Ce groupe est parvenu à laisser une trace dans les archives fournies des amateurs de Heavy-rock 70's pour deux raisons : l'une est la singulière pochette, fruit du célèbre groupe Hipgnosis, réalisateur de pochettes de disques parmi les plus célèbres (1). Une réussite puisqu'elle agrippe l'oeil. L'autre, la présence de deux futurs Uriah-Heep.
Mais ce serait une erreur de limiter l'intérêt de cet obscur combo aux faits mentionnés ci-dessus, tant la qualité de ce disque éponyme est irrévocable.
1969 |
Ce quatuor anglais a été fondé par Clifford Bennett, un chanteur dont la carrière débute en 1957, avec les Rebel Rousers. Une troupe oubliée, que l'ombre imposante de Cliff Bennett rebaptisa, le plus simplement du monde, la troupe "Cliff Bennett & the Rebel Rousers". Puis, tant qu'à faire, en 1968, Cliff Bennett & His Band. Cliff passe tranquillement les années soixante grâce à quelques petits hits nationaux en se contentant généralement de reprendre sans complexes les chansons d'autrui (des Beatles aux Easybeats en passant par Sam & Dave).
Au fur et à mesure que les années passent, sa voix se fait plus grave, plus rauque, et plus écorchée.
Est-ce qu'il s'est senti enfermé dans un rôle qui ne lui convenait plus ? Ou bien a-t'il senti le vent tourner ? Ou encore, simplement, voulu tout reprendre à zéro pour obtenir un peu de liberté et placer librement ses compositions ? Quoi qu'il en soit, en 1969, il lâche sa petite carrière peinarde de chanteur-crooner de Pop-Rhythm'n'Blues bon chic bon genre pour passer à autre chose.
L'histoire de Toe Fat est confuse et surchargée de contradictions. La raison étant sa très courte existence, cernée et éclipsée par l'activité féconde de ses musiciens.
Bien souvent, sa naissance est attribuée à l'embauche de Bennett par The Gods. Ou l'inverse.
The Gods est l'un des premiers groupes de Rock-progressif. Plus précisément, une formation au carrefour d'une Pop-psychédélique et du Rock-progressif avec quelques effleurements proto-Hard. Cette formation est surtout restée célèbre pour avoir été le tremplin d'illustres musiciens dont Greg Lake (Emerson Lake & Palmer), Mick Taylor (Rolling Stone), John Glascock (Carmen, Jethro Tull), Brian Glascock (Captain Beyond, The Motels), Paul Newton (Uriah Heep) et, dans une moindre mesure, Alan Shacklok (Babe Ruth). Ainsi que Ken Hensley (Uriah Heep, Blackfoot) et Lee Kerslake (Uriah Heep, Ozzy, Living Loud). Pas mal ...
Cependant, entre The Gods et Toe Fat, s'interfère Head Machine. Un groupe dont l'unique disque, "Orgasm", est resté longtemps aux oubliettes. Toutefois, ce groupe temporaire n'est ni plus ni moins que la dernière mouture de The Gods. Les membres ont pris des pseudonymes pour l'occasion (ou plus vraisemblabement par crainte de quelques clauses contractuelles) et se sont adjoint le renfort au chant de David Paramor, qui n'est autre que le producteur de The Gods et de Cliff Bennett. Il est donc fort probable que ce soit Paramor qui orchestre la rencontre entre ce dernier et les musiciens de The Gods / Head Machine.
Head Machine est le chaînon manquant entre The Gods et Toe Fat. Il marque déjà le pas sur les vélléités pompeuses et naïves d'un Rock-progressif / Heavy-psychédélique faisant la part belle aux claviers et aux atmosphères religieuses, pour épouser la cause d'un Rock plus tribal et viscéral.
En connaissant ce disque, on comprend mieux l'évolution de Ken Hensley, même s'il laisse sous-entendre que ce projet éphémère avait initialement un moteur commercial.
Toe Fat est donc bien moins l'évolution de The Gods que celle de Head Machine. Désormais, ça tape dans le Rock dur et lourd. Et gras (fat).
