- Eh oh
M'sieur Claude, du classique un lundi et un mini article comme en été ?! La
grève perlée ? La vieillerie ? Vous ne lisez ou ne regardez plus rien ?
- Mais c'est
quoi ce procès d'intention Sonia ? Enfin, mon petit ! Cela dit ce n'est pas
faux, je n'ai pas lu de livre qui justifie un papier, ni vu un film non plus…
- Je crois
que la valse de Ravel est un peu une caricature du genre, pas vraiment les
froufrous viennois ou la guinguette ?
- Ah c'est
bien ça, dites-moi… Oui, Ravel en 1920 est amer après l'hécatombe des tranchées,
les valses de Vienne ne l'amusent plus…
- Elle n'est
pas un peu ridicule la jaquette, Enfin, peu importe, nous retrouvons Claudio
Abbado à Londres, surement une belle interprétation…
- Oui très
fluide sa direction, comme toujours. Quant à la pochette, c'est le style de la
collection Trio : 3 "quelques-choses" : papillons, clés à molette,
camemberts…
Bon Ok, le lundi je vous propose souvent un papier sur
un bouquin ou un film mais là c'est la panne sèche, ça nous arrive parfois au
Deblocnot… J'adore Ravel, d'ailleurs nous avons
écouté le concerto
en sol et Ma Mère l'Oye il n'y a pas très
longtemps. La valse est une œuvre courte, sarcastique et merveilleusement
orchestrée, d'une douzaine de minutes. Ça me permet de vous proposer une
"brève" sympa sans risquer le burne-out.
- Heu M'sieur
Claude, je crois que l'on écrit Burn-out, je vais vérifier mais j'en suis presque
sûre…
- Ah bon,
pourtant j'ai demandé à M'sieurs Rockin et Luc, ils m'ont confirmé cette orthographe…
Oui vérifiez, je me méfie…
Ô et puis on n'est pas obligé d'écrire un roman fleuve
tous les jours, même en classique.
Je ne présente plus Maurice
Ravel, compositeur français, l'un des plus marquants, qui a déjà
visité nos pages de nombreuses fois, à commencer par l'immortel Boléro,
une œuvre célébrissime qui donna lieu à un premier article dans lequel on
trouve une biographie résumée du compositeur. (Clic)
Projetons-nous en 1920.
Avec ses millions de morts et de mutilés, la plaie morale de la grande guerre n'est
pas encore cicatrisée. Ravel
a servi comme ambulancier, plus pour aider ses compatriotes que la Patrie et
sans vraiment détester les pauvres gars du camp adverse (À l'ouest – ou à
l'est – rien de nouveau pour paraphraser Erich-Maria
Remarque). Il a continué de correspondre discrètement avec son ami hongrois
Bartók, musicien génial mais du "camp opposé".
L'idée d'écrire un ballet en hommage à la grande
époque de la valse et de la famille Strauss
à Vienne date de 1906 ; une idée
partagée avec Serge Diaghilev.
N'oublions pas que Ravel
sera l'un des compositeurs importants pour magnifier la légende des
ballets russes à Paris, ne serait-ce que par le féerique et ambitieux Daphnis et
Chloé de 1912 et son
soutien sans réserve aux œuvres de Debussy
et de son ami (du moment) Stravinski
dont le sacre
du printemps qui sera à l'origine d'une soirée de scandale
mémorable au TCE sera ardemment défendu par Ravel.
Cela dit, à partir de 1914 et jusqu'après
1918, la musique allemande ou austro-hongroise n'est guère à la mode, on s'en doute.
C'est dans un état d'esprit de grande déception suite
à ce que Ravel considère comme un effondrement de la culture occidentale qu'en 1919 il s'attèle à ce qui fit les beaux
jours de la Vienne impériale : la valse. Bien que sincèrement conçu comme support à un
ballet pour Diaghilev, celui-ci est
dérouté par une audition en 1920 de
la version pour piano. Le chorégraphe n'y voit "qu'une peinture
de ballet". Stravinski
un tantinet fayot se range derrière cette sentence. Il en résultera une
brouille entre les trois hommes qui travailleront quand même ensemble mais
l'amitié s'est envolée…
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Camille Chevillard (1859-1923) |
Comme souvent chez Ravel,
l'orchestration est très élaborée et rutilante : 3 flûtes + piccolo, 3 hautbois + cor anglais, 2 clarinettes +
clarinette basse, 2 bassons + contrebasson, 4 cors, 3 trompettes, 3 trombones, 1
tuba, timbales, caisse claire et grosse caisse, triangle, tambourin, tamtam, crotales,
glockenspiel, castagnettes, 2 harpes et le groupe des cordes. En un mot, n'en
jetez plus ! Et puis pour une douzaine de minutes, le maître ne lésine sur rien,
la Partition alignant
135 pages !
