vendredi 11 octobre 2019

RIP - GINGER BAKER (1939 - 2019) par Luc B. comme Baker et Bruno


** des balais... humour de batteur.
     Du fameux power trio psychédélique, il n’en reste plus qu’Eric Clapton. Après le décès de Jack Bruce en 2014 (à 71 ans) on a appris que Ginger Baker avait définitivement jeté ses baguettes. Il avait 80 balais, et les balais** ça compte pour un type qui se revendiquait avant tout musicien de jazz.

Clapton, Baker et Bruce
   Il est à jamais associé au super-groupe CREAM, qui n’aura eu pourtant que deux ans d’activité, de 1966 à 1968, c'est dire la déflagration. Le temps de transporter la pop musique dans la stratosphère, de maltraiter à coups de distorsions les classiques blues, saupoudrer de LSD les longues improvisations jazzy jouées sur des pyramides d’amplis réglés sur 11, et importer dans la musique rock les solos de batterie venus du Jazz. Bonham avait son "Moby Dick", Ian Paice son "The Mule", pour Baker c'était "Toad".

     CREAM précurseur du hard-rock ? On le dit, mais pas certain que Baker, Bruce et Clapton fussent d’accord avec ce raccourci, tellement la musique de CREAM brassait d’influences. Réduire Ginger Baker aux deux années de CREAM l’aurait fait hurler (et il hurlait suffisamment comme ça), il était certes un batteur, mais un musicien au sens large, un arrangeur, un leader.

     Célèbre pour sa tignasse rousse flamboyante (d’où le surnom de Ginger, car il se prénommait en réalité Peter Edward) et pour son caractère de chien. Ce n’est pas sympa pour les cleps, mais dans sa dernière maison en Afrique du Sud, il y avait à l’entrée une pancarte prévenant le visiteur « beware of the Baker » et non « beware of the dog » ! Un type imbuvable, caractériel, violent. Son enfance n'a pas franchement baigné dans bonheur, un père décédé quand le gamin a 4 ans, puis souffre-douleur en classe, mais ça n'explique pas forcément ce caractère de chiottes. 

     Dans le documentaire que lui a consacré Jay Bulger en 2012, cette première scène hallucinante : Baker agresse à coups de canne le réalisateur, lui casse le nez, en menaçant : « t’as pas intérêt à mettre dans MON film (sic) tous ces connards que j’ai mis trente ans à oublier !! ». Impression exacerbée par ses yeux de fous dilatés par les drogues. Ginger Baker est resté accro à l’héroïne pendant 20 ans. Substance qu’il découvre en même temps que la musique africaine, chez son maître Phil Seaman (1926-72), batteur qui a joué avec tous les jazzeux britanniques.

     Baker sera profondément influencé par les rythmes des percussions africaines, qui deviendront sa marque. De même qu’il tambourinait son pupitre d’école pour faire danser ses camarades (quand ceux-ci ne lui tapaient pas sur la gueule) il va tambouriner ses toms de batterie, pour créer un tapis percussif, un grondement continu. Pour avoir plus de force et de nuances, il joue avec deux grosses caisses, démultipliant les coups les plus sourds. Puis deux toms médiums sur le devant et deux toms basse sur sa gauche. Et chose assez rare, il en rajoutera parfois deux autres sur la droite ! Sans doute avait-il vu Jo Jones, qui jouait avec un tom basse de chaque côté. Il remplace à lui seul un groupe de percussionnistes, le son de sa batterie reste très brut, tribal, en avant, à l'inverse des mix aseptisés. Il jouait aussi avec un charley réglé très haut, très au dessus des toms, comme quoi la cadence 2/4 lui importait, lui qui choisissait ses accompagnateurs sur ce seul motif : ils ont le rythme.

avec Fela
     Les batteurs star étaient des batteurs de Jazz, Krupa, Roach, Blakey, ou Buddy Rich, dont le kit trônait au devant de la scène. Dans le Rock, la batterie et la basse étaient reléguées au rang de rythmique. Ginger Baker va placer l'instrument au premier plan, surtout dans un trio comme CREAM. C'est la batterie qui va créer le son du groupe, comme plus tard Bonham avec LED ZEPPELIN, ou Keith Moon avec The WHO, ou l’exubérant Mitch Mitchell pour THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE.

