mercredi 8 mai 2019

Pat BENATAR "Crimes of Passion" (1980), by Bruno



     Le parcours de la jeune Patricia Mae Andrzejewski ressemble à un conte urbain avec pour  toile de fond l' "American Dream".

     Patricia est née à Brooklyn, le 10 janvier 1953, d'une mère Irlandaise et d'un père Polonais. Tandis que le paternel sue sang et eau dans les aciéries, maman travaille en tant qu'esthéticienne. C'est cette dernière, qui fut chanteuse classique, qui l'initie à la musique et l'invite à suivre des cours de chant. Elle débute par le chant classique avant de se tourner vers le music-hall, enthousiasmée par Liza Minnelli
 

   Si elle prend rapidement goût à la musique, la rigueur de ses parents lui pèse. C'est en partie pour quitter le foyer familial qu'elle épouse en 1972, Dennis Benatar, un militaire, qu'elle suit à Richmond, Virginie. Travaillant le jour dans une banque en tant que caissière, elle chante le soir dans de petites salles (avec le groupe local Coxon's Army).

   Elle parvient à réaliser un premier 45 tours en 1974 - "Day Gig" et "Last Saturday" -, très typé Music-hall, variété (entre Tom Jones, Minnelli et Karen Carpenter) où sa voix fait déjà des merveilles.
   Mais cette vie ne la satisfait pas, elle rêve d'une vie consacrée à la chanson et en conséquence se languit de l'activité trépignante New-Yorkaise. C'est pourquoi qu'en 1975, elle plaque tout, mari inclus, et repart pour New-York où elle tente de se lancer dans une carrière professionnelle de chanteuse.

     Elle se produit dans des clubs, dans un registre plutôt proche du Music-hall, et est sollicitée à l'occasion pour des jingles publicitaires. Elle se produit régulièrement au "Catch a Rising Star" où l'on donne la possibilité à de jeunes talents de faire leur preuve, et où rodent divers professionnels et apprentis du music-business. Elle intègre aussi la comédie musicale "The Zinger".
    Si l'effervescence de la métropole l'amène à se frotter à plusieurs styles, l'étendue de son registre n'étant pas une limite, elle a du mal à vraiment assimiler la nature d'un Rock agressif et d'adapter son chant, qui reste trop marqué par ses années de cabaret
Néanmoins, cela n'arrête pas Chrysalis Records qui la découvre au club Tramps, - où elle se produit depuis quelques temps avec une troupe en partie formée grâce à l'intervention de Rick Newman, le propriétaire du "Cath A Rising Star" - et qui lui propose un contrat en bonne et due forme pour enregistrer un album.

     Pendant les sessions, le producteur, Mike Chapman (Sweet, Blondie, Smokie, The Knack, Suzi Quatro), a bien du mal à réaliser quelque chose de cohérent. Du moins, à son sens. Certes, la fille chante bien ("greats !"), mais ... avec le groupe, pour interpréter du Rock agressif, ce n'était pas vraiment ça. Il juge le résultat ridicule ...  Il appelle donc à la rescousse un jeune gars qui a accompagné Rick Derringer sur sa dernière tournée, et  qui a (un peu) travaillé sur son dernier disque, "Guitars and Women". Un multi-instrumentiste capable de s'imposer en tant que directeur musical, plutôt doué à la guitare, et sachant jouer fort et agressif.
   D'un autre côté, pour Neil Giraldo - le multi-instrumentiste -, c'est sa première expérience avec un vrai chanteur. C'est aussi une formidable opportunité en passant d'un statut d'employé à celui envieux de directeur musical ayant, enfin, la possibilité d'exprimer ses dons de compositeur et d'instrumentiste.
La providence, à croire que ces deux là, Pat & Neil, étaient fait pour se rencontrer.


     Il se passe quelque chose entre eux. Il y a une émulation mutuelle qui les amène à modifier naturellement, sans réelle réflexion, leur jeu. La voix de Pat devient plus rauque, et la guitare de Neil gagne en présence.

