comédiens, une équipe en régie et beaucoup de documentations, on peut boire un coup avec Faulkner ou Hemingway, être présent dans le QG d’Hitler, dîner avec Marie Antoinette. La séquence pré-générique, une tablée de bourgeois pervers et racistes qui se lâchent dans le politiquement pas très correct est saisissante, mais ne reflète pas la suite (hélas ?) plus consensuelle.
Victor (Daniel Auteuil), dessinateur de BD récemment licencié par son journal et dont le mariage avec Marianne bat de l’aile depuis pas mal d’années, reçoit en cadeau de la part de son fils une invitation à participer à une de ces soirées. Victor choisit de revivre une journée de 1974, au café « La belle Époque » il a croisé pour la première fois celle qui deviendra sa femme, Marianne (Fanny Ardant). Tout est reconstitué au millimètre près, décors, accessoires, garde-robe, figurants, même les dialogues, que les comédiens récitent aidés d’une oreillette reliée à la régie.
L’actrice qui doit jouer le rôle de Marianne, 40 ans plus jeune, s’appelle Margot (Doria Tillier). Le problème est qu’elle est aussi la petite amie d’Antoine, du genre jaloux, et que Victor, troublé de revivre cette rencontre, commence à avoir des sentiments pour elle.
C’est un film qui joue à fond la carte de la nostalgie. Victor ne se retrouve plus dans cette époque 2.0, ces bagnoles qui parlent « - tournez à droite dans 50 mètres – merci, je sais où j’habite, connasse ! », la presse numérique, ces gens scotchés à leurs portables. Comme il le dit à sa femme lors d’une énième dispute : « j’ai trouvé un truc formidable, ça s’appelle un livre, tu tournes les pages, et hop, tu as la suite de l’histoire ! ». Nicolas Bedos en fait sans doute un peu trop avec ce vieux misanthrope grincheux, il faut dire qu’il a été viré de son journal où il dessinait par son patron et ami et amant de sa femme !
La reconstitution à « La belle époque » est aussi savoureuse, avec les répliques oubliées, approximatives, et cette idée des deux couples : Victor-Margot pour de faux, et Antoine-Margot, pour de vrai. Car Antoine en régie écoute et surveille tout, règle ses comptes avec Margot par l’intermédiaire de l’oreillette, alors qu’elle est en pleine représentation. Un côté vaudeville par régie interposée. On va croiser aussi Pierre (Pierre Arditi) autre client venu pour revivre sa dernière journée avec son père, et qui s’incruste dans l’histoire de Victor 
Faut suivre… car cette mise en abyme, si elle est ingénieuse et amusante, n’est pas toujours très claire, on ne sait plus qui joue à quoi, qui est vrai, qui est factice, ainsi retrouve-t-on Pierre Arditi dans le rôle d’un concierge d’hôtel, et comme son personnage s’appelle justement Pierre, on peut se dire qu’Arditi joue son propre rôle ! Il y a du Bertrand Blier là-dessous, on pense aussi à CA TOURNE A MANHATTAN de Tom DiCillo, ou OPENING NIGHT de Cassavetes.
Le film accuse tout de même une baisse de régime au milieu. Une fois le processus de reconstitution engagé, on a pigé l’idée, mais Nicolas Bedos fait trainer en longueur avant de faire basculer son film. On se doute très tôt que Victor est attiré par l’actrice Margot, ce que ne supporte pas Antoine, irascible, contraint d’imaginer de nouveaux tours de passe-passe pour y remédier.
Le film joue sur deux périodes, en 1974 on est en studio, avec un type d’image, des lumières chaudes, en 2019 la dominante est plus froide, géométrique. Victor fait des allers retours entre les deux époques, ce qui nous vaut des scènes de comédies avec Marianne et son amant (Denis Podalydès). Bedos soigne les nombreux seconds rôles, les dialogues sont souvent inspirés, drôles, Bedos est habile. Il se fait plaisir avec une mise en scène très soignée, filme avec un plaisir évident son ancienne compagne Doria Tillier, une admiration évidente Fanny Ardant, qui est formidable. Guillaume Canet est odieux, Arditi très attachant.
On aurait aimé un film mieux rythmé, la séquence très caricaturale avec les hippies se trainent un peu, Doria Tillier est très belle, on sait, on le voit, inutile de la filmer danser sous toutes les coutures, mais l’idée de la fin est très belle. Comme dans le dernier Tarantino, Nicolas Bedos fantasme et reconstitue une époque qu’il n’a pas connue (il est né en 79) sans être dupe pour autant, quand il fait dire à Fanny Ardant : « les années 70, y’avait pas l’avortement et on vivait dans un cendrier ». Une comédie qui se donne les moyens de son ambition, très agréable à suivre, saupoudrée de bonnes répliques, et une jolie troupe de comédiens.

couleur  -  1h55  -  format scope   

     

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