Chers lecteurs, pour cause de rendez-vous à Los Angeles avec Joe Satriani, notre
ami Bruno a reporté sa chronique "guitare" à Samedi. !! Donc,
dans un tout autre genre, voici l'article prévu samedi et consacré à Bach.
- Coucou
M'sieur Claude… Tiens vous nous proposez un remake de l'Art de la fugue de Bach
? Enfin c'est juste une impression…
- Eh non Sonia,
mais ce n'est pas si bête comme rapprochement. Il s'agit de l'offrande
musicale, une autre œuvre de musique pure, contemporaine de celle que vous citez…
- Flûte,
clavecin, violoncelle… Heu, c'est pareil que pour l'Art de la fugue, on joue
sur les instruments selon son bon vouloir ?
- En effet,
aucune orchestration n'est précisée, il existe une multitude d'adaptation depuis
1747, date de la composition…
- Comme
souvent chez Bach, même si vous parlez de musique pure, je ressens comme une
impression de religiosité… Je me trompe ?
- Non, pas du
tout, on disserte depuis près de trois siècles à propos de ce titre d'Offrande…
Frédéric II de Prusse |
On peut associer l'Offrande
musicale de 1747 au
triptyque d'ouvrages de musique pure comportant également les célèbres Variations Goldberg (1740) et l'Art de la fugue
(1748). Dans les dernières années de
sa vie, Bach semble avoir souhaité
offrir à la postérité un testament musical sur son travail hors du commun sur
le contrepoint.
L'Art de la fugue
commenté lors de ma première contribution pour le blog mettait déjà en exergue
les incertitudes quant à l'état dans lequel nous sont parvenues les partitions
autographes. Là il s'agissait du mystère entourant la dernière fugue, très
longue, restée inachevée pour des raisons mal connues : travail interrompu,
impossibilité de conclure une fugue aussi complexe, œuvre rajoutée et sans
aucun rapport avec les autres fugues, etc. Pour les variations
Goldberg, cette question ne se pose pas mais, pianistes (Glenn Gould...) ou clavecinistes (Scott Ross...) et d'autres formations
instrumentales ont montré l'incroyable adaptativité du chef-d'œuvre par divers
musiciens. Quant à l'Offrande
musicale, tout comme l'Art de la fugue, Il n'y a guère d'autres exemples d'universalité d'un ouvrage
"théorique" dans l'histoire de la musique. Je n'aime pas ce mot même
si Bach apporte par son travail une avancée
majeure dans l'art de la composition occidentale. L'adjectif "Théorique"
fleure bon l'académisme et la partition d'étude ennuyeuse. Mais là intervient le génie du Cantor. Sa
musique dépasse la performance de l'écriture savante et imaginative pour
atteindre un univers sonore cosmique. L'Offrande
musicale est bien la 3ème pièce maîtresse de ce trio
de partitions surprenantes. Elle comporte : des ricercares, des fugues, des
canons et même une sonate en quatre mouvements, un recueil établi dans un ordre
relativement indéfini et une orchestration plutôt libre.
- S'cusez
M'sieur Claude… C'est quoi un ou une ricercare ? Fugue et canon comme celui de Pachelbel,
ça me parle un peu, mais là ?
- C'est une
forme ancienne de fugue héritée de la polyphonie de la Renaissance. Une fugue
se développe sur un seul thème et plusieurs voix… Un ricercare ou
"recherche" en italien est plus libre dans son évolution et peut
changer sa thématique… C'est très simplifié comme réponse, je ne suis pas un
expert du contrepoint, une science musicale à part entière… Peu de nos lecteurs
se soucie de ce détail, pour les autres (clic).
La question de Sonia est pertinente car Bach a enterré le ricercare à l'ancienne
par ses découvertes qui atteignent leur quintessence dans l'Art de la fugue. La présence conjointe de
ricercares et de fugues dans l'Offrande musicale
serait-il un clin d'œil envers ce travail musicologique révolutionnaire
qui n'appartient qu'à lui ?
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Jordi Savall |
Rapidement, la Cantor couche sur le papier et
apporte des perfectionnements dans les différentes improvisations. Le manuscrit
est remis au roi en juillet sous le titre L'Offrande
musicale. L'ensemble de pièces, riche et diversifié, bénéficie
de la cohérence offerte par le thème initial proposé par Frédéric II.
Nota : dans l'enregistrement proposé, le thème joué à
la flûte solo introduit le disque.
