samedi 9 novembre 2019

BEETHOVEN – Triple Concerto opus 56 – Oïstrakh / Rostropovitch / Richter / Karajan (1969) – par Claude Toon



- Une symphonie et un trio les deux semaines passées M'sieur Claude… Bruckner et Brahms. Là, c'est la compilation : un concerto pour trio ? Hihihi…
- Bien senti Sonia ! Il y a de cela dans cette œuvre assez unique en son genre, pas un grand chef-d'œuvre de Beethoven, mais un concerto populaire…
- Ce n'est pas trop foutraque cette joute entre trois artistes et un orchestre ?
- Non, sous réserve que les instrumentistes ne tirent pas chacun la couverture vers eux…
- Eh bien : Oïstrakh, Rostropovitch, Richter, Karajan, ça s'appelle mettre les petits plats dans les grands… fichtre !
- Oui en effet, quatre des plus grands instrumentistes de l'époque… Un point d'orgue d'une collaboration entre le maestro et chaque soliste ou entre solistes aussi…

Joseph Franz von Lobkowitz
Le numéro d'opus 55 de la symphonie "héroïque" montre que ce monument, pierre fondatrice du romantisme, est quasiment jumeau de ce pittoresque concerto opus 56. Les deux ouvrages ont été composés en parallèle et publiés à la même date, le 26 août 1804 par Breitkopf & Härtel. Le concerto ne sera créé qu'au printemps 1808 dans la salle de musique du Palais Lobkowitz en privé et après maints reports, sans doute à partir de partitions manuscrites. La révolutionnaire symphonie N°3 sera jouée pour la première fois 1805. À propos de romantisme, ce concerto volubile répond à ce style qui voyait le jour sous la plume de Beethoven. L'introduction symphonique olympienne, le discours épique entre les solistes, l'importance donnée au rôle de la voix grave du violoncelle… divers éléments qui se conjuguent pour distinguer ce concerto de ceux écrits pour piano seul entre 1798 et 1802.
On pense parfois à tort, et le tort tue, que ce concerto à trois solistes est l'unique du genre… Que nenni ! II en existe une trentaine mais parmi les compositeurs de premiers plans, oui, seul Ludwig van a abordé le genre. Dans les compositeurs présents dans l'index, on ne trouve qu'Alfredo Casella (pas non plus un second couteau inconnu) à lui avoir emboîté le pas, c'est tout dire…
Le concerto est dédié au mécène Joseph Franz von Lobkowitz, prince de Bohème, qui fut un soutien de taille à Beethoven. Handicapé des hanches, marchant avec des cannes, Lobkowitz jouait brillamment du violon et dépensait sans compter pour financer la vie musicale du temps ; notamment en faisant construire une belle salle de concert dans son palais où fut vraisemblablement joué ce concerto. Il n'est en rien un noble passéiste et conservateur, au contraire il se révèlera un fan du romantisme. Côté dédicace, quels honneurs plutôt que des médailles clinquantes gagnées sur les champs de bataille napoléonienne à dix lieux des combats : la symphonie "héroïque", les symphonies 5 et 6 "Pastorale", les six quatuors de l'opus 18 (de 1800), un cycle de lieder À la Bien-aimée lointaine (1816). Bigre !
Ce concerto n'a pas d'histoire particulière dans la carrière de Beethoven. Même si on a supposé que l'ouvrage ne répondait pas à une commande mais plutôt à une intention du compositeur d'offrir une partition brillante et de divertissement à l'Archiduc Rodolphe d'Autriche, lui aussi l'un de ses mécènes (Clic), devenu excellent pianiste grâce à Beethoven, nous n'avons aucune trace de l'exécution du concerto par ce noble personnage… Ne tournons plus autour du pot, la profondeur psychologique de l'œuvre n'existe pas vraiment. Un chouette et vivant concerto…
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Karajan, Richter, Rostropovitch, Oïstrakh
Sonia s'extasiait devant le casting de l'interprétation choisie pour illustrer ce billet. Une référence ? Et bien pas vraiment, mais pour cette œuvre un peu mineure mais guillerette, on ne s'ennuie pas.
