lundi 3 juin 2019

GONE BABY GONE de Ben Affleck (2007) – par Claude Toon




Angela et Patrick
Boston : la grande ville historique de la côte Est fondée en 1630. Une ville riche de son économie industrielle moderne. La capitale du Massachussetts proche des grandes universités légendaires comme Harvard ou le MIT. La cité aux bâtiments bourgeois de type colonial, l'un des meilleurs hôpitaux de la planète. L'emblème de la réussite du rêve américain ? Je vous propose un polar qui recadre sévèrement ce portrait de dépliant touristique. Un docufiction aurait été plus pertinent me suggère Sonia… Pas certain en regard du souci du réalisme social du film.
Le générique en forme de long plan séquence reflète l'envers du décor du miracle yankee : une banlieue de baraques en bois et d'immeubles en briques fatigués. Qui dit baraques dit balcons. La caméra de Ben Affleck s'attarde sur des petites gens avachis sur les rambardes, immobiles, blasés n'ayant jamais connu d'autres horizons que leur quartier qu'ils aiment pourtant. Beaucoup d'obèses des deux sexes, deux types en fauteuils roulants, comprendre deux blacks vétérans d'une guerre gagnée ou perdue pour un pays qui a si souvent nié leurs droits fondamentaux. Voici le quartier originel de Patrick Kenzie (Casey Affleck) et d'Angela Gennaro (Michelle Monaghan) deux jeunes détectives privés qui apprennent à la télé la dernière horreur du jour : la petite Amanda McCready, quatre ans, a disparu de chez sa mère Helene McCready (Amy Ryan). Patrick fustige la horde de journalistes et de flics "les bras croisés" qui entourent la mère, une paumée typique des lieux. En peu de minutes (le générique défile), le réalisateur fixe les règles à Boston version pauvreté : une gosse disparaît, la famille et les voisins s'organisent ayant perdu toute confiance dans les autorités. Les deux jeunes enquêteurs sont furax de voir la population abandonnée à son sort. Et peu importe le discours standardisé de circonstance du chef de la police Jack Doyle (Morgan Freeman).

Nick et Remy (à droite) "cuisinent" Hélène
Bea McCready (Amy Madigan) et Lionel McCready (Titus Welliver) la tante et l'oncle de la fillette viennent frapper à la porte de Patrick et Angela. Angela a le minois d'une jeune femme à peine sortie de l'adolescence. La demande : seconder la police ou plutôt suppléer à son inactivité. Les deux jeunes sont honnêtes… Leur expérience dans le domaine des disparitions se limite à courser les mauvais payeurs de dettes et de crédits en tout genre qui ont pris la tangente. Là, ils se trouvent face à une affaire potentiellement criminelle. Sans précipitation, les scènes s'enchaînent cependant avec un rythme soutenu. La scène classique des deux tourtereaux qui s'adonnent à la bagatelle après les infos ou avant d'ouvrir aux visiteurs est omise. Un aspect du film : pas d'amourette subalterne ou de scène de sexe. Ici apparaît cet esprit docufiction dont parlait Sonia : filmer l'essentiel du drame sans le romancer.
Les deux jeunes gens tergiversent. Angela, émotive et sentimentale, a peur de retrouver "le petit corps dans une poubelle" et craint donc de ne pas avoir les épaules pour une telle enquête. Patrick est plus enclin à bousculer la léthargie de la flicaille "quatre cap-verdiens ont été tués l'an passé, personne n'en a eu rien à cirer". Ils prennent quand même la décision de rencontrer Hélène. Ils traversent ce que Patrick appelle le cirque, à savoir la foule cosmopolite croisée pendant le générique et la meute de reporters scotchés à leurs micros et de flics toujours aussi… désœuvrés comme si sans surveillance les taudis allaient s'envoler à l'image de l'enfant…
Rencontre tendue avec Hélène, mi-pocharde, mi-toxico, fainéante, querelleuse et grossière à temps plein, pas réellement l'image de la mère hystérique que véhicule le cinéma du genre. Bea, Lionel, Hélène et une ex "copine" de lycée d'Angela s'étripent, préférant régler leurs comptes qu'unir leur force. Le scénario de Ben Affleck inverse les codes du film d'enlèvement : la mère éplorée, le père prêt en en découdre, le détective qui va affronter l'indicible avec un franc succès deux minutes avant The End, forcément. La rencontre avec Jack Doyle est glaciale mais le capitaine ne met pas de veto à leur enquête parallèle.

