- C'est tendre
cette musique où domine une clarinette M'sieur Claude, c'est d'un compositeur
connu ? Un spécialiste de l'instrument ? Weber ? Non, pas le genre…
- Non pas le
genre Sonia, bien vu. Il s'agit du trio de Brahms, l'une des quatre œuvres pour
clarinette écrites à la fin de sa vie…
- Un peu de
douceur dans un monde de brutes… Je ne connais aucun de ces artistes, seul le nom
de Yo-Yo Ma me dit quelque chose…
- Le pianiste
Emanuel Ax et le violoncelliste plus médiatique Yo-Yo Ma ont enregistré la
quasi-totalité de la musique de chambre de Brahms, Richard Stoltzman les a
rejoints.
- Beethoven
et Mozart en prime, on le trouve facilement ce disque ?
- Pas vraiment,
surtout en France, mais oui sur le marché de l'occasion… Je proposerai comme
toujours quelques alternatives, ce trio n'est pas une œuvre confidentielle.
Richard Mühlfeld (1856-1907) |
Si la clarinette fut inventée en 1690, ce n'est qu'au cours du XVIIIème siècle que
l'instrument prendra sa forme définitive par perfectionnements successifs. Sa tessiture
atteindra ainsi 3 octaves et une sixte soit 45 notes (2 octaves et demie pour
le hautbois). Elle intègre la petite harmonie dans l'orchestre symphonique
grâce à Mozart et à Haydn et aussi, dès 1740, au tchèque Johann Stamitz.
Ce compositeur écrit le premier concerto pour la clarinette. Mais c'est
Mozart qui dès 1771 met à l'honneur l'instrument dans ses œuvres. D'abord en 1786
le trio K 498. 1789, l'année du premier grand chef-d'œuvre, le quintette K 588, un quintette
qui précède le concerto K 622 de 1791, sans doute l'ouvrage le plus
célèbre du répertoire pour clarinette de Mozart
(Clic).
Pour se concentrer sur les compositeurs majeurs, Carl-Maria
von Weber donne définitivement
ses lettres de noblesses à l'instrument dans diverses œuvres
concertantes populaires (Clic).
Si la clarinette a enfin intégré l'orchestre
et fait jeu égal avec les hautbois, les flûtes et les bassons, la musique de
chambre lui donne également un rôle majeur mais moindre que celui du violon ou du
violoncelle, sans parler du piano. Des centaines de quatuors ou de sonates face à des œuvres variées
mais isolées où la clarinette n'a pas forcément le premier rôle : quintette pour vents et septuor de Beethoven, l'octuor
de Schubert pour citer les plus belles.
Dans les dernières années de sa vie, Johannes Brahms, prêt à abandonner la plume mais pourtant toujours avide de
nouveauté, se passionne pour l'instrument en compagnie du virtuose incontesté
du XIXème siècle, Richard Mühlfeld.
Quatre œuvres d'importance verront le jour : deux Sonates
pour clarinette et piano réunies dans l'opus
120, le trio opus 114
de 1892 avec violoncelle
et sujet du jour et le très élégiaque quintette opus
115 (Clic). Brahms
recourt à la clarinette en la, la plus utilisée dans un groupe instrumental qui
compte une douzaine de modèles.
Élégiaque, le mot est dit à propos
de la sonorité nostalgique naturelle de l'instrument. L'orchestrateur révolutionnaire que fut Berlioz
écrivit "La
clarinette est peu propre à l’idylle, c’est un instrument épique, comme les
cors, les trompettes et les trombones." Or, élégiaque et épique
sont deux adjectifs souvent rencontrés dans les commentaires sur la musique de Brahms, surtout dans les compositions
brèves et quasi expérimentales qui jalonnent les dernières années de travail du musicien.
La clarinette et Brahms étaient faits pour se
rencontrer.
En 1890, Brahms est fatigué, il décide que son quintette à
cordes opus 111 (clic) sera sa dernière contribution à la
musique. Il range son papier réglé… Il ne faut jamais dire jamais… Il lui reste
7 ans à vivre et ne souffre pas encore d'une grave maladie qui ternira ses
dernières années. La rencontre avec Richard Mühlfeld
change la donne. J'ai déjà énuméré les œuvres issues de cette collaboration. Le
trio pour
violoncelle, clarinette et piano est une association difficile à
maîtriser, violoncelle et clarinette ayant l'un et l'autre un timbre mélancolique.
