- "Bon, c'est l'été. En conséquence, une bonne partie de la population prend des vacances. Trop la chance. C'est surtout la période accordée pour recharger les accus, afin d'être de nouveau d'attaque pour de nouvelles et joyeuses journées de travail. Youpi ! Alors, plutôt que de s'incruster dans le canapé devant la téloche, ou de se faire griller au soleil (persuadé qu'avec un maximum d'exposition, on va garder un teint hâlé - ou cramoisi - jusqu'en hiver), c'est le moment de se détendre avec de bons bouquins. Tant qu'à cramer, autant le faire en lisant un livre"
- "Et puis la direction a poussé une gueulante. Elle en aurait ras la casquette des albums live de 78. De ces trucs préhistoriques avec chevelus éructant, et guitares hurlantes, qu'ils auraient dit (braillé) "
Il y a parfois, comme ça, des livres remarquables, atypiques et hors du temps, défiant l'imagination.
"Cristal qui songe" est de ceux-là. Un classique qu'il convient d'avoir lu au moins deux fois dans sa vie.
"Cristal qui songe" fait partie de ces romans inoubliables. Inoubliable parce qu'on est autant touché par l'imagination que par la sensibilité et la compréhension dont fait preuve l'auteur. Point de lasers, de surhommes, d'engins intersidéraux, de monstres poilus au vocabulaire limité à vingt-cinq mots capables de piloter des vaisseaux spatiaux, d'entités voraces et impitoyables, tapies dans l'ombre dans l'attente d'une proie. Rien de tout ça. Pas une once. Si l'imaginaire est riche, il n'est pas pour autant exubérant.
Le pilier central de cette histoire est un petit garçon. Horty Bluett, un orphelin qui est martyrisé par sa famille d'accueil. Plus particulièrement par monsieur Armand Bluett, le juge Bluett, qui ne peut pas le blairer. La vie serait tellement plus simple sans cet inadapté dans les pattes. C'est qu'Horty ne fait rien comme tout le monde. Il est renfermé, rêveur, a du mal à s'insérer, et même les coups ne parviennent pas à lui faire prendre le bon chemin. Mais quel garnement, ce bon à rien. Voilà qu'il ne trouve rien de mieux que de déguster des fourmis, et dans la cour de l'école, à la vue de tous. La honte pour une famille pourtant si respectable. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. La famille Bluett se serait bien passée de ce genre de publicité. Et ce jouet affreux qu'Horty affectionne tant : un vilain diable en boîte, affublé d'immenses yeux de cristal. Il faut pas pousser. Monsieur Bluett, à bout de nerfs, lui fout la trempe de sa vie, "celle qu'il mérite". Et, par inadvertance, aveuglé par sa juste fureur, lui coince trois doigts dans la porte du placard dans lequel il enferme le petit Horty. Oui, cela évoque sans détours Harry Potter, si ce n'est que presque cinquante ans séparent les deux ouvrages - et qu'en comparaison, en matière de brimades, Harry est un petit joueur.
Dans sa fuite, il croise une petite bande hétéroclite de forains qui le recueille et lui prodigue des soins. Accueilli en son sein par Zena, une naine au grand cœur qui le prend sous son aile. Plus qu'une confidente, ce sera une mère de substitution qui s'évertuera à l'éduquer, à l'armer pour la vie.
En l'occurrence, ici, les vrais monstres sont présentés sous les traits d'un beau-père rigide et intolérant et sous ceux du dirigeant de la caravane, l'infâme Ganneval, surnommé le Cannibale. Le seul de la troupe à ne pas présenter de particularité distincte mais qui se révèle rapidement être un despote assoiffé de vengeance et de pouvoir. Un monstre d'égoïsme pouvant se montrer violent. Toutefois, il ne l'a pas toujours été. Auparavant médecin, après la perte d'un patient sur la table d'opération, il s'enfonce dans l'alcoolisme et perd sa réputation. Il se crée alors une nouvelle identité et sort de la société. Nombriliste, il n'a plus que haine envers l'espèce humaine.
"Cristal qui songe" est de ceux-là. Un classique qu'il convient d'avoir lu au moins deux fois dans sa vie.