     Quand on est un gamin anglais né de la guerre, et qu’on veut jouer de la musique, on ne peut pas faire l’impasse sur Alexis Korner et sa formation à géométrie variable THE BLUES INCORPORATED. Vivier où nagèrent John Mayall, Led Zep, les Stones… Mais quand les jeunes Jagger ou Richards écoutaient Muddy Waters ou Chuck Berry, Baker lui se noyait les esgourdes dans les JAZZ MESSENGERS d'Art Blackey, ou Charlie Mingus. Chez Korner, le gringalet derrière les fûts est un certain Charlie Watts, qui laissera son tabouret à Ginger pour rejoindre les STONES. Aux claviers on trouve le rondouillard Graham Bond, qui bientôt volera de ses propres ailes, avec le collectif GRAHAM BOND ORGANISATION (1965) qui accueillera Ginger Baker à la batterie, John Mc Laughlin à la guitare (futur Miles Davis) et un certain Jack Bruce à la contrebasse. Musicalement c’est l’entente parfaite, mais humainement les deux s’invectivent et se détestent cordialement. Baker se défonce de plus en plus, Graham Bond est junkie lui aussi, ils s’enfilent tous les deux des cocktails d’héroïne, cocaïne et LSD dans la même seringue !  

Ne tenant jamais en place, Ginger Baker monte un nouveau groupe. Avec qui ? Son meilleur ennemi Jack Bruce ! CREAM est né, rejoint par Eric Clapton à la guitare. C’est enfin la gloire, mais Baker expliquera qu’il n’en retirera aucun bénéfice pécuniaire, car les batteurs sont considérés dans l’industrie musicale comme des arrangeurs, et un arrangeur ne perçoit pas de droits d’auteur. C’est Jack Bruce qui touche le pactole. 

de g à d : J. Bruce, G. Baker, G. Bond,  J. Mc Laughlin
     Fin de l’aventure psychédélique en 1968, Clapton jette l'éponge, lassé des guerres intestines. Le guitariste monte le groupe BLIND FAITH avec Steve Winwood, et qui a eu vent du projet et s'y s'invite ? Ginger Baker et son kit infernal ! L'aventure ne durera guère, par manque de préparation, et Eric Clapton ne semble pas à l'aise avec son ténébreux batteur. De la part de ce nouveau super groupe si prometteur, restera à la postérité leur premier concert, à Hyde Park, en juillet 1969, avec un Clapton et un Baker étonnamment sages et réservés, et un unique et magistral album (c'est la première pochette sans titre et sans patronyme de l'histoire de la musique populaire).
  
  Baker se lance alors en 1970 dans le GINGER BAKER'S AIR FORCE, puis s’envole pour l’Afrique, un continent qui le fascine tout comme sa musique. Il traverse le Sahara en voiture !  C’est la rencontre avec Fela Kuti, la star du Nigéria et du continent africain. Baker joue et enregistre avec lui, trop heureux d’être dans le saint des saints de l’Afrobeat. Il s'installe à Lagos (Nigéria). C’est en Afrique qu’il se prend de passion pour le polo, montant des clubs, des championnats, y engouffrant le peu d’argent qu’il arrive à gagner. C’est la rupture avec Fela (divergence pseudo politique), un nouveau départ aux Etats Unis pour essayer de décrocher de la drogue, en vain, puis Hawaï, en vain toujours. 

En 1974, il monte le BAKER GURVITZ ARMY avec les frères Gurvitz (Gun, Three Man Army). Mais là encore, en dépit de trois albums très intéressants, mêlant habilement le Heavy-rock au Rock-progressif avec quelques soupçons de Jazz, l'aventure tourne court. Le dernier effort à l'approche relativement plus commerciale, trahi probablement un besoin inassouvi de reconnaissance. Les concerts n'en sont pourtant que plus riches, avec notamment l'apport Soul de Mr Snips (Sharks, Chris Spedding). Cependant, quelques dissensions surgissent avec Adrian Gurvitz. C'est au moment où Ginger ne semble plus autant investi dans la musique. Le décès subit du manager met définitivement fin à cette formation.  
[Plus tard, le bassiste, Paul, qui a côtoyé certains des meilleurs batteurs des 70's (dont Buddy Miles et Carmine Appice) dira de Baker qu'il est le plus original avec qui il ait joué.]

Néanmoins, il retourne rapidement à sa carrière solo en embarquant à sa suite le chanteur Mr Snips.