Ce n'est pas une première mais seul le trio de Beethoven
est resté dans les annales.
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Richard Stoltzman |
De par son instrumentation, ce trio ne s'adresse pas
aux trios établis et réunissant un pianiste, un violoniste et un violoncelliste.
La discographie n'est pas pléthorique car nécessitant la collaboration
d'artistes pour l'occasion. Quant au répertoire le plus passionnant, il figure
intégralement sur ce CD !
Le pianiste Emanuel Ax
originaire de Galicie (en Ukraine mais anciennement en Autriche) est un
spécialiste de Brahms. Âgé depuis peu de 70 ans, Il a gravé avec Isaac Stern et Yo-yo
Ma les trois quatuors avec piano (avec Jaime Laredo
à l'alto) et également, toujours avec Yo-yo Ma, les sonates pour violoncelle.
Il a souvent interprété les deux concertos sur toutes les scènes
de la planète. Notre disque consacré à des trios pour clarinette et violoncelle
a obtenu un Grammy Award. Sa carrière se déroule surtout aux USA.
Le toujours souriant et médiatique violoncelliste américain
d'origine chinoise Yo-yo Ma est bien connu du
grand public car il n'hésite pas à s'évader de l'univers de la musique classique
pour le Jazz, la musique de films, et d'autres domaines…
Né dans le Nebraska en 1942, Richard
Stoltzman fait partie de la génération de virtuoses américains
aussi à l'aise pour interpréter le répertoire classique que pour participer à
des festivals de Jazz. On lui doit un enregistrement en 1983 des sonates
de Brahms avec un discret mais génial
pianiste classique également américain, Richard Goode.
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Brahms compose
son trio en été 1891. La création
aura lieu Meiningen le 24 novembre et à Berlin le 12 décembre de la même année.
Richard Mühlfeld est à la clarinette comme
il se doit, le violoncelliste Robert Hausmann
lui donne la réplique et Brahms
lui-même est au piano. À noter que le trio peut être joué ad libitum par un
alto en lieu et place de la clarinette ce qui est aussi le cas pour les sonates.
Yo-yo Ma et Emanuel Ax |
1 - Allegro alla breve (la mineur) : Brahms avait intrigué pour ne pas dire
irrité certains fâcheux en laissant le violoncelle énoncer le thème principal
de l'andante du 2ème concerto pour piano dix ans plus tôt. En regard
des échanges avec Richard Mühlfeld on était en
droit d'attendre que la clarinette bénéficie du privilège de débuter le trio. Eh
bien non, le violoncelle propose en solo le premier thème : une longue phrase
sinueuse où se mêlent affliction et nostalgie, thème mélancolique si cher au
compositeur. (La tristesse liée à l'idylle platonique éternellement inaboutie
avec Clara, veuve Schumann, plane-t-elle encore dans son esprit ?). Sur des accords
de piano, la clarinette répond avec sensualité sur un très long crescendo et decrescendo
couvrant la quasi-totalité de sa tessiture. Une envolée vers un
aigu révolté puis une descente vers un extrême grave douloureux. Aucune
compétition entre les pupitres, mais un dialogue à trois qui ne suit guère une
quelconque forme sonate. Nombre de sentiments traversent cet allegro à
l'architecture très libre. Brahms
tente-t-il d'exprimer cette résignation face à une vie de succès qui s'achève, mais une vie tout
compte fait de solitude.
