BREEZY
est la troisième réalisation de Clint Eastwood, tournée très rapidement et à
peu de frais à l’hiver 1972, dans la foulée de L’HOMME DES HAUTES PLAINES. A l’époque,
l’acteur Eastwood truste le box-office grâce aux films de Don Siegel,
INSPECTEUR HARRY, JOE KIDD, mais peine encore à se faire reconnaitre comme
metteur en scène. Lui colle aux basques cette image d’américain conservateur et
macho, c’est ce que le public réclame. Au début des années 70, l’Amérique
n’est pas faite d’un bloc, le Summer of Love et la guerre du Vietman sont
passés par là, la société se divise en deux camps, libéraux et conservateurs.
Manque
de bol pour Eastwood : son âge. 43 ans à l’époque, trop vieux pour rallier la
cause hippie idéaliste, mais pas encore assez pour jouer les bourgeois parvenus - ce qu'il n'incarnera d'ailleurs jamais.
Il est indépendant financièrement et artistiquement (il produit ses films via
Malpaso, sa société) et accepte ce scénario qui pourra refléter son regard sur la société, un regard tolérant, bienveillant, qui ne met pas dos à dos deux cultures, deux philosophies de vie, mais les dissèque et les rapproche. Raison pour laquelle tout
le monde s’est désintéressé du film, qui ne collait pas avec l'image de la star. Un flop !
L’histoire
est très simple. Edith Alice Breezerman, dite Breezy, est une jeune hippie de
17 ans qui trimbale ses idéaux et sa guitare en Californie. Elle est prise en
stop par Franck Harmon, agent immobilier, de 40 ans son ainé. Elle s’éprend de
lui, il s’éprendra d’elle. Breezy est jouée par Key Lenz, adorable frimousse, débutante,
qui soyons franc ne va pas développer une carrière mémorable, beaucoup de
navets et de la télé… Harmon est joué par contre par le vétéran William Holden,
passé devant les caméras de Billy Wilder, dont il dira « Wilder est un con irascible mais à chaque fois qu'il m'a dirigé j'ai été nominé à l'Oscar » David Lean, Sam Peckinpah, Sidney
Lumet. Eastwood ne se voyait pas jouer ce personnage (trop jeune, trop beau gosse) il confie le
rôle à Holden, 55 ans. Ca va sans dire qu’il y est parfait, tout en grâce et profondeur. Un petit mot sur cet acteur que j'adore, miné par l'alcoolisme, dépendance qui l'a tué. En 1981, il s'effondre chez lui, ivre, son crane heurte un meuble. Trop soul pour réagir, il reste allongé et s'endort. On le retrouvera quatre jours plus tard vidé de son sang.
Ce
qui est intéressant, c’est la manière dont l’amour va s’immiscer dans ce couple
mal assorti. Breezy, sans domicile, squatte chez Franck Harmon, d’abord
contrarié par cette bourrasque aux cheveux longs. Elle parle beaucoup, lui est
renfermé, elle demande à prendre une douche, se déshabille devant lui sans
pudeur. Sans connotation sexuelle, Franck n'est pas gêné, ni excité, simplement pressé qu'elle se douche et reparte ! Eastwood ne filme pas le
démon de midi chez ce quinquagénaire, comme le suggère son ami Bob
Henderson. Lors d’une scène dans un sauna Bob le libidineux envie Franck de sa
relation, lui aussi aimerait avoir une petite brunette toute fraiche à se
mettre sous la dent. Franck est las de ces sous-entendus, fait fi des préjugés (scène dans le
magasin de vêtement, au restaurant, au cinéma). Il est jalousé par son ex-femme qui
peine à refaire sa vie, une femme de son milieu, portée sur le Martini. Ce
terrible regard qu’elle lui jette lorsqu’elle le voit au restaurant accompagnée
de sa nymphette… Un couple quasiment incestueux (elle est mineure)
lorsque les flics ramènent Breezy un soir chez Harmon, elle le présente comme
son oncle.
Franck
est désorienté par l’irruption de Breezy dans sa vie, mais se laisse bousculer,
convaincre. Comme il accepte l’idée de soigner et d’adopter ce vieux chien
trouvé blessé sur une route. Vous saisissez la métaphore ? Clint Eastwood filme le couple avec beaucoup de
simplicité, de tact, se promener près de l’océan. La nature est très présente à
l’image, dans les cadrages. Franck accepte l’idée d’être aimé, désiré par cette
jeune femme, qui n’a d’autres arguments que « pourquoi ne pourrait-on pas
aimer qui on souhaite ? ». C’est là où Eastwood fait preuve de bienveillance.
D’autres auraient forcé le trait sur le personnage de Breezy, pensez-donc, une marginale
droguée, nue sous ses pulls… Il filme juste une jeune fille sincère, pleine d’enthousiasme,
qui s’insuffle une seconde vie à un homme parvenu, parfois aigri, Rolex au poignet à 50 ans.
Franck Harmon se met à douter de la légitimité d'une telle relation. Il faudra
un évènement extérieur, et malheureux, pour qu’il reconsidère les choses, se
dire qu’à son âge, démarrer une nouvelle histoire est une chance qu’on ne peut
pas laisser passer. Le film est marqué 70’s dans sa mise en scène, zooms, longues focales, contre-jour devant coucher de soleil. Mais déjà (formé par Siegel plus de Leone)
Eastwood va à l’essentiel, sans vaines virtuosités, le plan qu'il faut quand il faut. Il accompagne ses personnages, reste en retrait, ne juge pas. Les comédiens sont
parfaitement dirigés. Au détour d’un plan, Eastwood fait une figuration à la Hitchcock (ballade sur le port) et plus rigolo, l’affiche de
son film précédent L’HOMME DES HAUTES PLAINES apparait, car c’est ce film que
Franck et Breezy vont voir un soir !
Le
film n’a pas marché. Eastwood ne jouait pas dedans (remarquez qu'il a sa photo sur l'affiche !) et le public n’attendait
pas une histoire pareil, surtout après le thriller hystérique UN FRISSON DANS
LA NUIT (1971) sa première réalisation qui avait cartonné. Eastwood est déçu,
il comprend que ce que le public veut voir à l’écran c’est lui mâchoires serrées et flingue
en poigne, certainement pas un grand romantique. Il faudra attendre BIRD en 1988 pour qu'il réalise sans jouer. BREEZY
est un des films les plus méconnus du metteur en scène, sensible et grave, orné des violons de Michel Legrand, qui n’atteint
pas la grâce limpide de SUR LA ROUTE DE MADISON vingt plus tard, mais qui en
est le germe.
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