     Un lien indéfectible se crée entre eux. Ils sont sur la même longueur d'onde, jusqu'à devenir amants. Ils se marient en 1982. Aujourd'hui, ils sont toujours ensemble. Un fait rare dans le show-business ... 
Et eurent beaucoup d'enfants (enfin, deux, c'est déjà ça). 

  Enfin, en août 1979, sort un premier essai, "In The Heat Of The Night". Un très bon disque qui, poussé par quatre 45 tours (mais dont seuls deux font vraiment des vagues), grimpe progressivement mais sûrement les échelons des charts, jusqu'à caracoler à la douzième place. Et à la troisième chez les voisins Canadiens. Rien qu'aux USA, il se vend à plus d'un million d'exemplaires. Pas mal pour un premier disque de parfaits inconnus. La production de Mike Chapman n'y est pas étrangère. Loin d'un Heavy-rock consensuel, et probablement pour la première fois, Pat Benatar - le groupe - allie la rigueur d'un Rock raffiné, au dépouillement des groupes de New-wave américains, et à une énergie et un mordant issus du Hard-rock. Le tout avec une fraîcheur insufflée par la charmante demoiselle et sa voix d'or.
   Néanmoins, on sent derrière cette franche réussite, comme une odeur de projet commercial mûrement réfléchi. En effet, il n'y a que trois pièces originales, le reste n'étant que reprises. Même le classique "Heartbreaker", deuxième single et premier grand succès, indissociable de l'aura "Benatar", est en fait une chanson écrite pour Jenny Darren. Une Anglaise qui en dépit d'un premier disque dès 68, de quatre albums solo (de 1976 à 1980), de prestations en premières parties prestigieuses (dont AC/DC), et surtout d'un réel talent de chanteuse, n'a jamais connu le succès (1).

    L'année suivante, certainement rasséréné par la belle prouesse commerciale du single "We Live For Love", composé intégralement par Giraldo, on laisse de la place aux compositions du groupe. Le résultat donne un disque plus cohérent et plus Rock'n'Roll. Cela en dépit d'une petite incongruité : le magnifique "Wuthering Heights" de Kate Bush, qui aurait été imposé par le label. Exercice périlleux dont la mignonne se sort avec aisance. Là où Kate Bush insuffle un soupçon d'espièglerie et de romantisme éthéré, Pat, elle, procure plus de maturité, de force de caractère toute féminine.
     En aurait-il été de même, une suggestion appuyée du label, pour "You Better Run", la reprise des Young Rascals, directement lancée sur le marché en 45 tours, un mois avant la sortie du 33 ? Certainement. C'est d'ailleurs une stratégie bien connue des labels d'imposer une reprise à leur recrue pour décrocher un hit. Sorti un mois avant et en allant taquiner les charts, France comprise, il a bien préparé le terrain à l'album qui va se vendre comme des petits pains.


   La production suit le chemin entamé précédemment, et va même un petit peu plus loin vers une sobriété qui frôle l'austérité. C'est Keith Olsen qui passe derrière la console ; un des gros producteurs des années 80 et début 90, synonyme de gros son et de succès à la clef.

Outre quelques rares lignes perdues de claviers (jouées par Giraldo) on ne s'embarrasse pas d'arrangements ; même les guitares se contentent d'un son crunchy à l'aspect "naturel", juste poussé par la chaude saturation des lampes. Elles semblent dépourvues de toute reverb (un soupçon de Delay sur les premières notes du solo de "I'm Gonna Follow You") et de chorus (excepté sur "Wuthering Heights"). Giraldo paraît jouer surtout avec le volume et le sélecteur de micros. Il faut dire qu'il est un adepte des B.C. Rich, des instruments principalement prisés par des musiciens de Hard-rock (dont Joe Perry, Brad Whitford et Dick Wagner) (2), car il leur en faut peu pour qu'elles rugissent, mordent même, certaines étant équipées d'une électronique active prête à cracher le feu. Toutefois, il n'a jamais lâché sa Stratocaster sunburst de 64. Au niveau des amplis, il est fidèle à un lot de combos Marshall 2x12, un modèle limité de 1978, acquis la même année.

