Surprenant dans le sens où, aux premières écoutes, surnage une amère sensation d'inachevé, et surtout d'un manque notable de piment et de gnaque.
La faute incombant principalement à la fin du disque et à son étonnant medley qui, en dépit d'indéniables bons instants, sonne finalement assez creux. Il y a également la première pièce, "Nobody" qui bien qu'ayant été sélectionnée pour faire l'objet d'un clip, fait pâle figure en comparaison de ce à quoi nous ont habitué ces Canadiens. Morceau sympathique mais bien sage, auquel manque un peu de virulence pour échapper à cette sensation de pilotage automatique et de conventionnel. Même le duo de guitare, à la tierce, fait figure d'un plan d'école première année. Oui, dans le groupe on apprécie les groupes à "twins-guitars", tels Thin Lizzy ou l'Allman, mais on en est loin, du moins avec cet exemple ; et lorsque, enfin, ça décolle, on referme rapidement la parenthèse sur un fade out.
Est-ce la faute de Jimmy Bowskill, le remplaçant de Rusty Matyas qui avait quitté le groupe en pleine tournée ? (mais pour quelle raison ? Il semble y avoir un problème avec le poste de second guitariste).
Ce petit gars à la bouille avenante qui, à onze piges à peine, jouait sur le trottoir devant le Jeff Healey's Road House, à Toronto, jusqu'à ce que l'aveugle le plus célèbre du Canada - et propriétaire du club en question - l'invite enfin à le rejoindre sur scène (une concession exceptionnelle à sa résolution d'interdire l'entrée de son club aux mineurs). Plus tard, adolescent, ce sera Buddy Guy qui l'invitera, puis Jeff Beck. Le gamin précoce, boosté par la testostérone, épaissit progressivement son Blues pour, aux alentours de ses vingt ans, l'amener à la mince frontière séparant un Blues-rock héritier du British-blues et d'un Hard-blues 70's guindé. Une réputation de fan de Paul Kossof le précède alors ; ce qui peut s'entendre sur certaines de ses compositions, sans oublier ses reprises de "Ride a Pony" et "Walk In My Shadows" de Free. En plus des "Sin's a Good Man's Brother" de Grand Funk Railroad, "Rattlesnake Shake" et "Oh Well" de Fleetwood Mac. (ce garçon a du goût).
Avec ses prestations live où ses rythmiques prennent du poids, où ses soli s'étirent un peu sans perdre en expressivité et sa slide devient incandescente, on espérait que son intégration au sein des Sheepdogs donnerait un prochain album flamboyant, reflet de la confrontation de l'énergie, de la spontanéité et du mordant de "Learn and Burn" avec le tempérament et la classe de "Future Nostalgia".
De quoi faire saliver les plus exigeants. Et bien non. Peau d'balle !
Jimmy Bowskill |
Qu'est donc devenue la tessiture granuleuse de la guitare de Bowskill, de son jeu synonyme d'une jeunesse irradiant d'énergie. Où est donc passée sa fougue ? Partie avec son radical changement de look ?
Et sa voix âpre de Blues-rocker blanc, forgée à l'écoute des Paul Rodgers, Peter Green, B.B. King et Gary Moore ? Toutefois, les chœurs ayant une certaine importance au sein de la formation, Bowskill, bien qu'assez discret, apporte néanmoins une touche bienvenue de Soul. Cela a d'autant plus d'importance que The Sheepdogs est une formation qui travaille ses chœurs et contre-chants ; d'où, à ce titre, la comparaison récurrente avec Crosby, Still, Nash & Young.
Apparemment, plutôt que de lui lâcher la bride, on lui a demandé de prendre de temps à autre la lap-steel guitar. Du coup, cet instrument prend un peu plus d'importance - il était déjà présent auparavant mais à titre vraiment occasionnel - et, hélas, bien des fois pour des phrasés d'un classicisme absolu, parfois proches d'un vagissement plaintif et larmoyant, un nappage mielleux sur des morceaux qui, a priori, n'en avaient nullement besoin. Au contraire. "Let It Roll" (que l'on a comparé à du Lynyrd Skynyrd ??? Y aurait-il différentes versions ? Ou alors un Lynyrd en mode colonie de vacances, ou chant autour d'un feu de camp. Et encore) en est le pire exemple.
Toutefois, il serait regrettable de passer à côté de ce sixième disque, car il y a tout de même du bon, et du très bon même.
A commencer par la seconde pièce, "I've Got a Hole Where My Heart Should Be", du Southern-rock de haute tenue. Un peu Lynyrd, avec quelques pincées de Catawonpus et une mesure de Blackberry Smoke. Stratégiquement, un morceau qui a tous les critères pour ouvrir les festivités, plutôt que "Nobody", sympathique mais un poil trop Pop et sur des rails.
Ewan Currie |
"Saturday Night" continue sur la lancée tout en mettant plus de Rock dans son cocktail. Les paroles sont d'une platitude déconcertante mais la musique, elle, a du relief et du fumet. Simple et efficace.