"Cristal qui songe" fait partie de ces romans inoubliables. Inoubliable parce qu'on est autant touché par l'imagination que par la sensibilité et la compréhension dont fait preuve l'auteur. Point de lasers, de surhommes, d'engins intersidéraux, de monstres poilus au vocabulaire limité à vingt-cinq mots capables de piloter des vaisseaux spatiaux, d'entités voraces et impitoyables, tapies dans l'ombre dans l'attente d'une proie. Rien de tout ça. Pas une once. Si l'imaginaire est riche, il n'est pas pour autant exubérant.
Le pilier central de cette histoire est un petit garçon. Horty Bluett, un orphelin qui est martyrisé par sa famille d'accueil. Plus particulièrement par monsieur Armand Bluett, le juge Bluett, qui ne peut pas le blairer. La vie serait tellement plus simple sans cet inadapté dans les pattes. C'est qu'Horty ne fait rien comme tout le monde. Il est renfermé, rêveur, a du mal à s'insérer, et même les coups ne parviennent pas à lui faire prendre le bon chemin. Mais quel garnement, ce bon à rien. Voilà qu'il ne trouve rien de mieux que de déguster des fourmis, et dans la cour de l'école, à la vue de tous. La honte pour une famille pourtant si respectable. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. La famille Bluett se serait bien passée de ce genre de publicité. Et ce jouet affreux qu'Horty affectionne tant : un vilain diable en boîte, affublé d'immenses yeux de cristal. Il faut pas pousser. Monsieur Bluett, à bout de nerfs, lui fout la trempe de sa vie, "celle qu'il mérite". Et, par inadvertance, aveuglé par sa juste fureur, lui coince trois doigts dans la porte du placard dans lequel il enferme le petit Horty. Oui, cela évoque sans détours Harry Potter, si ce n'est que presque cinquante ans séparent les deux ouvrages - et qu'en comparaison, en matière de brimades, Harry est un petit joueur.
Mais quel étourdi ce gamin ! Cisaillé jusqu'au sang, Horty part dans la nuit avec pour seul bagage son insolite jouet. Poussé par l'incompréhension et la peur, il fait son possible pour mettre le plus rapidement possible de la distance entre lui et cette maison où les brimades et remontrances sont courantes.
Il n'a qu'un seul regret : le risque de ne plus jamais revoir la petite Kay Hallowell. La seule enfant qui tolérait ses différences ; jamais dans ses yeux il n'a surpris la moindre répugnance ou rejet. Le seul être à avoir pu offrir un peu de chaleur à son cœur profondément meurtri.
Il n'a qu'un seul regret : le risque de ne plus jamais revoir la petite Kay Hallowell. La seule enfant qui tolérait ses différences ; jamais dans ses yeux il n'a surpris la moindre répugnance ou rejet. Le seul être à avoir pu offrir un peu de chaleur à son cœur profondément meurtri.
Dans sa fuite, il croise une petite bande hétéroclite de forains qui le recueille et lui prodigue des soins. Accueilli en son sein par Zena, une naine au grand cœur qui le prend sous son aile. Plus qu'une confidente, ce sera une mère de substitution qui s'évertuera à l'éduquer, à l'armer pour la vie.
Cette troupe, qui fait partie d'un cirque itinérant, entreprise de la honte, montreur de phénomènes de foire pour passants en mal de sensations fortes, prenant un plaisir hautement malsain à se moquer de plus malheureux qu'eux. Néanmoins, en dépit de cette immonde exploitation dans laquelle vivent ces êtres atteints de particularités physiques anormales, ces derniers sont parvenus à créer autour d'eux un halo protecteur, en se soutenant mutuellement. Comme s'il s'agissait d'une famille unie, où chacun se serre les coudes. Il y a effectivement un peu du "Freaks" de 1932, le chef-d'œuvre de Tod Browning - ces deux histoires s'accordant sur l'élan de compassion, d'amitié et d'amour dont peuvent faire preuve des êtres, sur lesquels pourtant la fatalité semble s'être acharnée -. Leurs malheurs, leur misère, et surtout les regards de rejet, d'horreur, de moquerie ou de dégoût, n'ont pas eu raison de leur bon cœur. Même s'ils ont dû se forger une carapace pour survivre. Comme pour "Freaks", on pointe du doigt la faillibilité des yeux qui ne jugent que par le physique.
