lundi 15 juillet 2019

OFFRANDE FUNÈBRE de Douglas Preston & Lincoln Child (2019) – par Claude Toon




La première de couverture me laisse rêveur. Mais que vient faire ce piaf en cours de momification sur un lit de feuillage déjà momifié !? Cela dit, la vraie "offrande" imaginée par le duo Preston-Child ne serait peut-être pas vraiment très alléchante ni vendeuse sur la couverture… Les deux compères ne sont pas des inconnus du blog. C'est l'été, la période des polars mystérieux à savourer sous le parasol… Quand on aime certains auteurs, et bien on partage ses coups de "cœur", sans jeu de mots ; là, il faudra que j'explique…
Retour de l'inspecteur Pendergast, le richissime agent du FBI, grand, distingué, précieux et hypercultivé, sapé comme un croque-mort soucieux d'être impeccable. Originalité dans le roman de cette année, aucune dimension surnaturelle dans cette intrigue policière très classique, a priori. Juste un petit rappel au départ à propos de Constance Green, sa pupille âgée de 150 ans qui en paraît 25 (fruit parfait d'un savant fou – un personnage récurrent de ces auteurs – un aïeul de Pendergast, à lire dans le Cabinet des curiosités paru en 2003 je crois). La donzelle n'intervient pas dans cette histoire, elle élève des plantes carnivores dans un terrarium… Chacun ses trucs 😊. (Index Livres)

Je cause, je cause… Isabelle Guerrero qui se fait appeler Iris promène Mirza (Twinkle), son pékinois, dans un cimetière de Floride. Une petite visite à feu Francis, son mari mort trois ans plus tôt. Ah les toutous ingérables ! (indisciplinés, pas destinés à un repas chinois*) ! Twinkle s'échappe et récupère un objet rougeâtre sur une tombe voisine dans ce lotissement mortuaire (**) et part batifoler en secouant son trophée avec autant d'énergie que le chien de Rockin' avec ses jouets. Iris rattrape son clebs et hiiiiiiiiiiiii comme aurait hurlé Sonia, elle s'aperçoit que son toutou chéri déguste un cœur humain récemment posé avec un petit mot sur la tombe. L'ancienne épouse de Francis le boucher (son métier, pas un surnom de mafieux) a déjà fait sa petite autopsie perso et tombe dans les pommes en pensant juste que Twinkle sera privé de gâteaux aux figues…

Le Directeur adjoint du FBI Walter Pickett (Pas Skinner) ne supporte plus Pendergast et ses méthodes hors protocole : enquêtes en solo, le "nombre anormalement élevé de suspects qui décèdent lors des investigations", les frais annexes… En un mot, il le charge de cette affaire de cœur (qui ne sera pas une romance) mais AVEC un partenaire du nom de Coldmoon, un agent expérimenté. Scène typique de l'ironie des auteurs : Pickett reçoit Pendergast dans un sauna, 80° de chaleur humide, mais Pendergast garde son manteau et ne transpire même pas. Un mutant ce type, tout droit surgit de X-men. Pickett affranchit Aloysius (prénom de Pendergast). La victime, ex propriétaire du cœur, encore non identifiée habitait Miami. La locataire de la tombe, Élise Baxter, s'était suicidée par pendaison dix ans auparavant lors d'un voyage dans le Maine.
Deux États différents Floride vs Maine, c'est donc bien du ressort du FBI. Pendergast rechigne à propos d'un coéquipier, aimant travailler seul, mais là, il a le couteau sous la gorge… Excellente transition, la victime a justement été égorgée net avant d'être dépossédée de son cœur… Ah, détail important, sur la tombe, il y avait une Lettre à Élise (rien à voir avec Beethoven), un mot poétique d'excuse "J’espère que vous accepterez ce présent en signe de sincères condoléances…", avec une précision : l'acte était inévitable ! Une forme d'expiation de la part du tueur que les policiers puis la presse vont surnommer Cœur-brisé. Plus glauque, le billet précise que d'autres femmes qui essayent de reposer en paix attendent elles aussi leurs "présents", ce qui sous-entend une course folle après la matière première cardiaque ! Ça craint pour la population féminine.

Inutile d'être devin pour comprendre que Preston et Child nous lancent dans la traque d'un tueur en série. Ça sera le cas : d'autres victimes, toujours des femmes entre vingt et trente ans n'ayant aucune attache entre-elles, et des tombes hébergeant des suicidées par pendaison dans la même tranche d'âge. Comme Dana Scully dans la série X-files qui devait évaluer la pertinence du travail de Fox Mulder, Coldmoon doit à la fois participer à l'enquête, mais aussi "espionner" Pendergast et faire son rapport quotidien à Walter Pickett. Originalité du récit, comme sa jolie collègue rousse de la génération précédente, Coldmoon n'a pas l'intention de jouer à ce jeu malsain avec zèle, ambition de carrière ou pas, c'est un type droit.

Christopher Walken - Pendergast
L'histoire est assez passionnante car une question se pose d'emblée aux lecteurs et aux héros. Quels liens entres toutes ces femmes ? Réponse initiale : aucun. Par où commencer les recherches : le passé ? les "suicidées" n'avaient pas vraiment des profils de désespérées mais toutes sont mortes dix ans auparavant à un mois d'intervalle. Non, non, pas d'histoire de loup-garou… Par contre, les égorgements suivis d'ablation cardiaque s'enchaînent au quotidien. Les petits billets doux s'empilent, toujours aussi abscons. Les auteurs nous épargnent dans ce polar pur une guéguerre entre Pendergast et Coldmoon, au grand dam de Pickett prêt à virer les deux compères de l'enquête et de les envoyer désobéir à Seattle. Comme toujours, nous allons à la rencontre des seconds rôles, notamment le commandant de police, Grove, très investi et tout à fait coopératif avec le FBI, on évite le cliché de la guerre des polices, et la légiste hyper compétente Charlotte Fauchet qui sera la première à s'interroger sur la supposée "spontanéité" des fameux suicides et sortira de son rôle médical à ses risques et périls. Qui dit polar sanglant dit journaliste, ici Roger Smithback, proche parent de William "Bill" Smithback, Jr : ex journaliste au New York Times, un allié de Pendergast mort dans l'épisode précédent… Roger profitera de l'absence de ses confrères pour se faire une place au soleil, mais là aussi pas comme un casse-pied caricatural mais en tant que partenaire efficace, il dégotera un indice majeur.

Preston & Child se concentrent donc sur l'intrigue tortueuse et originale. Aucun écart vers des dérives sadiques ou sexuelles sordides à la mode chez Thilliez ou Grangé, ou les affres sentimentales des protagonistes dont on se fiche éperdument. On voyage vers le Maine, mais les auteurs nous font surtout visiter la Floride, État connu pour ses plages surchauffées sur lesquelles s'entassent les retraité(e)s pleins aux as, moins pour ses quartiers déshérités, ses plantations et ses marécages. Marécages peuplés d'alligators à l'appétit féroce, dans lesquels aura lieu un final apocalyptique. Nota : Pendergast aime son confort et le luxe, il est descendu au palace Fontainebleau. Il est juste contrarié d'avoir du troquer sa Rolls pour une simple Mustang.
Un bon bouquin assez concis avec une histoire solide, un peu de nouveau dans la mythologie Pendergast qui a même maintenant sa page Wikipédia. La raideur glacée de l'acteur Christopher Walken dans certains rôles aurait inspiré le look du personnage de Pendergast dit-on…

(*) Désolé, pas pu résister à ce calembour farfelu offert sur un plateau par sens 1 et sens 2  du mot ingérable dans mon dico favoris.
(**) Mais où vais-je chercher ça ?

Bonne lecture !

352 pages – disponible en e-book
Archipel (15 mai 2019)


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