     En dépit de certains refrains Pop et radiophoniques, de ses moments de douceur et d'instants mélancoliques, "Crimes of Passion" reste à distance d'un Rock/Hard purement FM ampoulé et/ou policé. Précisément dans le sens d'une recherche commerciale, au détriment d'authenticité et d'essence organique.
Bien que cet album soit souvent mentionné comme une nouvelle branche du monumental arbre que représente le Hard-rock, il serait injuste de négliger l'impact que semble avoir eu Foreigner sur le duo Giraldo-Benatar ; en particulier l'album "Head Games" (le plus foncièrement Rock de toute sa carrière).

 Si bien naturellement, la voix exceptionnelle de ce petit bout de femme a toujours été mise en avant, il serait injuste d'occulter le travail des musiciens, et particulièrement celui de Neil Giraldo. L'homme de l'ombre qui tisse de la dentelle avec des riffs crus et rugueux. D'essence purement Rock'n'Roll, son jeu sait aussi se faire preuve de subtilité pour trouver le ton juste pour habiller la chanson, lui donner du sens. Sachant au besoin se faire mordant ou au contraire plus tendre et trousser de nouvelles mélodies.

   Avec "Never Wanna Leave You", il crée une ambiance à la fois raffinée et séraphique, sans se détourner d'un indéfectible fond Rock. Par contre, avec "Hell is For The Children", le fond est amer et grave, devient âpre pour le refrain puis devient rageur. Sur "Little Paradise" c'est un alliage de Funk chatoyant et de Rock coquin. Enfin sur "Out-A-Touch", il fraye avec le Punk-pop de Blondie - autre groupe New-Yorkais, chapeauté par Chrysalis et un peu façonné par Mike Chapman - mais en lui donnant des ailes.

   Sur "I'm Gonna Follow You", composé par Billy Steinberg, il crée un écrin sensuel dans lequel sa belle s'étire, se pâme, se love dans des draps de soie, bondissant à deux reprises prête à mordre. 
Le comble : malgré une base quasi-parfaite gravée dans la cire, lorsque son géniteur (3) la reprendra à son compte (au sein de Billy Thermal ... [ce nom !]), loin de l'égaler, il la massacrera carrément. Preuve de l'apport primordial de Giraldo.
Mais, à son crédit, il faut bien comprendre que le couple Giraldo-Benatar a ce don de se réapproprier des chansons en les customisant avec goût et subtilité, les embellissant ou en leur injectant un peu plus de gnaque. Au point où même lorsque l'auditeur connait les deux versions, il reste persuadé que celle du duo est l'originale. 


     Femme de caractère, sous couvert d'une musique Rock facile d'accès, Pat ose à l'occasion des sujets sérieux et graves. Comme ce terrible "Hell is For The Children" dont les paroles avaient alors un peu secoué une Amérique endormie. Bien loin des sucreries sur l'Amour qui inondent les ondes radios, cette chanson évoque la fragilité et la vulnérabilité des enfants face à la maltraitance et à l'ignominie de l'inceste.


     Pat Benatar est une féline, sachant autant ronronner que se montrer agressive et feuler telle une tigresse. Avec ses quatre octaves, elle est capable de donner du relief à la moindre bluette. Bien plus tard, elle se frottera au Blues et au Jazz comme si elle avait baigné dedans depuis toujours.

     "Crimes of Passion" est un franc succès avec plus de cinq millions de galettes écoulées rien qu'aux USA. Désormais, Pat Benatar est une vedette internationale. Même l'hexagone s'est entiché d'elle. Il est juste un peu regrettable que le succès ne rejaillisse pas également sur son compagnon, Neil Giraldo, principal compositeur et fin guitariste. Mais, apparemment, cela ne l'a jamais gêné ; il ne devait avoir d'yeux que pour celle qui l'avait pris dans ses rets.
Durant toute la décennie, Pat Benatar va survoler les charts, hors d'atteinte de la concurrence. Pourtant le management et le label vont faire la gueule car le couple leur résiste, et leur oppose un refus catégorique lorsqu'ils souhaitent que Patricia joue plus de sa féminité et devienne un objet de désir (bande de porceaux cupides). Ou encore, lorsque le couple décide de lever le pied afin de s'occuper de leur premier enfant (en 1985), puis du second (en 1994), afin de préserver leur vie de famille.

