mardi 4 juin 2019

IDIR LA CULTURE KABYLE - par Pat Slade



La chanson, ce n’est pas uniquement la France et tous les pays francophones. Après avoir passé la Méditerranée et mis le pied sur le continent africain, la richesse de la langue et la culture du Maghreb apporteront un plus dans la musique.




Idir le renouveau du chant Berbère





Pour beaucoup de personnes quand on parle du Maghreb en général et de la Kabylie en particulier, on ne pense qu’à Zinédine Zidane, même si ce dernier est né à Marseille, ses parents sont d’origine Kabyle. Mais la Kabylie nous a heureusement donné d’autres talents que celui du ballon rond. Lounès Matoub fait partie de ces Poètes d’expression kabyle partisans de la laïcité et de la démocratie ; il sera assassiné par un groupe islamiste. Plus proche de nous, la chanteuse Souad Massi, elle est né à Alger mais originaire de Tizi Ouzou une des villes les plus peuplés de kabylie et pour la petite histoire, Edith Piaf a aussi du sang de cette région montagneuse par sa mère la chanteuse Line Marsa.

Idir, c’est un visage bonhomme, un léger embonpoint qui rend le personnage sympathique. De faux airs avec Jean Chocun de Try Yann (Une année les sépare seulement !). Ce natif des montagnes du Djurdjura est imprégné très jeune par la tradition et la culture berbère, sa grand-mère et sa mère étaient des poétesses reconnues et on venait de loin pour les écouter. Au début il ne prévoit pas de monter sur les planches, il fait des études de géologie et se destine à une carrière dans l’industrie pétrolière. Ce sera en 1973 qu’il va remplacer au pied levé sur Radio Alger une vedette en chantant un titre qu’il lui avait composé : «Rsed A Yidess», une berceuse qui signifie : «Que vienne le sommeil». Un morceau de trois minutes qui ressemble plus à un morceau yéyé des années 60. Un titre ou l’on entend André Ceccarelli qui se fit connaître comme le batteur des Chats Sauvages puis après celui de Michel Jonasz, Claude Nougaro, Dee Dee Bridgwater et même sur un album de Tina Turner avant de se tourner vers le jazz.

«Rsed A Yidess» sera enregistré en 45 tours ainsi qu’un second «A Vava Inouva» («Mon papa à moi») un morceau plein de nostalgie avec sa mélodie berbère et sa musique folk des années 70. Un texte qui évoque les veillées dans les montagnes kabyles et la transmission orale des contes. Cette berceuse était composée par Idir et le poète Ben Mohamed (Ben) pour la chanteuse Kabyle Nouara, mais suite à un empêchement de cette dernière, ce sera Idir lui-même qui interprétera le titre à la radio algérienne accompagné de la chanteuse Mila. Le succès sera immédiat et va allègrement franchir la Méditerranée. Une seconde version sera enregistrée en 1999 et ce sera la chanteuse de langue gaélique Karen Matheson qui reprendra le duo. Quand «A Vava Inouva» prendra son envol, Idir est sous les drapeaux pour une durée de deux ans. Le morceau devient un succès planétaire, il sera diffusé dans 77 pays et traduit en 15 langues. En 1975 il monte sur Paris appelé par la maison de disque Pathé Marconi qui veut produire son premier album avec pour titre «A Vava Inouva» où se trouve le titre éponyme. Il est considéré comme le premier grand tube venant d’Afrique du Nord. Mais sa carrière ne s’arrêtera pas à un seul titre, Idir est un artiste discret, après le succès de son premier album, il faudra attendre trois ans avant qu’il n’enregistre le second : «Ayarrach Negh» («A nos enfants»). Il ne se reconnaît pas dans le monde du show-biz, il aime composer et surtout pour les autres. Après une série de concerts  qui donnera un album live à l’Olympia, il va disparaître pendant une dizaine d’années en donnant quand même quelques concerts.

En 1991 sort une compilation de dix sept chansons de ses deux premiers albums qui va relancer sa carrière, il va réenregistrer certains titres comme «A Vava Inouva» qui reste son cheval de bataille. Deux ans plus tard il enregistre «Les chasseurs de lumière» ou entre les derboukas, flûtes et autres guitares acoustiques, pour la première fois une touche de modernisme sera intégrée avec des synthés. On pourra même entendre un duo avec Alan Stivell. Il livrera en pâture ses nouveaux titres au public pendant trois soirs à l’Olympia.

C’est un homme qui a des convictions. Il participe souvent à des concerts pour soutenir différentes causes. En juin 1995, plus de 6.000 personnes viennent l’applaudir avec Khaled pour un concert pour la paix, la tolérance et la liberté à l’initiative de l’association «l’Algérie la vie». Il participera aussi au concert hommage rendu à Matoub Lounes chanteur kabyle assassiné en 1998.

Son retour discographique se fera en 1999 avec «Identités». Un album qui réunit une foule de guest star. Manu Chao, Dan Ar Braz, Maxime le Forestier, Karen Matheson, Zebda, Gilles Servat, l’Orchestre National de Barbès et d’autres encore feront partie de l’aventure. En 2001, il organise un grand concert au Zenith de Paris où, devant une salle comble, des artistes soutiennent la révolte du peuple kabyle face au pouvoir algérien. Une  série de violentes émeutes et manifestations politiques de militants kabyles appelée le «Printemps Noir» qui fera 126 morts et 5000 blessés. L’année suivante, une nouvelle compilation avec des titres inédits dont un écrit par Jean-Jacques Goldman : «Pourquoi cette pluie» une chanson sur les pluies torrentielles qui se sont abattues sur Alger en novembre 2001. En 2005, il enregistre son premier album live «Entre scènes et terres» et qui va concorder avec ses trente ans de carrière. Il sortira aussi un DVD qui retrace son parcours.

En 2007, en pleine campagne présidentielle, Idir sort «La France des couleurs» avec des invités comme Akhénaton, Grand Corps Malade, Tiken Jah Fakoly et beaucoup d’autres. 2013 et encore un album «Idir» avec quelques reprises à la sauce berbère comme «Tajmilt i Ludwig (Clin d’œil à Ludwig)» Un court extrait instrumental de l’hymne à la joie, ou «targit» une belle reprise de «Scarborough Fair» de Simon et Garfunkel. Il reprendra aussi «Behind Blue Eyes» des Who, mais le morceau sera interprété uniquement sur scène pour une histoire de droit.

Son dernier album date de 2017 et est bourré de duos tous autant improbables les uns que les autres : Francis Cabrel, Patrick Bruel, Charles Aznavour, Bernard Lavillier, Henri Salvador, Gérard Lenorman, Tryo, Grand Corps Malade, Maxime le Forestier et aussi avec sa fille Tamina. On pourra retrouver aussi une belle version de «La corrida» (Takurida) ainsi que de «La Bohème».

Idir est un grand monsieur qui fait tout pour le rapprochement entre les peuples. Un humaniste, précurseur de la world music dont, même si il reste un homme discret, la voix résonne dans les montagnes de la Kabylie.     




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