Baker's Jazz Confusion
     Dans les années 80 il joue avec le célèbre groupe de space-rock Anglais, les HAWKWIND pour un seul album - ou un et demi si l'on tient compte de la première face de "Zones", l'album électro de 1983, contenant démos et pièces live avec Baker - mais Baker ne tient pas en place, aucune formation ne tient sur la longueur.

En 1985, il surprend de nouveau en rejoignant le provocateur John Lyndon au sein de son Public Image Limited, pour l'enregistrement du disque "Album". Si Ginger n'aura pas que des mots doux envers l'ancien Sex Pistols, ce dernier, au contraire, aura toujours à cœur de vanter son talent. Après cette expérience éphémère, il poursuit une carrière en dilettante, accompagnant à l'envie diverses formations ou en se consacrant à sa carrière solo recentrée sur le Jazz fusion.

     En 1993, il est à nouveau sous les projecteurs en renouant avec un vieux compagnon, Jack Bruce, pour un énième super-groupe avec un Gary Moore, trop heureux de jouer avec deux de ses idoles. L'album, "Around The Next Dream" (lien), sorti en 1994 - dont seul Ginger est mis à l'honneur sur la photo de pochette, avec clope au bec et une belle paire d'ailes au dos - ne parvient pas à faire de vague dans une Amérique obnubilé par la scène de Seattle. Cependant, l'accueil de l'Europe est plutôt chaleureux. Hélas, cela ne suffit pas à cimenter ce trio de luxe qui ne passe pas l'année.

     Le problème c’est qu'il est ingérable. Personne ne veut de lui. Il considère Eric Clapton comme son seul véritable ami dans la profession. Et même Clapton avec toute la patience du monde, le trouve trop toxique pour le fréquenter intimement ! Baker explore toujours le jazz, il produit des séances avec ses idoles Art Blakey, Elvin Jones, Max Roach, enregistre avec Charlie Haden, crée son BAKER'S JAZZ CONFUSION. En 2005, reformation éphémère de CREAM pour quelques concerts londoniens et un cd live, un nouvel accord financier, et enfin les royalties qui tombent.

     Il réalise son rêve, s’installe en Afrique du Sud, élève quelques chevaux, joue au polo, et ressort ses baguettes de temps à autre, avant qu’un médecin lui déconseille les concerts, ayant le cœur trop abîmé par 60 ans d’excès et sa légendaire irascibilité. Trois mois plus tard, en juin 2016, il subit une opération à cœur ouvert. Auparavant, en 2012 il accepte le projet du réalisateur Jay Bulger de faire un documentaire sur lui : « Beware of Mr. Baker ». Baker s’y révèle odieux comme d’habitude, mais d’une parfaite honnêteté. On l’entend lancer un « John Bonham, très bon technicien mais qui swinguait comme un sac de patates », et à propos de Keith Moon (dont pourtant le jeu tout en roulement aurait dû lui plaire) on a juste droit à un beurk irrespectueux !   

     Ginger Baker était un homme peu fréquentable, exécrable mari, père absent, attiré par des filles d’autant plus jeunes qu’il vieillissait de son côté… Son bonheur consistait en une caisse de bière, deux putes et une batterie. On ne peut pas le réduire à un simple batteur de rock, il aimait surtout le jazz-fusion  et pouvoir être reconnu parmi ses pairs (de baguettes). Avant Paul Simon ou Peter Gabriel, il a fusionné la musique pop et les rythmes africains, dirigé ses innombrables formations comme des big band de jazz, explosant les formats à coups d’improvisations. 

L'éruptif batteur est mort au vénérable âge de 80 ans (autrement dit, un rescapé !) le dimanche 6 octobre 2019, à Londres. Je lui souhaite le plus tard possible, mais si d'aventure le ténébreux Ritchie Blackmore venait à le rejoindre là-haut, le duel risque d'être sanglant, entre lancer de cymbales dans la tronche et coups de stratocaster dans la face, avant de se rejoindre devant une bonne bouteille.

(merci à Bruno pour avoir saupoudré cette nécro de toute son érudition. Vu le coco, fallait bien s'y mettre à deux !)



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1 commentaire:

  1. Ben c'est vrai que Keith Moon, à par remplir et surcharger en roulements et descentes de toms à tout va... pas très inventif le zozo. Beaucoup de bruits et une grande excentricité (qui lui aura d'ailleurs coûté la vie), mais a part ça ?

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