lundi 13 mai 2019

JEUNE FILLE MODÈLE de Grace Ly (2018) - par Nema M.



- Tiens Sonia, des perles de coco pour notre goûter.
- Miam, j’adore. Et c’est en quel honneur ?
- Nouvelle chronique sur une jolie histoire au parfum d'Extrême-Orient. Belle plongée dans le 13ème arrondissement de Paris, quartier des Olympiades, l’un des quartiers chinois de Paris, avec ses grandes tours mais aussi ses constructions aux toits relevés dans les coins qui rappellent les temples chinois, sur la fameuse Dalle des Olympiades. Très intéressant sur le plan architectural, mais de gros problèmes de béton pour certaines tours, du fait de la porosité et …
- STOP ! Pas de cours sur les structures béton ! On dirait M'sieur Toon, le roi de la digression…

Sonia a raison. Ne nous égarons pas. Ce quartier, construit dans les années 70 est certes très atypique par le projet d’urbanisme ambitieux et novateur qu’il représente (rues souterraines pour les voitures, piétons sur la dalle, tours aux noms de villes Olympiques : Mexico, Helsinki, Sapporo…), mais il est également un délice de dépaysement aux couleurs et aux saveurs de l’Extrême Orient. Et avec ce joli premier roman, Grace Ly nous fait entrer dans l’intimité d’une famille Chinoise (d’origine Cambodgienne) implantée dans cet univers sino-parisien.

L’héroïne, la jeune fille modèle (enfin, pas si modèle que ça) se nomme Chi Chi. Chi Chi Chan. Et c’est elle qui nous raconte une partie de sa vie d’adolescente, envoyée par sa mère, Ama, au lycée international afin de devenir médecin, ingénieur ou toute autre profession qui fait rêver Ama. Ama est une cuisinière hors pair mais la tenue d’un restaurant est un travail énorme, usant, et ses mains dont la peau est toute crevassée en est l’illustration la plus visible. La Grand-Mère est là aussi, digne, un peu rude avec Chi Chi qui ne sait pas plier correctement les serviettes en fleur de lotus, mais pilier indispensable d’une famille venue se recomposer en France pour fuir la guerre civile du régime des Khmers rouges, la folie de Pol Pot. On retrouve ainsi au fil des pages les membres de cette famille poussée à quitter son pays par les horreurs de la guerre. Oncle Deux, frère d’Ama, est devenu un chauffeur de taxi très serviable : il explique à Chi Chi qu’il faut travailler dur et surtout ne pas se faire remarquer. Sa femme Tata Meng tient une rôtisserie et soigne à grand renfort d’eau de javel le carrelage blanc de son pavillon de grande banlieue. Tata Brigitte est un peu à part : elle a abandonné son prénom cambodgien pour se faire appeler Brigitte, comme Brigitte Bardot son idole, et s’active dans son salon de coiffure.

Les Olympiades (Paris 13)
La vie de Chi Chi est un peu compliquée car elle se sent comme une banane : blanche à l’intérieur et jaune à l’extérieur. De plus, elle ne connaît pas son père et personne ne veut lui en parler. Comme toutes les ados, elle a le souci de son apparence : ses yeux sont moins bridés que ceux de ses deux copines les jumelles Kim-Ay et Asoy qui ne rêvent que de se les faire débrider. Avec la complicité des jumelles, elle fait une tentative de décoloration de ses cheveux, cela aurait pu virer au cauchemar sans l’intervention de sa Tata coiffeuse. Son goût pour les sacs Eastpack lui vaudra une exclusion du lycée… Bref Chi Chi a les questionnements et les mésaventures d’une lycéenne avec ce petit plus très joliment raconté de la quête d’identité à travers l’histoire de sa famille et de ses racines. Quelle ne sera pas sa surprise de découvrir que le mandarin qu’elle apprend au lycée, n’est pas la langue d’origine de sa famille, le khmer !

Ce roman chemine doucement entre la vie quotidienne de la lycéenne et les péripéties du restaurant. Avec quelques moments festifs, comme le Nouvel An chinois, ses cortèges et ses rituels. Pas simple pour nos ados bien impliqués dans le maintien de traditions asiatiques de faire le dragon dans les rues du 13ème.  Personnellement, la première fois que j’ai pris connaissance des cérémonies de Nouvel An chinois, il y a déjà longtemps, j’habitais dans ce quartier (très exactement tour Cortina, Cortina d’Ampezzo ville italienne où ont eu lieu les JO d’hiver 1956…) : je ne savais pas du tout ce que c’était et j’ai été très surprise d’être réveillée un matin par la musique avec le gros tambour et les petites cymbales. Depuis les cérémonies sont devenues plus spectaculaires et amènent dans le quartier de nombreux badauds.
Nouvel an chinois
Mais il se passe bien d’autres choses dans l’intimité du foyer de Chi Chi. Quelques jours avant le Nouvel An, la Grand-Mère a mis dans un vase de porcelaine des branches de prunier, hautes tiges sans feuilles, qu’elle a décorées avec des enveloppes rouges portant les idéogrammes de la fortune ; toutefois avant de s’adonner aux agapes du réveillon version cambodgienne, la prière aux ancêtres dirigée par Grand-Mère est un moment précieux de mémoire et de respect, nimbé par l’odeur des bâtons d’encens qui se consument. Ambiance familiale feutrée dans laquelle Chi Chi aimerait avoir des réponses, mais « une enfant ne pose pas de question » (dixit la Grand-Mère).

Quel stress ce restaurant ! Quelle angoisse quand il y a un contrôle sanitaire ! Que de senteurs et de bruits dans la cuisine, comme le crépitement des bouts d’ail qui dorent dans la poêle ! Puis Ama malheureusement tombe malade et est hospitalisée. Le restaurant est fermé quelques temps. Chi Chi, la Grand-Mère, Oncle Deux, les Tatas, tout le monde ne veut pas croire, ne peut pas croire qu’Ama ne revienne pas parmi eux. Et après avoir notamment expérimenté un remède traditionnel, la vie reprend, la fête recommence. Cette fois-ci on est à la veille de l’année du Tigre, et c’est dans la joie et l’allégresse que toute la famille se retrouve pour un repas pantagruélique… Chi Chi finira par avoir des réponses à ses questions sur ses origines. Tout est bien qui finit bien.
En prime dans ce récit très asiatique, une jolie parenthèse multiculturelle, avec Nabil le copain de Chi Chi, dont la mère El Khiatia, femme de ménage à l’intérieur « nickel », cuisine divinement le couscous. 

Grace Ly est née à Grenoble. Elle est arrivée dans le 13ème à l’âge de 6 ans. Grace Ly est devenue avocate et s’est notamment engagée contre le racisme anti-asiatique en France.

Bonne lecture avec ce dépaysement au cœur du 13ème arrondissement de Paris.

Fayard - 250 pages


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