A l'exception donc du nouvel arrivant, Cliff Bennett, qui fait office d'ancien avec son âge avancé de trente balais, chacun garde son poste précédent, soit Lee Kerslake à la batterie, John Glascock à la basse (bien que ce soit Joe Konas qui soit crédité - il y aurait eu quelques va-et-vient de part et d'autre -). Quant à Ken Hensley, s'il n'abandonne pas totalement ses claviers, et son précieux Hammond, ce sont essentiellement ses guitares que l'on entend s'exprimer dans un verbiage cru, crépitant et rugueux. (2).
Si la grande majorité des morceaux sont signés de la seule main de Bennett, le bruit court qu'ils seraient plutôt à attribuer à Ken Hensley qui, enchaîné à un précédent contrat, ne pouvait alors y apposer sa signature. C'est d'autant plus plausible que l'on retrouve "You Tried To Take It All", sur "Orgasm", l'unique galette de Head Machine. Son projet parallèle de 1969, où il avait pris le patronyme de Ken Leslie, pour contourner justement des problèmes contractuels. Tout comme les frères Glascock et Kerslake, tous trois présents. La nouvelle version a été accélérée, ce qui lui procure alors une douce saveur de boogie. Bennett aurait aussi concédé que la ballade "The Wherefores And the Whyes" est bien de la main d'Hensley. Et elle porte effectivement sa patte. Il semblerait même que ce soit lui-même qui la chante.
Cependant, on peut subodorer que les nombreux fans d'Hensley ont innocemment grossi la rumeur, Bennett étant toujours omniprésent - certes moins - sur le second et dernier volet de Toe Fat.
de gauche à droite : Bennett, Glascock, Hensley et Kerslake |
Lorsque l'on lit le nom de Ken Hensley, on pense inéluctablement aux claviers et en particulier à l'orgue Hammond. Or, ici, ce n'est pas vraiment le cas. A ce titre, "That's My Love For You" entame la fiesta par un riff purement Heavy qui aurait pu aisément avoir sa place au sein des "Look At Yourself" et "Very 'eavy ... very 'umble" d'Uriah-Heep. Même la reprise d'Elton John (et de Bernie Taupin) qui suit, "Bad Side of the Moon", est virilisée par une fuzz souffreteuse bousculant sans ménagement sa cousine acoustique. Il y a bien cette fois-ci une petite ritournelle d'orgue que l'on perçoit dès qu'Hensley lâche sa six-cordes, mais "le mal est fait" et cette remarquable version a tout du morceau proto-Hard. Excellente version qui n'est pas loin d'égaler l'originale - certains la trouveront même meilleure - grâce notamment à l'absence de violons - à l'origine envahissants - mais aussi, et surtout, grâce au chant concerné de Bennett et de son timbre puissant et légèrement enroué.
Autre reprise, "Nobody" de l'obscur The Jerms, ici copieusement transformée, ralentissant le tempo pour passer d'un rhythm'n'blues fiévreux à un étrange Hard-blues déchiré par un lick naïf et primitif de guitare aigrelette (joué en slide ou copieusement boosté par une Fuzz chargée d'aigus ?) et une rythmique lourde. Le long final est une apothéose volcanique de riffs apocalyptiques et de wah-wah épileptique.
Et la dernière, "Just Like Me" de The Coasters (reprise par The Hollies et The Searchers), là encore passablement épaissie pour en faire un étrange Rhythm'n'blues douché par des jets bouillants d'une orchestration vouée aux nouveaux dieux d'un Rock naissant, puissant et lourd.