En l'occurrence, ici, les vrais monstres sont présentés sous les traits d'un beau-père rigide et intolérant et sous ceux du dirigeant de la caravane, l'infâme Ganneval, surnommé le Cannibale. Le seul de la troupe à ne pas présenter de particularité distincte mais qui se révèle rapidement être un despote assoiffé de vengeance et de pouvoir. Un monstre d'égoïsme pouvant se montrer violent. Toutefois, il ne l'a pas toujours été. Auparavant médecin, après la perte d'un patient sur la table d'opération, il s'enfonce dans l'alcoolisme et perd sa réputation. Il se crée alors une nouvelle identité et sort de la société. Nombriliste, il n'a plus que haine envers l'espèce humaine.
Pour qu'il puisse demeurer dans la caravane, Zena déguise Horty en fille et le rebaptise en conséquence Kiddo. Une dissociation nécessaire pour rester hors de portée de son beau-père le juge et la police, mais aussi pour qu'il soit accepté par Ganneval qui semble avoir des relations privilégiées avec la petite et compatissante Zena.
Progressivement, Zena découvre que son petit protégé a de bien étranges capacités. Notamment celle de reconstituer des doigts qu'on aurait cru perdus, en plus de parvenir à prendre des aspects plus féminins. Et puis une étonnante mémoire photographique. Mais surtout, il y a cet intrigant attachement de Horty-Kiddo à son diable aux yeux de cristal disproportionnés. C'est comme s'il y avait un lien indéfectible entre l'enfant et, non pas l'hideux jouet, mais les cristaux. Y aurait-il là une source de pouvoir inconnue, incompréhensible ?
Cependant, en dépit d'apparentes capacités hors normes, Horty-Kiddo demeure un enfant-savant ne sachant pas utiliser toutes les connaissances accumulées, craignant de devoir prendre des décisions par lui-même. Isolé dans ce macrocosme forain, surprotégé par Zena, considérant toujours la société extérieure comme source de danger, il ne parvient pas à grandir. Restant un éternel enfant... Le danger, jamais loin, fait vivre aussi bien Horty-Kiddo que Zena dans une angoisse quasi permanente.
Il y a là divers transferts de l'enfance mal vécue de l'auteur, qui, au départ de son père, s'est senti totalement abandonné, perdu, à la merci de personnes qui ne le comprenaient pas. Ou plutôt qui n'ont jamais fait l'effort de le comprendre, s'insurgeant contre toutes velléité de trait de caractère incompatibles avec les normes de la bonne société. L'expérience d'un beau-père rigide qui lui imposa un nouveau prénom pour faire table rase de son passé, a été des plus traumatisantes. D'où certaines récurrences dans ses œuvres de sombres personnages manipulateurs et dépourvus de conscience, engoncés dans leurs convictions douteuses (l'image qu'il gardera de son beau-père) et de pauvres innocents, devant fuir pour ne pas être broyés par les profiteurs et une société étouffante. Theodore Sturgeon, tout comme Horty, se sent prisonnier entre un "cocon familial" qu'il juge oppressant et étouffant, et le monde extérieur, la société, qu'il considère injuste et écrasant.
Theodore Sturgeon ne parviendra jamais à totalement surmonter les traumatismes de son enfance. Malgré tout, il reproduisit l'exemple de ses parents (qui divorcèrent en 1927, à une époque où ce n'était guère courant). Instable, il se maria cinq fois. La dernière fois à 58 ans.
En 2003, HBO lance une série : "Carnival" contant les pérégrinations d'une troupe de fête foraine dans les années trente, très librement inspiré du roman de Sturgeon. Avec notamment quelques modifications dans le but de séduire plus aisément. Hélas, pour cause d'audience insuffisante et de coûts élevés, la série est arrêtée brutalement en 2005, sur une seconde saison sans dénouement. Ce qui est fort regrettable car elle aurait facilement pu devenir une série culte.
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