Le beau "The Big Nowhere" qui, dès les premières notes, parvient à faire resurgir l'essence d'un latin rock comme savait si bien le jouer Santana au crépuscule des années 60 (ça a bien des parfums d'"Evil Ways"), voire de Fleetwood Mac's Peter Green, avec une touche de Pop 70's bien proche de Shocking Blue (1). C'est l'occasion à Shamus Currie de faire son Gregg Rolie dans les règles de l'art, et de démontrer que, sans s'embarrasser d'un jeu ostentatoire, il pourrait bien être la valeur ajoutée de ce quintet de l'Ontario.
Le frérot est d'ailleurs plus présent que précédemment, sans pour autant faire de Sheepdogs à proprement parler une formation à claviers. Bien que ses interventions soient plus nombreuses, il reste encore la plupart du temps couvert par les deux garnements à la six-cordes. Ce n'est pas encore aujourd'hui qu'il va pouvoir marcher sur les traces des Gregg, Rolie et Allman. Pour ça, il compense avec le très bon Bros, le projet fraternel de Soulful racée où il partage le chant et surtout offre ses propres compositions (2) ; au contraire de Sheepdogs qui reste la chasse gardé d'Ewan Currie, quasiment l'unique auteur-compositeur de la bande.
Ces surprenants Canadiens ont plus d'un tour dans leur sac. comme l’atteste "I Ain't Cool", avec ses cuivres. Enfin, c'est encore le frangin, Shamus, qui entre deux accords d'orgue, fait roucouler son trombone à la manière des fanfares de Beale Street ; soit avec du cœur et un semblant de flegme.
"You Got To Be a Man" est un retour aux premiers amours du combo. Du bon Rock un brin sudiste, un poil champêtre, 100% organique.
Après cette bien savoureuse première partie (qui pourrait constituer la première face), The Sheepdogs semble s'épuiser à rechercher une nouvelle voie en fusionnant leur Southern-rock millésimé à d'autres saveurs. Cependant, c'est plutôt réussi.
Ainsi, "Cool Down" se teinte d'un léger voile psychédélique californien ; une rencontre entre The Doors et le Allman Brothers Band. Ou alors le braquage d'un titre de Paul Personne. D'ailleurs, la tonalité du chant se calquerait parfaitement sur celui de Paulo.
Le petit instrumental "Kiss The Brass Ring" tombe dans le Hard-rock 70's à double guitare et orgue Hammond, créant un mélange d'Uriah Heep et d'Allman Bros.
Plus étonnant encore, l'enjoué "Cheeries Jubilee" paraît essayer de mixer le Glam-rock /boogie placide de Marc Bolan au Southern-rock des premiers Marshall Tucker Band.
Par contre, "I'm Just Waiting For My Time" s'immerge dans le British-blues ; plus particulièrement celui de Fleetwood Mac avec Peter Green et des premiers Savoy Brown (période Dave Peverett), dans un slow-blues irradiant d'un spleen cafardeux, enrichi d'un filet de cordes et d'une flûte. La guitare semble même être directement branchée dans un antique et décati Fender Vibrolux.
L'album aurait pu s'arrêter sur ses dernières notes mélancoliques et il n'en aurait été que meilleur, en dépit d'un ou deux titre un peu mous. Mais, le medley rajouté à la fin fait office de cheveu sur la soupe. Parfois, le mieux est le mortel ennemi du bien.
On aurait pu sauver cet élégant "Esprit Des Corps", une porte de sortie dorée, avec son piano faisant cascader des notes cristallines, mais le reste fait pâle figure. Des morceaux plats de deux minutes accolés sans aucun lien, où la notion même de Rock s'estompe. Une forme d'humour ? Un final qui hélas ternit l'ensemble de "Changing Colors". Un patchwork où l'on revient à nouveau au Marshall Tucker Band ... mais dans sa forme Country. Ça flirte aussi avec Pure Prairie Leage. Bowskill sort même le violon. C'est le troisième medley qu'Ewan compose et place en clôture d'un album, mais celui-ci n'est pas aussi réussi que les autres. Des pièces rapportées et mal dégrossies. (3)
Bref, malgré quelques faux-pas, et même s'il n'est pas aussi chatoyant qu'on l'aurait espéré, "Changing Colors" mérite largement le détour, le bon l'emportant sur le passable ou l’anecdotique. Ewan Currie reste fidèle à son style qui n'a pas vraiment évolué depuis "Learn and Burn" ; sa patte est immédiatement reconnaissable - héritage de Creedence Clearwater Revival singularisé par ce souci d'aller à l'essentiel -, et ça sent toujours la campagne. Cependant, on pourra émettre le reproche que ça reste souvent dans les clous, et que les guitares ont perdu de leur rugosité ... désormais, ces chiens là ne sont guère sauvages et ne risquent plus de mordre ; juste de braves chiens de berger ; de bonnes pattes aimant les caresses.
(1) Mais si, vous connaissez certainement le hit "Venus" ; pour les plus jeunes, le girls band Bananarama, en avait fait un hit de Pop-synthétique pour dancing en 1986.
(2) Un disque en 2016, "Vol. 1", uniquement disponible en vinyl et en téléchargement. On y découvre donc que Shamus est également un bon chanteur, à la voix Soul et fragile.
(3) Les deux précédents étant sur "Learn and Burn" et "Future Nostalgia", leurs deux meilleurs disques.
🎼🎶♬
Autre article / The Sheepdogs (clic-lien) : "Future Nostalgia" (2015)
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