     Et dire qu'il lui fut reproché de trop montrer ses jambes, avec des jupettes trop courtes ou des juste-au-corps de danse, l'accusant de racolage. Il y a pourtant un monde - euphémisme - entre ses jambes gainées de collants et les tenues affriolantes des bimbos du "r'n'bi".

Face-A
NoTitre
Durée
1.Treat Me RigDoug Lubahn, P. Benatar3:24
2.You Better Run Eddie Brigati, Felix Cavaliere3:02
3.Never Wanna Leave YouNeil Giraldo, Pat Benatar3:13
4.Hit Me with Your Best ShotEddie Schwartz2:51
5.Hell Is for ChildrenNeil Giraldo, Pat Benatar, Roger Capps4:48
Face-B
NoTitreDurée
6.Little ParadiseNeil Giraldo3:32
7.I'm Gonna Follow YouBilly Steinberg4:28
8.Wuthering HeightsKate Bush4:28
9.Prisoner of LoveScott St. Clair Sheets3:05
10.Out-A-TouchN. Giraldo, P. Benatar, Myron Grombacher4:19

(1) Totalement oubliée, et alors qu'elle reprend la scène à 67 ans avec un nouvel opus à la clef, en 2018, elle participe au célèbre "Britain's Got Talent" chapeauté par Simon Cowell, où elle scotche autant le jury que le public - qui lui offere une standing ovation - en interprétant "Highway to Hell".
(2) Dans les années 80, elle s'étend à tout le milieu Heavy-Metal, de Lita Ford à Kerry King, jusqu'à Slash, en passant par C.C. DevIlle (large palette du Rock ricain) avant qu'il ne jure que par Saint LesPaul. En 2012, BC Rich réalise sur la base de la Eagle, un modèle signature "Neil Giraldo".
(3) Billy Steinberg allait écrire parmi les plus gros hits de la décennie. A savoir "Eternal Flames" et "In Your Rooms" (Bangles), "Alone" et "I Want You So Bad " (Heart), "I Drove All Night", "Heading West" et "True Colors" (Cindy Lauper), "I'll Stand by You" (Pretenders), "Look Me in the Heart" (Tina Turner), "How Do I Make You" (Linda Ronstadt), "Like Me a Virgin" (Madonna) ...


 
🎶♬🎸

🎶♬♕

3 commentaires:

  1. Ah ouais, tiens, c'est marrant je te voyais pas aimer ça!...T'es plutôt "roots" et la Pat ça frise la FM, bien plus que Foreigner je trouve.
    Bon ben je me lâche alors, j'ai tous ces premiers en vinyle dont un live sorti en 1983 avec la tuerie inédite Love is a Battlefield (avec un chouette poster de la miss).
    J'ai un gros faible pour le 1er, le plus hargneux!
    A cette époque je la casais sur des compiles K7 avec les Lords of the new church, Men at work ou Ganafoul que je refilais à un pote DJ pour mettre le bazar dans sa boite...Ça marchait bien!...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. "Roots" ?? Ha, ha, ha :-) ... J'en sais rien mais ce Benatar là m'a toujours botté, comme le premier.
      Effectivement, parfois ça frise le FM, mais sans jamais y tombé (du moins dans ce que l'on peut considérer comme "FM" péjorativement.
      Ne serait-ce que par la quasi absence de claviers (y'en a, mais ils se cachent)
      Sinon, par bien des côtés, on pourrait le rapprocher du Foreigner de "Head Games", qui doit être leur disque le plus "cru", le plus Rock. Le plus "guitares".

      Oui, ce live a une belle réputation, mais jamais trouvé.

      Supprimer
    2. Ganafoul et Men At Work, ça fait un drôle de mélange, non ?
      Et Ganafoul en boîte, cela devait être un cas unique. Mais il est vrai qu'il fut un temps (une éternité) où les dj étaient nettement plus éclectiques, et ouvert.

      Supprimer