jeudi 4 juillet 2019

JEAN-MICHEL CARADEC (1946-1981) La story

     
                                                                 
 "Je suis un saltimbanque/ qui se moque des banques/ ma richesse c'est mes chansons et c'est toi"
    JM Caradec "Ma petite fille de reve"(1974)



@Rockin-jl
Aaah Caradec, quand j'écoute ce gars, je voyage dans le temps, c'était le milieu des années 70, je n'habitais pas encore en Bretagne, nous y allions en vacances en famille tous les mois d’Août. Je revoie tout, le voyage dans la 504 blanche -une vraie expédition préparée de longs mois auparavant- le camping de la plage à Saint Guénolé, la grande tente qu'on galérait à monter à cause du vent et les voisins compatissants qui venaient nous aider, la plage de Pors Carn sous le crachin avec au loin la pointe de la Torche,  mon chien qui courait dans les dunes, le phare d'Eckmull et au pied ses vieilles brodeuses en coiffe traditionnelle qui vendaient leurs dentelles aux touristes, le vieux goémonier et son cheval fourbu qui remontait sa charrettes d'algues, ces coquillages que nous ramenions ma soeur et moi  comme autant de trésors de nos expéditions côtières et que ma mère faisait cuire dans une grande gamelle sur le réchaud bancal, ces chalutiers qui rentraient au port escortés de mouettes dans la pâleur du petit matin, ce vieux loup de mer assis sur un banc de pierre qui racontait aux enfants des histoires de korrigans farceurs qui hantaient les landes, les anguilles que nous péchions dans le port avec mon père, les crêpes que nous achetions sur le marché à une vénérable grand mère burinée, le pardon de Notre Dame de la Joie  et ses femmes de marins qui pleuraient leurs disparus en mer, le son des binious qui s’élevaient des fest noz sous les nuits étoilées, le camping encore et cette adolescente aux formes généreuses pour laquelle je me serai damné pour perdre mon innocence avec elle -mais j'étais trop jeune et timide alors...- et cette cassette de Caradec achetée au bar- tabac- epicerie- droguerie- journaux- boulangerie du bourg (une caverne d'ali baba, ça existe plus ce genre de commerces) que j'écoutais en boucle sur mon petit radio cassette pourri tout en maudissant (déjà, c'était une vocation..)  les daubes que déversaient les radios, et...

-Pappy  Rockin' !
-Oui mon lapin?
-on a déjà entendu ça 100 fois, ta verveine et au lit, il est 18 heures!

Pfff' il devient gâteux, faudra plus le laisser écouter Caradec...

Mais trêve de souvenirs qui n'intéressent que moi -quoique je ne suis pas si hors sujet car Caradec c'était tout ça-  je vais vous en parler un peu de Caradec,  ce compositeur  interprète de talent semble bien oublié de nos jours, quoique pas oublié de tous puisque' une intégrable CD est enfin parue il y a quelques mois,  117 titres en 5cd, intégrale que le père Noel, me sachant fan , a eu le bon gout de m'apporter  à Noel dernier, à moins que  ce ne soit Madame Rockin car j'ai ouï dire que le père Noel n'existerait pas...