Je ne présente plus Claudio
Abbado, chef mythique des XXème et début du XXIème
siècle qui nous a quittés il y a quelques années. Voir son R.I.P. (Clic). Il dirige ici l'Orchestre symphonique de Londres, la phalange
idéale par sa discipline et sa clarté pour une œuvre aussi riche sur le plan
instrumental et dont l'écriture plutôt "barrée" n'est sans doute pas
adaptée à des orchestres au legato un peu liquoreux. Il réalisa au début de l'ère
numérique l'intégrale des ouvrages orchestraux de Ravel qu'il affectionnait. Cette
réédition s'imposait ; même si la présentation fait penser à Papillons
de Schumann, nous avons trois CD bien remplis
pour le prix d'un.
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La valse était commentée de manière succincte il y a
quelques années en même temps que le Boléro.
Des généralités sur cette œuvre novatrice, provocatrice et drolatique. Mais
comment Ravel parvient à ce résultat
inattendu dans une forme chorégraphique pour le moins académique. Quoi de plus
compassé et mondain que le concert du nouvel an à Vienne même si le Beau Danube bleu reste à mon sens un
petit bijou en forme de poème symphonique (Clic) ? Petite remarque : Ravel donna à son "ballet" le
sous-titre de "poème
chorégraphique".
La Valse commence par une sombre scansion sur rythme
de valse viennoise jouée aux contrebasses divisées par trois. Une entrée en
matière fort discrète, presque ténébreuse, de danseurs guère motivés ou alors
intimidés, craignant de piétiner les souliers de leurs cavalières. Les bassons
et les cors apportent une petite touche de virilité… ou de rigidité toute
germanique, à voir ? Les violons, altos et violoncelles en sourdine se joignent à ce début de danse qui nous plonge dans la Vienne des temps passés, mais
tel un songe, une soirée chic et à l'ambiance un peu diaphane, celle d'une époque disparue, ou pire : révolue. [0:40] Les harpes apportent enfin ces quelques notes festives,
les cordes entonnent une élégante mélodie fort galante ; les corps des valseurs se détendent
enfin.
[2:18] Le discours s'accélère. Ravel
enchaînera des variations de plus en plus débridées, s'amusant à exploiter son
orchestre luxuriant avec facétie. Les percussions entrent en jeu avec vigueur,
nos danseurs s'enhardissent en suivant un orchestre qui se déhanche. [3:51] Un
premier coup de grosse caisse marque le début d'un passage à l'ironie affirmée.
La musique fait feu de tout bois (comprendre instruments) : soliloque du
hautbois, ululement des flûtes, pizzicati,
traits vindicatifs des trompettes et intervention d'un tuba ventripotent, et
même des castagnettes (des castagnettes à Vienne ??!!). Ravel
métamorphose le style viennois en une comédie humaine d’aristocrates caricaturés, une fête maniérée transposée sous les lustres rococos des
palais des archiducs. La composition et surtout l'orchestration revendiquent une
complexité inouïe dont la lecture se déploie en toute transparence sous la baguette du chef italien. [6:01]
Ravel paraphrase le style des Strauss père
et fils, la langueur sensuelle gagne nos danseurs qui suivent le tempo imposé
par le glockenspiel.
[7:42] Une forme de reprise intervient avec diverses
nouveautés comme les frissonnements des cordes ou encore un solo narquois de trompettes qui aurait dû séduire Stravinski. [9:55] Les pas obsédants de la
valse à trois temps resurgissent une fois de plus, mais s'élancent vers un ballet
pris de folie dans lequel les cuivres rugissent, les percussions se fracassent.
Vienne la distinguée laisse place à une furie sonore proche de Pacific 231
d'Honegger. La pièce s'achève de manière
diabolique, des arythmies démentes disloquant un orchestre de sabbat. Une forme de
brutalité qui exprime sans doute la rancœur de Ravel
face à une humanité capable du pire malgré les apparences charmantes dont témoignent
les talents artistiques des intellectuels et des créateurs.
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