Ben Affleck dirige son frère
Le choix de Casey Affleck n'a rien (ou pas grand-chose) d'un petit arrangement en famille. Une scène d'anthologie montre la pertinence de confier le rôle de Patrick à un acteur qui affiche une dégaine d'étudiant fluet du MIT. "Il ne fait pas son âge" dira Angela. Questionnant un vieux pote dans un troquet douteux pour ex taulards, Patrick impose sa loi à une bande de brutes pas très motivées pour les interviews sur les turpitudes du coin (euphémisme). Donc, là encore une surprise dans le choix du casting, Patrick n'est pas Jason Statham, et de fait l'action évite l'ornière de la baston à répétition, le règne du plus fort hérité de l'Inspecteur Harry ou de tous ses clones. Il y aura néanmoins de belles scènes d'action, mais plus sordides qu'héroïques…
Autre personnage clé : le sergent Remy Bressant (Ed Harris) flanqué d'un partenaire Nick Poole (John Ashton). Les deux hommes ont été choisis par Jack Doyle pour traquer le ou les kidnappeurs en partenariat avec Angela et Patrick. Bressant, l'expérimenté est la grande gueule qui commencera réellement à faire le boulot. Cet enlèvement n'est peut-être pas le fait d'un pédophile psychopathe, quoique…

Je n'en dirai pas plus bien entendu, le suspense est dense. La qualité de la mise en scène tient dans la linéarité rigoureuse du récit, pas de temps mort, une direction d'acteurs efficace, formidable Ed Harris comme toujours. La caméra nous ballade dans les abîmes d'une ville à la réputation classieuse, mais qui tout compte fait n'a rien à envier aux quartiers refuges du quart-monde misérables et de la pègre multiethnique des autres mégalopoles de l'Amérique.

Jack Doyle, Patrick et Angela
Le film privilégie les rebondissements aux effets raffinés de caméra, on pourrait le regretter, c'est vrai. Le cadrage et la photographie sont assez banals. Point fort : le montage permet de suivre sans difficulté une intrigue complexe mais bien ficelée. Peut-on parler de polar effrayant à la Seven ? Non, mais hormis pour Angela et Patrick, le mal colle à la peau, mal devenu un mode de vie auquel nul ne peut échapper. Amy est-elle une monstrueuse junkie ? Un jugement simpliste pourrait répondre par l'affirmative puisque c'est une ancienne camarade de Lycée de Patrick qui lui n'a pas versé dans la dope et la délinquance. Ont-ils eu les mêmes chances ? Pas forcément, une suite de mauvais choix et de rencontres encore plus malsaines ? Certainement. Amy Madigan a été nominée pour l'Oscar du second rôle. Le rôle effacé de Angela et l'interprétation de Michelle Monaghan m'ont paru un peu fades…

On craignait un film inégal de Ben Affleck, acteur précisément inégal, surtout pour les critiques professionnels, je ne déteste pas son flegme quand le script à un sens. Formellement le film est assez moyen, mais le scénario est d'une grande originalité, sinueux et très solide. Une trame surprenante de traque après enlèvement ; nous suivons des fausses pistes dans un univers classique de film noir : la faune des dealers, les flics ripoux, mention spéciale pour un trio de dégénérés camés-pédophiles sorti tout droit d'un tableau de Jérôme Bosch ou d'un délire de Fellini reconverti dans le thriller macabre (n'en tirez aucune conclusion quant au sort d'Amanda). Le dénouement suivra une piste inattendue. Le couple Angela et Patrick survivra-t-il à cette histoire d'une infinie tristesse dans ses implications morales, entre générosité subjective pour l'une et devoir vertueux pour l'autre ?

Format : couleur — 35 mm — 1.85:1
Durée : 113 minutes



3 commentaires:

  1. J'aime beaucoup ce film, son enracinement social justement, qui tranche avec les polars habituels. Du vrai Film Noir contemporain. Je recommande la lecture des romans de Dennis Lehane de la série Kenzie / Gennaro, dans l'ordre si possible. Y'en a 4 ou 5. Ben Affleck a adapté un autre de ses livres, "Live by night" : moins bon.

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  2. Je ne sais pas, j’ai aimé leur site pour regarder des films https://streamingcomplet.video/ Il est très approprié, il est donc utile de se familiariser avec vous-même, je pense que c’est ce que j’ai besoin de vous dire.

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    1. Merci pour le tuyau.
      Je viens de faire un test mais mon antivirus Kapersky à bloquer net la connexion !!!!
      Je vais me renseigner auprès de mon fils, informaticien, pour arbitrer cette affaire...
      Bon WE.

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