Jean Michel  naît en Septembre 1946 à Morlaix, il se révélera un élève brillant durant sa scolarité à Brest, décrochant un bac option philo avec mention. Parallèlement dés ses 8 ans ses parents l'ont inscrit à l'Ecole Nationale de Musique de Brest et à 16 ans il reçoit sa première guitare.  Il monte rapidement sur les planches, participant à des tremplins. C'est aussi à cette époque qu'il découvre la poésie,  dans un cercle animé par le poète Jean-Yves Le Guen. En 1964, à 18 ans donc, le voila qui monte dans la capitale poursuivre ses études "pour faire plaisir à ses parents et les rassurer", et pas n'importe quelles études puisqu'ils suit pendant 2 ans de prépa à  Normale Sup'; mais le poète ne se voyait pas rond de cuir et saborde volontairement ses exams, balance ses bouquins, se laisse pousser les tifs,  reprend sa guitare  et rentre au bercail brestois...Il s'inscrit ensuite en fac de géo, décroche un DEUG avant d'abandonner de nouveau au grand dam de ses parents ("le démon de la chanson s'empara de moi malgré les larmes de ma mère et l'angoisse de mon père").
C'est l'été 68 , Jean Michel se produit dans les bars autour de la maison familiale de Brignogan, c'est alors que le destin va lui donner un coup de pouce. Il aborde le comédien Pierre Brasseur qui tourne là dans "Goto l'ile d'amour" et lui présente ses compositions, ils sympathisent et il retrouve un peu plus tard Brasseur à Paris, ce dernier l'héberge et lui présente son copain Serge Reggiani, celui ci l'embauche comme secrétaire, pour un mois seulement mais cela mets le pied à l'étrier du breton et lui permet  d'entrer chez Polydor.
Après quelques 45 tours sans grand succès, devenu père,  il galère à boucler les fins de mois, tournant dans les bars et cabarets pour des "cachets misérables" avant que Jacques Bedos (directeur artistique qui lança outre Reggiani, Le Forestier ou Moustaki) ne le remarque et le prenne sous sa coupe. Devenu directeur artistique pour le label, Caradec peaufine aussi ses compositions et un premier album sort en 73 "Mords la vie", avec la collaboration de l'arrangeur Jean Musy. Il devient pote avec Maxime  Le Forestier et fait les premières parties des tournées de celui ci, Maxime enregistrant un texte de Caradec  , "Mai 68" sur son fameux "Olympia 73" . Un titre que l'on retrouve sur le second album de Jean Mich' "Ma petite fille de rêve" (1974) dont le morceau titre fait un carton, et il y a d'autres pépites sur ce disque ("les oiseaux volaient à l'envers", "la colline aux coralines", New York") , un des plus beaux disques français des 70's, cette fois la carrière du barde est lancée. L'album "Ile" sort en 75  avec encore quelques titres qui marchent bien ("ile", "la ballade de Mac Donald" ) , il fait les premières de Serge Lama et de Georges Brassens, passe en vedette à l'Olympia et on le voit régulièrement dans la petite lucarne , au "Grand échiquier " notamment (apparté: ça avait de la gueule quand même cette émission, quand je vois Hanouna ou Ruquier...).
Suivent l'album "Chante pour pour les enfants" (76) , un must du genre, et "Ma Bretagne quand elle pleut" (77) dont la chanson titre est une des plus belles jamais écrites sur mon pays adoptif, encore un gros succés.
 En Mars 78, l'Amoco Cadiz fait naufrage au large de Portsall, souillant les cotres bretonnes, notre breton en colère écrit "Portsall" ("ils ont peint de noir nos sirenes/ ils ont pétrifié nos bateaux/je suis un pécheur de Portsall/ mes oiseaux crèvent tous sales/  ils ont du goudron sur les plumes/ pourtant ils trichent pas au poker") sur l'album "Sous la mer d'Iroise" , album très marqué par la Bretagne. En 79 parait "Parle moi" un album plus électrique, plus rock et moins folk, ou l'influnce de Dylan se fait sentir, pour celui qui se définissait comme "un enfant supranaturel de Dylan et de Trenet", ce sera le dernier album sorti de son vivant puisque le 29 juillet 81 il se tue sur la route durant une tournée (81 année de fin aussi pour Brassens et pour Bob Marley, prés de 40 ans déjà!! j'ai l'impression d'avoir 100 ans parfois! Dire que j'ai passé les 35 premières années de ma vie sans internet et sans portable, et c'était bien !!) . L'album "Dernier avis" sort ensuite à titre posthume avec des titres qui prennent un reflet bizarre vu les circonstances comme "Passeport pour la mort" ou "je pars"...Comme cette déclaration où il disait "j’espère ne pas mourir trop jeune, car j'ai encore beaucoup à faire", et de fait il avait des projets de romans et dans le cinéma.
Je sais pas vous mais moi ça m'a fait plaisir de parler de cet écorché vif à la poésie à fleur de peau, écolo en marge de la société de consommation, jouant avec les mots et les mélodies; c'est aussi le reflet d'une époque, celle post Mai 68 et des luttes de Plogoff, du Larzac ou de l'usine LIP, .., un autre temps, mais une oeuvre intemporelle à faire découvrir aux jeunes générations.

ROCKIN-JL 




3 commentaires:

  1. Et ben JL, ça m’a donné un sacré coup de vieux ton article....et heureusement, remémoré également de bons souvenirs. Mais comme disait Dylan "Forever Young"...

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  2. Ah ! JM Caradec et la Bretagne, une véritable histoire d'amour ! Je lisais la première partie de ta chronique en ayant dans la tête "Les vacances au bord de la mer" de Jonasz. La première fois que j'ai mis les pieds dans mon pays de sang c'était en 68, pas loin de Portsall (Ploudalmézeau) un an après la catastrophe du Torrey Canyon et après avoir découvert JM Caradec, chaque fois que j'écoute "Portsall", je reviens 50 ans en arrière. "Ma Bretagne quand il pleut" a eu un beau cover interprété par Nolwenn Leroy. Très belle et nostalgique chronique. Merci JL !

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  3. Pas d'internet = pas de Déblocnot.
    Je ne peux donc concevoir une existence sans Internet !!!
    Les fanzines polycopiés c'était chouette, mais alors les frais de timbres qu'on aurait...

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