Très carré Éric-Emmanuel Schmitt |
J'ai lu dans un commentaire sur A*z*n qu'Éric-Emmanuel Schmitt avait un style ampoulé. Et vlan ! Sans doute un lecteur trop habitué, comme moi, à lire plus ou moins en diagonale lesdits thrillers dont le style doit correspondre aux attentes d'une génération trop pressée de savourer l'intrigue et le suspens au détriment de la farandole des mots, de la polyphonie des conjugaisons surgies du passé. J'adore Minier, Grangé, Brussolo et leurs copains anglo-saxons bénéficiant, si je puis dire, de traductions de niveaux inégales, Rollins, S. King, Koontz, etc. Mais hormis Pierre Lemaître auquel j'ai consacré deux chroniques, je cherche un peu en vain dans mes lectures des plumes dignes d'un Flaubert, d'une Marguerite Yourcenar ou d'un Mauriac. Et dans ce petit essai ou récit autobiographique, disons une grande nouvelle d'une bonne centaine de pages, le verbe chante. C'est préférable quand le titre inclut le nom de Chopin allez-vous me dire.
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Piano droit Schiedmayer |
Pour le gamin Éric-Emmanuel
l'affaire semble mal engagée. Marmot plutôt entier, sa vision de sa famille se
révèle étrangement pyramidale "deux parents, deux rejetons" et un intrus
: un piano. Une antiquité de piano droit Schiedmayer
hérité d'une génération précédente, un cinquième membre de la famille. On
culpabiliserait de le mettre au rebut. Un instrument fatigué et encombrant que
madame mère concède à épousseter par respect pour les anciens. Un vieillard qui,
comme souvent, voit son "menton" s'affaisser, laissant entrevoir les
touches-dents d'épicéas ou de tilleul jaunies esquissant une bouche qui ricane. Un jour, j'ai constaté le
phénomène chez des voisins BCBG. Difficile de résister au rire communicatif affiché
par les cinquante deux chicots. Le portrait de famille brossé est drôle, affectueux et
sarcastique. La plume de l'auteur nous conduit nous aussi au sourire. Chaque
mot fait mouche dans des phrases élégantes et alertes, d'autant plus amusantes
qu'elles sont courtes et enlevées.
Seule sa sœur aînée se hasarde à molester Mozart (la marche turque), Beethoven (La lettre à Élise) et
quelques autres "hits" des jeunes pianistes. Éric-Emmanuel se réfugie dans sa chambre pour échapper aux dissonances
dues sans doute à l'inexpérience de la jeune fille ou à l'accordeur qui ne vient
pas assez souvent ou a renoncé à entretenir "l'ogre" ? Mais ces hypothèses seront
contredites par un évènement qui bouleversera la vie de l'écrivain, l'entrée en scène de tante Aimée.
Le récit est conçu comme une pièce de théâtre. Logique
pour notre homme de lettres également dramaturge. Des scénettes courtes où se mêlent
souvenirs, tendresse et facéties. Tante
Aimée de visite un dimanche avise ce piano a priori importun dans la vie du
futur écrivain et décide "de flatter le clavier". Éric-Emmanuel découvre la jouissance d'écouter
une musique interprétée et non ânonnée comme un alphabet de notes disparates. Émergent une sœur un peu vexée mais un fils réconcilié avec le sieur Schiedmayer.
Portrait de Chopin, ça s'impose ! |
Saut dans le temps, notre conteur et héros étudie la
philosophie rue d'Ulm et prend une décision énergique : domestiquer Chopin. Difficile à son âge d'intégrer un
conservatoire ou de jouer au quotidien, seul le samedi lui laisse la liberté de travailler la musique.
En plus, il n'a pas de piano… Il fera appel à Madame Pylinska qui dans un premier temps refusera d'accompagner
cet étrange étudiant addict de Chopin.
Mais Madame Pylinska aime relever les défis et doit aussi gagner son pain. Éric-Emmanuel
Schmitt aurait certainement développé cette double idée avec plus de raffinement que votre rédacteur. Madame Pylinska est horrifiée par le
manque de personnalité du jeu de son élève, pas par sa technique plutôt habile. Ses commentaires acerbes pleuvront sans aménité, notamment ceux fustigeant le jeu d'un "bûcheron"
guère surprenant chez ce colosse (choix de la photo en conséquence😊). Madame
Pylinska a des méthodes assez particulières : faire écouter son élève assis sous le piano
pour sentir les vibrations de la table d'harmonie, regarder les fleurs éclore
aux jardins du Luxembourg et même faire l'amour la veille du cours hebdomadaire… Quel résultat
donnera cet étonnant parcours initiatique, la compréhension des secrets de l'amour de la vie, au sens très large, démarche révélant celle cachée derrière les arpèges et les accords de Chopin ? Je garde le secret de la méthode Pylinska.
Deux heures de lecture plaisantes pour un amateur de
belles-lettres et de piano, passions assez indissociables pour apprécier
l'ouvrage. Et puis à travers le récit d'Éric-Emmanuel,
Madame Pylinska nous enseigne nombre
de vérités à propos de la pensée des compositeurs : Schubert
l'intimiste car ne jouant souvent que sur des pianos droits de chambre, Liszt
qui joue "pour l'extérieur" à grands renforts de touches cassées dans ses
spectaculaires rhapsodies
(pourtant ses années
de pèlerinage sont aux antipodes de cette extraversion), Chopin enfin, si difficile à interpréter
car jouant vers l'intérieur, son intérieur… Un livre d'une belle richesse musicologique.
Je pense le relire un jour, mais cette fois-là, avec comme décor musical, les Nocturnes (Clic). Les durées de lecture et
d'écoute étant sensiblement identiques.
Bonne lecture
!
Albin Michel – 126 pages.
Ce livre a été décliné en un spectacle avec l'auteur
comme comédien et apprenti pianiste, il sait tout faire cet homme !
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