La partition est constituée de 16 pièces : le ricercare
à 3 voix et celui à 6, une sonate en quatre mouvements, une fugue et 9 canons
de formes et de nombre de voix différents. L'ordre des pièces est sommairement
imposé, il change d'un interprète à l'autre. La partition moderne consultée propose
le ricercare à 6 pour clavier sur deux portées, mais également dans une version
pour six portées suggérant une interprétation pour un groupe de cordes bien
qu'il était d'usage d'écrire de la sorte les fugues complexes à l'époque. Jordi Savall nous gâte et propose les deux
versions. Plusieurs compositeurs comme Webern
ont écrit des arrangements.
L'Offrande
musicale a été publiée en cinq fascicules. Dans quel ordre
doit-on enchaîner les morceaux ? Mystère. Comme ces confrères, il a été
confronté à établir un ordre harmonieux pour jouer les différentes pièces. Il
est d'usage de commencer par le ricercare à trois voix. Bach
était féru de numérologie et c'est dans cet esprit qu'il opte pour une
organisation en arche : la sonate étant encadrée par deux séries de canons. Par
ailleurs le gambiste et chef d'orchestre ajoute pour conclure des arrangements
alternatifs de trois pièces pour achever magnifiquement son disque par une
reprise du ricercare à 6 voix joué par toutes les cordes et le clavecin…
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Nous avions déjà écouté le catalan Jordi
Savall à propos de sa gravure remarquable de couleurs et de
gaité du Water Music de Haendel (Clic). On le retrouve ici à la
fois comme chef d'orchestre et évidement gambiste (joueur de viole de gambe
basse ou alto). Il est entouré de musiciens de son ensemble baroque le Concert des Nations, et non des moindre : Marc Hantaï à la flûte traversière, Pierre Hantaï au clavecin, Manfredo Keamer et Pablo
Valetti aux violons, Bruno Cocset
au violoncelle, Sefi Casademunt à la viole
de gambe ténor et Lorenz Duftschmid à l'alto.
L'Offrande
musicale ne se commente pas. On peut l'écouter comme un
divertissement ou en méditation. La spiritualité est discrète et intimement
présente dans cet ouvrage profane. Je propose juste un tableau récapitulant le
programme du disque conçu par Jordi Savall.
Les pièces originelles sont marquées en teinte dorée, les ajouts à l'initiative du chef
en police ordinaire.
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1.
Sujet Royal (flûte
traversière solo)
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11. Sonate 3-Andante
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2.
Ricercare à 3 voix
(Clavecin)
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12.
Sonate 4-Allegro
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[7:02]
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3.
Canon Perpetuus (violon, continuo)
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13.
Canon à 2 voix – version 1
(clavecin)
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[9:31]
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4.
Canon à 2 voix (clavecin)
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14.
Canon à 2 voix – version 2
(clavecin)
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[11:26]
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5.
Canon à 2 voix (violons, clavecin)
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15.
Canon à 2 voix et
modulation ascendante
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[13:00]
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6.
Canon à 2 voix (violon, flûte,
continuo) xxxx
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16.
Fugue canonique
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[15:07]
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7.
Canon par augmentation
(violon, viole)
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17.
Canon par augmentation
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[17:45]
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8.
Ricercare à 6 voix
(clavecin)
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18.
Canon Perpetuus
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[26:32]
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9.
Sonate pour flûte, violon et basse continue 1-Largo
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19.
Canon à 4 voix
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10.
Sonate 2-Allegro
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20.
Ricercare à 6 voix (cordes
et clavecin)
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Les interprétations de l'ouvrage sont nombreuses. J'ai
évoqué les arrangements réalisés par des compositeurs et des musicologues.
Celui qui me passionne le plus est de la main du musicien suisse Roger Vuataz (1898-1988) qui établit une transcription à la demande du chef iconoclaste et légendaire Hermann Scherchen. Il avait déjà œuvré sur
l'Art de la fugue. L'effectif est inattendu et très
moderne : 1 flûte, 1 hautbois, 1 cor anglais, 1 basson (des bois, notamment
pour le ricercare à 3 voix), 2 violons, 1 alto, 1 violoncelle et un clavecin.
Il existe un enregistrement monophonique (de belle
facture) datant des années 1950/51. L'approche est résolument mystique pour ne
pas dire en forme de voyage astral. Un disque très difficile à trouver, hélas.
On crie à la trahison ou on tombe dans un état hypnotique, c'est selon (Archipel – 6/6).
Parmi les très nombreuses interprétations sur instruments
anciens, celle sous la conduite de Gustav Leonhardt
de 1974 reste un passage obligé pour les amateurs de l'œuvre. On peut y
entendre trois membres de la famille Kuijjen
à la flûte, au violon et à la viole. Gustav Leonhardt
assure également la partie de clavecin (Sony
- 6/6). J'ai à titre personnel un faible pour les jolies couleurs du disque de Jordi Savall.
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