Des biographies consacrées aux quatre protagonistes sont à lire dans divers articles. Le pianiste russe Sviatoslav Richter animait les quintettes de Dvoràk et de Franck (Clic) et (Clic). Son compatriote tout comme Rostropovitch, le violoniste David Oïstrakh était le soliste des concertos de Sibelius, de Tchaïkovski et de Bach et de la sonate à Kreutzer de Beethoven (Clic). Le violoncelliste Mstislav Rostropovitch dans Schelomo de Bloch, Don Quichotte de Richard Strauss avec Karajan, et le célèbre concerto de Dvoràk mais avec Adrian Boult à la baguette (Clic).
Quant au maestro autrichien symbole du star system classique, assurant 50 % des ventes discographiques classiques de la seconde moitié du XXème siècle, qui ne le connait pas ? Au cas où, je n'énumère pas les nombreux articles sur les interprétations choisies dans ses must (tout n'est pas systématiquement génial chez ce chef adepte des studios de manière presque compulsive), la biographie détaillée est à lire dans la chronique dédiée au Requiem Allemand de Brahms (Clic).
En 1969, EMI Classics, label majeur du marché du disque classique (en concurrence avec CBS, RCA, DG et DECCA) décide un coup marketing en réunissant quatre des artistes les plus célèbres de l'époque. Tous sauf Richter avait été en contrat avec la firme coachée pour le domaine classique par Walter Legge, créateur du Philharmonia encore dirigé à l'époque par Otto Klemperer. Rostropovitch gravera Don Quichotte avec Karajan en 1975, le même Karajan qui avait accompagné Oïstrakh en concert, en 1961, dans le concerto de Brahms, et avait gravé pour DG le concerto N°1 de Tchaïkovski en 1962 avec Richter, une référence. En un mot, tous les artistes se connaissaient et s'appréciaient… On aurait dû s'attendre à une belle complicité…
Disposition du "trio"
Hélas, entre les égos bien trempés de Karajan l'hédoniste et de Rostropovitch qui n'avait rien à lui envier concernant un penchant marqué pour la médiatisation, Beethoven sera un peu oublié😊. Quant à Oïstrakh et Richter très humbles et s'effaçant face aux intentions des compositeurs, ils garderont un mauvais souvenir de l'autoritarisme du premier (qui évoluera en combat de coqs lors des films réalisés avec le génial mais guère plus conciliant H.G. Clouzot.) (Clic)
Je cite un commentateur assidu et talentueux d'Amazon nommé Pèire Cotó, il résume parfaitement l'affaire : "Ensuite, les différents protagonistes ne s'entendaient pas et n'avaient pas fait les nouvelles prises qui auraient pu améliorer les choses, la responsabilité essentielle étant celle de Karajan, toujours pressé. Richter a décrit cet enregistrement, l'atmosphère plus que le résultat, comme "horrible", ce qui reflète son exigence musicale. Avec de telles personnalités, il reste bien entendu une certaine majesté, des beautés de détail et même un Largo assez impressionnant. Mais cherchons ailleurs la bonne version du Triple Concerto." Donc un disque quand même sympa, mais oui il y aura une discographie alternative…
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Le concerto comprend trois mouvements, forme classique. Beethoven avait-il en tête l'idée d'écrire un concerto grosso à l'ancienne ? Son orchestration est celle en usage à la fin du classicisme et début du romantisme :
Piano, violon et violoncelle solistes. 1*/2/2/2, 2 cors et 2 trompettes*, 2 timbales*, groupe des cordes. (*) Non utilisés dans le largo.

Salle de concert du palais Lobkowitz
1 - Allegro (do majeur) : le premier thème se veut martial, impérial. Une première phrase aux cordes seules pp puis avec un cor discret un crescendo jusqu'à ff. [1:04] le second thème plus galant fera appel à l'harmonie. [1:04] Le violoncelle énonce une reprise agrémentée de quelques fioritures, il est suivi du violon qui fait de même. L'entrée du piano sur un motif guilleret se fait avec un soutien de discrète scansion du violoncelle. La suite ? Des passages rappelant le jeu d'un trio, des envolés lyriques de l'orchestre, la grandeur s'opposant à la fantaisie. Mouais, on pourra trouver la philharmonie de Berlin au grand complet un peu envahissante, le phrasé entre les interprètes un tantinet décousu, mais les couleurs sont si belles et Beethoven n'a pas lésiné sur la poésie et la vivacité. 18 minutes, un peu long, quelques redites, mais quand la construction est limpide et les thèmes attrayants, on ne boude pas son plaisir !

