Sonia n’en
revient pas. Nema, assise en tailleur sur le tapis du séjour avec un livre sur
les genoux, grommelle "illettré, analphabète, misère de misère, même pas
le plaisir de suivre avec émerveillement l’enfant soulignant de son doigt la
ligne magique qui lui permet de découvrir que, sous le dessin du chien, il y a
écrit : joli toutou".
- Qu’est-ce
qui se passe ?
- Je lis un
roman qui met en situation un jeune homme ne sachant ni lire ni écrire. Assez
réaliste, je pense, sur les difficultés rencontrées dans la vie par tous les
illettrés.
- Bah, y sont
pas allés à l’école ?
- Sonia, si
c’était si simple… Cécile Ladjali à travers une histoire de pure fiction nous
plonge dans un monde à part : celui des adultes analphabètes.
Illettré. Le héros de ce roman, Léo Cramps, est illettré. Sa grand-mère, Adélaïde analphabète. Quand il était petit, il vivait dans un
mobile home avec ses parents, Marius
et Lucile, et sa grand-mère. Papa et
maman vendaient des surplus de l’armée, étaient "babacool" et n’ont
jamais lu une seule histoire au gamin. Par contre, il a écouté des cassettes
audio de textes classiques. Un beau jour les parents partent et ne reviennent
pas. Ils ne reviendront jamais. Léo
à partir de ce moment sera dans un doute affreux : où sont-ils ? Pourquoi
l’ont-ils abandonné ? Sont-ils morts ? C’est peut-être pour cette raison, que
Léo fréquente régulièrement le cimetière de Saint-Ouen. Monologue ou
conversation avec quelqu’un, peu importe, des temps de réflexion pour Léo.
Léo vit dans
un petit studio, dans une HLM d’une cité de banlieue. Imaginez un lit
clic-clac, une table basse sur laquelle trône un vivarium dans lequel vit Iggy, (l’iguane compagnon plutôt endormi
de Léo), un coin
cuisine minimaliste… de la musique. En face, un peu plus loin, une tour de bureaux, une
enseigne lumineuse au sommet, lumière blafarde omniprésente la nuit.
Léo
travaille dans une imprimerie. Pas simple tous les jours. Surtout le jour où,
obligé de remplacer quelqu’un sur une machine, il n’est pas en mesure de lire les consignes de sécurité et se retrouve
avec deux doigts coupés. Horrifié dans un premier temps par l’accident du
travail qui pourrait mettre en cause sa responsabilité, le directeur de
l’usine, Denys Winkler, éprouve
finalement un profond soulagement quand Léo
avoue qu’il ne sait pas lire et que donc l’entreprise n’y est pour rien.
Abject. Mais il y a malgré tout quelque chose de positif qui va suivre cette
catastrophe : Léo découvre sa
voisine infirmière, la jolie Sybille
au subtil parfum de fleur.
Délicate découverte pour Sybille de ce grand garçon aux yeux verts, qui semble flotter dans
la vie plutôt qu’il ne marche. Énigme ambulante, car Léo parle peu, mais bien. Ce n’est que petit à petit, notamment par
l’intermédiaire de sa fille Violette,
que Sybille comprend que Léo ne sait pas lire. Sybille,
la jolie jeune femme du Sud, cultivée et amoureuse des livres, a atterri dans
cette cité pour la proximité de l’hôpital où elle travaille. De cette
proximité, naît une sorte de flirt, un début d’idylle entre nos deux héros.
L’attirance est là, mais la différence est trop grande. Malgré l’envie de
progresser dans la maîtrise de ces signes qui font sens pour tous sauf pour Léo, l’avenir ne sera pas totalement
rose.
Madame Ancelme, la
concierge, la pipelette (comme disait ma grand-mère parisienne), est une
gentille personne qui voudrait aider Léo.
Elle se propose pour lire son courrier, le conseille pour avancer dans la vie.
Grandiose le temps des élections ! Léo
essaie de se montrer bon citoyen. Tout va à peu près bien jusqu’au moment où il
faut signer le registre : pas facile, surtout quand on a les deux doigts de la
main droite amputés. Grâce à Madame
Ancelme, Léo ira au centre
médicosocial pour suivre des cours de Susan Mars pour analphabètes. A comme âne, B comme
baleine, C comme canard… La méthode
paraît infantilisante pour Léo. Le
groupe de ce cours d’adultes venant de tous les horizons montre que la France
est bien une terre d’asile. Mais dieu qu’il est difficile de s’initier à notre
langue ! Susan Mars n’est pas forcément le professeur idéal. Cela n’ira pas
bien loin pour Léo.
Comment peut-on se déplacer quand on ne sait pas lire
? On ne peut évidemment pas passer son permis, on ne peut pas lire les plaques
des rues, on ne peut pas lire le nom des stations de métro. Pour Paris, reste
le code couleur des lignes : jaune
pour la ligne 1, du bleu clair
pour la 13,
du vert pour la 6… Ouf ! Léo n’est pas daltonien heureusement !
A travers l’histoire de Léo (dont je ne vous dévoilerai pas la fin), la romancière nous
amène à prendre conscience de ce que peut être la réalité du quotidien (dont
bien souvent les analphabètes ont honte) de toute une partie de la population.
Cécile
Ladjali est née en 1971 en Suisse. Elle a été élevée en Ile
de France et a souffert de dysorthographie dans sa jeunesse. Mais cela ne l’a
pas empêchée de passer l’agrégation de lettres, de devenir enseignante (dans le 93 et à Paris
Sorbonne 3) et écrivaine. Elle est bien impliquée dans l’appropriation de la
langue française tant écrite qu’orale par les jeunes générations notamment des
quartiers défavorisés, comme vous pourrez le constater dans les interviews
ci-dessous.
Bonne lecture (si vous ne savez pas lire, faites-vous lire cette histoire à
haute voix…) !
Actes Sud
212 pages
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