Le reste se place dans un Heavy-rock millésimé, portant encore les traces du Rhythm'n'Blues et laissant passer quelques rares bribes de Pop anglaise. Un Heavy-rock affichant la fraîcheur de l'innocence et de l'insouciance, porté par l'enthousiasme d'une jeunesse exultant à l'idée d'ériger le rugissement de ses amplis brutalisés à une nouvelle forme d'art. Un Heavy-rock que l'on peut dans une certaine mesure considérer comme un proto-Uriah-Heep, notamment pour le travail des chœurs (tous les musiciens étant mis à contribution, y compris le batteur, Kerslake). Cependant, le réduire uniquement à ce rôle serait réducteur et injuste. D'autant que des morceaux tels que "I Can't Believe" hésite plutôt entre la générosité d'un Humble Pie avec une basse à la tonalité et l'élasticité de Greg Ridley, et l'aproche d'un Rock US tapageur et bravache ; tandis que "Working Nights" se situe entre J. Geils Band et Dr Feelgood.
Sans oublier ces reprises revisitées, gorgées de Rhythm'n'Blues bouillant. C'est du goûteux. Un très bon disque de Heavy-rock 70's
Bien qu'il n'y ait qu'un seul guitariste, la majorité des morceaux sont agencés par deux six-cordes distinctes et superposées. L'une cantonnée à la rythmique, manifestement branchée dans une fuzz crachotante (typée Tone Bender), et une seconde relativement plus douce, à la texture plus consistante, doublant la rythmique à l'envie ou jouant en lead.
Mais bien des fois c'est la basse de Glascock - parfois elle aussi parée d'une fuzz - qui consolide l'orchestration tout en lui insufflant du groove.
Et bien sûr, il y a l'assise et la pertinence de l'inébranlable Lee Kerslake, batteur sous-estimé - ici légèrement placé en retrait par le mixage - déjà très à l'aise dans son rôle de bûcheron de rock dur.
Répondant favorablement à l'appel de Mick Box, et probablement cumulé à celui de son ancien collègue Paul Newton, Ken Hensley ne s'éternise pas, et part rejoindre Uriah-Heep (alors en cours de finalisation de son premier disque). Il est rapidement remplacé par un certain Alan Kendall. Un second essai est réalisé et sorti la même année. Plus Heavy, mais aussi plus rigide et parfois hésitant, "Toe Fat Two" ne parvient pas à retrouver l'éclat du premier essai.
Abandonné par son management, Toe Fat abrège sa courte existence.
Cliff Bennett avouera plus tard que son grand regret est de ne pas avoir rejoint Uriah-Heep au moment où il le pouvait (quand ?). Il va bien essayer de rester dans le circuit avec Cliff Bennett's Rebellion (entre Small Faces et ... Faces), puis en rejoignant Sanghai (avec Mick Green), mais sans plus de succès.
De son côté, le dernier rentré, Alan Kendall, rejoint rapidement une fraternité, jouant sur leur neuvième disque, "Trafalgar". Il reste avec les Bee Gees jusqu'en 1979/80, puis les retrouve à la fin des années 80.
P.S. : la version américaine a vu sa pochette censurée ; à cause des nibarbs exposés, le couple nue sur la gauche a été remplacé par un chevreau ... étonnant, non ?
(1) Collaborateur de Pink-Floyd dès 1968, qui va de suite participer à sa renommé, puis de The Gods, Toe Fat, The Pretty Things, Edgar Broughton Band, Wishbone Ash, Renaissance, Electric Light Orchestra, Roy Harper, Led Zeppelin, Bad Company, 10cc, Al Stewart, UFO, Nazareth, Alan Parsons Project, Genesis, Brand X, Sammy Hagar, Peter Gabriel, Rainbow, et encore toute une tripoté pas piquée des hannetons.
(2) Ken Hensley qui après cette parenthèse va rapidement rejoindre le groupe de Mick Box, Uriah Heep, pour en prendre progressivement les rênes jusqu'à son départ. Et Kerslake qui le rejoindra en 1972 Lee Kerlake qui fit aussi partie de la formation qui lança la carrière solo d'Ozzy Osbourne ("Blizzard of Ozz", "Diary of a Madman", "Tribute") et compositeur non-crédité, avec Bob Daisley, de quelques uns des premiers succès du Madman.
🎶♬🙆
Articles connectés (liens) :
Uriah Heep : "Very 'eavy ... Very 'umble" (1970) ; "Salisbury" (1971)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire