samedi 2 juin 2018

DVOŘÁK - Quintette N°2 "Dumka" – S. RICHTER & Quatuor BORODINE – par Claude Toon



- Cool M'sieur Claude… Un quintette pour quatuor à cordes et piano, de la musique aux sonorités légères, vous n'en parlez pas très souvent je trouve…
- Et pour cause Sonia, cette formation doit donner du fil à retordre aux meilleurs compositeurs et rares sont ceux qui en écrivent plus d'un…
- En effet, je vois votre courte liste de grands noms, on peut ajouter Chostakovitch je crois… Dvořák a mis un certain temps à maîtriser son art, c'est le cas ici ?
- Non, depuis une bonne dizaine d'années et son Stabat Mater (écouté la veille de Pâques), Dvořák est entré dans la cour des grands, ce quintette est une réussite…
- C'est quoi "Dumka" ? Une recette nationale tchèque ? Sviatoslav Richter, une fois de plus certainement une grande interprétation ?
- Hihi, gourmande… Non une danse ukrainienne, on entend aussi une polka, un furiant, etc. Au fait, merci Sonia pour l'idée Chostakovitch, je vais réfléchir…


Dvořák en 1887
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Ah le quintette avec piano, une forme si difficile à maitriser que les réussites sont rarissimes. Je l'avais déjà souligné lors de commentaires consacrés aux quintettes de Brahms, Schumann, Franck et les deux de Fauré (Index). À noter que les trois premiers compositeurs, dont deux grands chambristes, n'ont écrit qu'une seule œuvre dans le genre à côté de plusieurs quatuors, trios ou sonates, c'est tout dire…
En 1887, Dvořák a un catalogue très étoffé avec de nombreuses partitions qui deviendront des hits de la musique classique : onze quatuors, sept symphonies, les concertos pour piano ou violon et le fameux Stabat Mater qui lui a donné une reconnaissance internationale. Comme je l'ai souvent écrit, Dvořák n'était pas un jeune surdoué comme Mendelssohn ou Mozart. Ses premiers quatuors pour fixer les idées à propos de la musique de chambre dépassent parfois l'heure mais avec trop peu de belles idées thématiques et d'habileté dans les développements pour passionner l'auditeur. Ils sont rarement joués d'ailleurs… Une biographie résumée est à lire dans l'article de 2011 consacré à la Symphonie du Nouveau monde (2011 ? Déjà ! – Clic).
Dvořák avait écrit un premier quintette dans sa jeunesse, en 1872 pour être précis. Il porte le numéro d'opus 5. Un œuvre qui n'est aucunement gauche et complète d'ailleurs le très célèbre n°2 opus 81 sur le disque de Richter et des Borodine. Si sa structure reste bien académique, il en émane une belle joie de vivre…
Dvořák a 46 ans quand il entreprend l'écriture de l'opus 81. Le compositeur séjourne à Vysoká, en cette terre de Bohème qu'il affectionne tant, qui lui manquera lors de son séjour à New-York de 1892 à 1895 comme directeur du conservatoire. En trois mois la partition est achevée. Le quintette sera créé en janvier 1888. Ces années-là, la Bohème connaît une vie musicale particulièrement active. Prague a vu naître un Théâtre national tchèque et une Société de musique de chambre. Bien que sollicité pour s'installer à Vienne, le centre du monde musical, Dvořák reste attaché à sa patrie et va apporter sa pierre à ce mouvement musical avec son quintette. Ainsi, si le style de la composition doit beaucoup à l'influence germanique, aux conseils de son ami Brahms, la présence de motifs de danses typiquement bohémiennes et ukrainiennes va lui apporter un cachet teinté de folklore slave.
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Nous avons déjà écouté Sviatoslav Richter et le Quatuor Borodine en complicité dans leur interprétation du Quintette de Franck (Clic). Les artistes ont également gravé ceux de Brahms et de Dvořák ainsi que le Quintette la Truite de Schubert. Le portrait du pianiste et des quatre instrumentistes du quatuor a déjà été dressé pour ce premier article. Le quatuor fondé par Rudolf Barshai en 1945 existe toujours et a connu forcément de nombreux remaniements. Pour ce concert en Live de 1982, sont présents : Mikhail Kopelman : premier violon, Andreï Abramenkov : second violon, Dimitri Chebaline : alto, Valentin Berlinsky : violoncelle (de 1945 à 2007 soit 62 ans ! ✟ en 2008).
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Sviatoslav Richter et Le Quatuor Borodine
Le quintette est construit de manière très classique en quatre mouvements avec le scherzo précédant le final.

1 - Allegro ma non tanto : [0:12]  Le piano égrène de doux arpèges aux motifs répétitifs, chacun noté Ped, comme si Dvořák voulait insister sur le jeu très legato propice à des effets tendres et poétiques. Le violoncelle va énoncer à la 3ème mesure le thème principal, élégiaque et pastoral avec la douce tonalité de la majeur. Un thème élaboré, relativement long et mélodieux. [0:39] Les cordes attaquent f une seconde idée plus vaillante, épique, bien dans le style romantique. Le piano change de ton, alignant des accords staccato et parfois arpégés. Une richesse d'invention alliée à des contrastes enflammés qui nous prennent à bras le corps. Ce quintette captive d'emblée le public par sa thématique attachante, tantôt nocturne, tantôt débonnaire, facile à mémoriser. Pas de sombres pensées, le flot mélodique se développe gaiement de manière infiniment colorée. [1:32] L'alto se voit confié le second thème de style champêtre. Certes la forme sonate reste de mise, mais le compositeur émaille son allegro de mille transformations et trouvailles qui chassent toute velléité d'académisme. Les dialogues en duo sont nombreux. Bien que le discours soit très concertant, jamais nous n'entendons un concerto piano et cordes. [7:43] Bel exemple de la fantaisie qui anime l'œuvre avec un passage aux accents bucoliques suivi d'une transition vers un échange plus musclé entre le clavier et les cordes, lyrique à souhait.
Dans cette interprétation de concert, les artistes dépeignent le bon vivre en Bohème. Avec un remarquable équilibre entre un jeu de Richter athlétique mais articulé (on s'en doute) et un Quatuor Borodine, au vibrato économe, la clarté est de mise. Dvořák joue la carte du lyrisme et de la danse populaire, celle de la bonhomie et de la fête avec de-ci de-là des caresses sensuelles. La coda fort énergique récapitule les motifs fondamentaux de cet allegro qui s'achève en tornade.

Václav Radimský (1867-1946) : paysage
2 - Dumka. Andante con moto : [13:35] Ce mouvement intitulé Dumka du nom d'une danse ukrainienne débute sur une mélodie mélancolique jouée au piano avec un accompagnement pp élégiaque, presque triste, du quatuor. [16:50] Brusque changement de climat avec le thème le plus célèbre de l'œuvre : une romance chorégraphique dans laquelle s'imposent les cordes notamment en pizzicati. Sans doute l'un des plus beaux thèmes imaginés par Dvořák. La nostalgie des premières mesures contraste fortement avec la délicate vitalité de ce passage au style folklorique très marqué. Le compositeur va développer ces deux idées à travers plusieurs variations. La partie centrale s'architecture à partir du premier thème. [21:58] L'une de ces variations adopte un ton très allant de fin de danse paysanne très frénétique, tout cela fleure bon les rythmes bondissants venus de pays slaves. Dvořák nous promène à travers champs, de village en village. Comme dans l'allegro, mille couleurs sonores émaillent le discours : des trilles du violon solos au chant allègre mais tout en retenue du piano. [23:58] La seconde thématique guillerette ressurgit après une réexposition de l'introduction, technique offrant au morceau une structure cohérente, pour ne pas dire très classique, mais sans lassitude de par le côté attachant, lyrique et inventif des matériaux mélodiques. Un grand moment de musique populaire, au sens ethnologique du terme. L'andante s'achève de manière quasi nocturne. Quand la légèreté rencontre la fraicheur

3 - Scherzo (Furiant). Molto vivace : [29:52] Encore un sous-titre : "furiant", une danse traditionnelle de Bohème qui porte bien son nom. Le premier violon énonce vigoureusement le thème principal, des notes syncopées de l'alto et du violoncelle donnant à l'ensemble un rythme endiablé. Le piano intervient pour colorer de manière ludique mais discrètement cette danse "furieuse". [31:20] Le trio calme le jeu et se présente en forme de dialogue entre les divers instruments, de fantasques pizzicati établissant le lien avec le scherzo. [32:52] Le scherzo fait son retour brièvement. Dvořák a définitivement découvert l'un des secrets des compositeurs de premier plan : la concision.

4 - Finale. Allegro : [33:37] Dvořák fait décidément le choix de la vitalité. Une cavalcade introduit le final. Toujours ce climat de liesse et de thèmes très dansants. N'oublions pas que le compositeur sera l'auteur de deux cahiers de danses slaves pour orchestre qui sont le pendant des danses hongroises de son ami Brahms. Très en verve, la musique va gagner en enthousiasme de mesure en mesure, laissant par moment percer un air plus rêveur au piano. Le mouvement repose sur un motif de polka, comporte un passage fugué et se conclut dans une gaité folle. Pas une once de réflexion gravissime ou de pathétisme dans un ouvrage essentiel dans le parcours chambriste de Dvořák.
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La discographie de ce quintette est pour le moins abondante. Par ailleurs, Dvořák n'aimait guère les affres philosophiques et sa musique est souvent bien jouée et agréable à écouter. La transparence et le sens du rythme se retrouvent dans de nombreuses gravures et le couplage sera un élément de choix en cas d'achat d'un CD. Pour le disque de ce jour, un complément intéressant et rare : le quintette de jeunesse opus 5 interprété avec la même fougue.
Voici trois beaux disques :
J'avais commenté le Quatuor "américain", le plus célèbre du cycle des 15 quatuors du maître, dans l'interprétation remarquable du Quatuor Jérusalem. Le CD était fort à propos complété par une excellente version du Quintette avec Stefan Vladar au piano. Un artiste autrichien également maestro (HM – 6/6).
EMI a eu l'idée géniale de réunir une anthologie de quatre quintettes parmi les hits du répertoire, ceux de Schubert, Dvořák, Brahms et Schumann. Seuls ceux de Brahms et de Dvořák sont pour piano, mais c'est une aubaine. Inutile de préciser que le quatuor Alban Berg est au sommet dans les quatre partitions, L'exemple même du double album découverte incontournable (EMI – 6/6).
Autre disque très original : Jean-Marc Luisada et le Quatuor Talich nous ont offert une très belle version complétée de la transcription pour piano et cinq cordes du 1er concerto de Chopin. Le compositeur avait créé son œuvre avec cet ensemble car aucun orchestre n'avait accepté d'assurer la première. (RCA – 5/6).

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