L'originalité du discours tient dans les incessants
changements dans le développement de la polyphonie : le jeu du violoncelle et de la
clarinette qui chantent à l'unisson [0:54] ou, à l'opposé, une lutte aimable
dans le passage où les deux instruments se renvoient des arpèges aux accents
virils comme des balles à Wimbledon [3:00]. Brahms entrelace tumulte, passion et
poésie, se livrant à un jeu d'ambiguïté émotionnelle qui nous interpelle de
mesure en mesure… [7:25] Quelques notes au piano reflètent les thèmes initiaux
pour conclure l'allegro tendrement par un délicat et espiègle chassé-croisé d'arpèges joué en duo piano et en toute intimité par la clarinette et le violoncelle…
Brahms en 1890 |
2 - Adagio
(ré majeur) : [V2-0:00] Un sentiment de paix intérieure domine
l'introduction de l'adagio. La clarinette entonne une douce mélopée. Secrètement,
violoncelle et piano interviennent pp
tissant une lumière nocturne. [V2-0:41] Un second thème méditatif au
violoncelle prolonge cette ambiance crépusculaire, ce temps si propice aux
songes et où l'esprit se relâche. [V2-2:15] Le piano, discret jusqu'alors,
développe une mélodie plus allante, un passage presque débonnaire où le clavier
sera rejoint par ses deux compagnons. De nouveau, Brahms
libère la forme, nous fait entendre ce qui s'apparente habilement à une improvisation
à partir d'éléments faisant écho à la thématique de l'allegro. Il n'y a aucune
reprise au sens strict dans la composition ou de velléité de rabâcher un motif
estimé marquant, et pourtant il y en a : pizzicati virils [V2-3:21], complainte
dans l'extrême aigu ou l'extrême grave de la clarinette ; un souci de dévoiler
les possibilités techniques et sonores de l'instrument, notamment la virtuosité
de Mühlfeld, mais pas comme une fin en soi… [V2-4:27]
le développement repose sur le principe du dialogue aimable et rêveur. Très logiquement,
l'andante s'éteint dans une sérénité définitivement retrouvée, un détachement
des tourments terrestres.
3 - Andantino
grazioso (la majeur) : [V3-0:00] On attend un scherzo, un mouvement souvent rapide. Décidément
Brahms veut maintenir l'esprit paisible et
poétique en cours. Donc un intermezzo, là encore de forme peu académique. Un andantino
à trois temps. Trois temps, le rythme d'une valse lente. La clarinette
intervient en premier soutenue par de légers accords de violoncelle et de
piano. Nous quittons cependant la nostalgie des grands mouvements initiaux pour
les délices estivaux. [V3-2:36] Est-ce un trio caché ? Tout au plus une section
où le discours devient distrayant et rythmé, plus mouvementé. Mais toujours pas
d'envolée trépidante, une douce coda à l'identique de celles terminant l'allegro et l'adagio.
4 - Finale -
Allegro (la mineur) : [V4-0:00] Le final est un mouvement très court. Brahms en fin de carrière raccourcissait
de plus en plus ses œuvres. Il revient au la mineur, une tonalité assez sombre
a priori, car la verve n'est pas pour autant absente. Bien que noté allegro, les musiciens ne précipitent rien, conservant
un style pudique dans la première partie. Le violoncelle, comme dans l'allegro
introduit le thème conducteur. La seconde partie du finale lâche enfin la bride
aux protagonistes pour exalter la joie de vivre enfin retrouvée. La partie de
clarinette se révèle ardue par des sauts de hauteur de notes vertigineux. (Partition)
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Le disque écouté ce jour étant difficile à trouver, voici
quelques suggestions sélectionnées dans ma discothèque personnelle, il existe
surement d'autres choix.
Un double album réalisé par le légendaire Beaux arts Trio est toujours disponible et
comporte tous les trios de Brahms
dans une interprétation de rêve. Bien entendu les trois pour piano et cordes
mais aussi celui pour clarinette et celui pour cor. (DECCA origine Philips – 6/6 pour l'ensemble).
Toujours au catalogue, une anthologie DG presque
complète de la musique de chambre du maître par le quatuor
Amadeus et des comparses. En
complément une assez belle version, quoique un peu raide, du trio opus 114
avec Christoph Eschenbach au piano, Karl Leister à la clarinette et Georg Donderer au violoncelle. (DG - 4/6 pour l'opus 114). Idéal pour une
première approche du corpus brahmsien.
Une production Erato un peu ancienne nous proposait une distribution purement
française : Michel Dalberto au piano, Frédéric Lodéon au violoncelle et Michel Portal
à la clarinette. Une réussite à rééditer (Erato
– 5/6).
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