2 - Largo (attacca - la bémol majeur) : Pour le ravissant largo (très court, lui), Beethoven supprime quelques instruments dont les trompettes et les timbales. Nous écoutons un nocturne pour trio accompagné avec délicatesse par les bois et quelques cordes. Diable d'homme, même dans l'alimentaire (vilain mot), nous restons fascinés par un enchantement… Le compositeur se paye le luxe d'un petit développement élégiaque en milieu de parcours !

3 - Rondo alla polacca (do majeur) : [23:28] Un rondo festif commençant par l'énoncé d'un thème soliste par soliste conclut gaiement cette partition pas si secondaire que cela. Quant à jeter cette interprétation aux orties, il faut vraiment être de ceux qui crachent dans la soupe… Le développement aux accents tziganes (une impression) est vraiment rigolo. (Partition)


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Il existe de nombreuses éditions de ce concerto. Curieusement, peu se maintiennent au catalogue. Donc si le style Karajan ne satisfait pas pleinement malgré un très bon couplage avec le double concerto de Brahms sous la direction de George Szell, voici deux idées :
Encore une réunion de grands instrumentistes de la fin des années 50 : Géza Anda au piano, Wolfgang Schneiderhan au violon et Pierre Fournier au violoncelle, Ferenc Fricsay dirigeant le Radio-Symphonie-Orchester. J'ai découvert l'œuvre avec cette interprétation d'une grande probité (DG – 4/6) En complément, de nouveau le double concerto de Brahms, mais avec Janos Starker au violoncelle.
Plus récent et très enflammée, Yefim Bronfman au piano, Gil Shaham au violon, Truls Mørk au violoncelle, l'Orchestre de la Tonhalle de Zurich est dirigé par David Zinman. Superbe version où l'on appréciera une fois de plus la science du chef pour faire sonner l'orchestre dans un somptueux registre de couleurs (Arte Nova - 2004 – 5/6) En complément : le septuor.

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2 commentaires:

  1. Petit rectificatif : le Don Quixote de Strauss selon Karajan/Rostropovich date de 1976. A la fin des années 60, ce sont le concerto pour violoncelle de Dvorak et les Variations Rococo de Tchaikovsky qui sont enregistrés par ces deux artistes. Karajan avait également travaillé avec Richter auparavant -1er concerto pour piano de Tchaikovsky-, mais jamais avec OIstrakh.
    Richter, qui a eu la dent dure envers de très nombreux artistes qui collaborèrent avec lui, a gardé, semble-t-il, des souvenirs amers de ces deux collaborations avec Karajan -tout en admirant ponctuellement l'art de ce chef-, alors que Rostropovich l'estimait beaucoup.
    Quoi qu'il en soit, j'aime beaucoup cette version, qui tire l'oeuvre vers le grand style symphonique, sans en faire un contre-sens cependant. A ce titre, elle me semble plus réussie, dansz cette optique, que celle de Fricsay, que j'aime cependant beaucoup aussi. Plus tard, Karajan est revenu vers ce concerto dans une optique plus chambriste avec de jeunes solistes -Mutter, Ma et Zeltser, tous trois dans leur prime jeunesse.

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    1. Je dois être surmené !
      En effet, le Don Quichotte a été capté en janvier 1975. Je vais corriger...
      Le concert Oïstrakh-Karajan pour Brahms a été donné à Vienne en 1961 d'après le livret du CD. Il n'existe pas de disque des deux hommes ensembles.
      Oui j'aurai pu évoquer le remake Karajan Mutter, Ma et Zeltser, mais je ne connais pas cette version.

      Tout autre chose. Le déblocnot recrute pour des papiers sur tout sujet, nos commençons à manquer d'idées et de bras, donc si(vous) le cœur t(vous) en dit... Me contacter via une réponse ici. (le mail dans contact est capricieux :o().
      Dans tous les cas encore merci pour ces remarques et bon WE.

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