mercredi 3 avril 2019

BLACKWATER CONSPIRACY "Shootin' The Breeze" (juin 2017), by Bruno



     La musique en Irlande est plus qu'une tradition ancestrale, c'est dans le sang. Tant de musiciens et de groupes talentueux en sont originaires que c'est à croire que leurs gènes les y prédestinent. Malheureusement, ils n'ont pas toujours les moyens de franchir les frontières, de survivre à leur premier opus, ou de faire des tournées nécessitant de franchir les mers avec armes et bagages. Justement, la liste des artistes et groupes ayant dû revenir à l'anonymat - complet ou partiel -, malgré un, voire deux disques encensés est copieuse.

     Ce pourrait être le cas pour ce quintet originaire du comté de Tyrone, en Irlande du Nord.

Formés en 2015 et portés par leur maîtrise instrumentale autant que par leur aptitude à trousser de bien bonnes et solides chansons, ils ont enregistré assez rapidement un premier disque sorti en juin 2017. Cet album, "Shootin' The Breeze", est accueilli de façon unanime, comme il se doit par la presse britannique qui l'encense. Blackwater Conspiracy est une excellente formation ; on parle même d'album magistral, l'un des meilleurs de l'année.
   

 Assez étonnant pour le premier essai d'un nouveau venu. En fait pas tant que ça car le quintet s'est formé sur les cendres de deux groupes bien rodés. Deux combos Irlandais reconnus dans leur pays, et qui sont parvenu à gagner un peu de reconnaissance au-delà. Swanee River, un quatuor auteur de trois Ep et d'un seul disque généralement apprécié par les amateurs de Heavy-Southern-rock rugueux. Et Million Dollar Reload, apôtre de Sleaze, dans la mouvance de Velvet Revolver, du 1er Guns'n'Roses, poussé au cul par le Rock aussie des Angels, Kings of the Sun, Rose Tattoo et AC/DC. Du genre à ne pas trop faire dans la dentelle, mais qui pourtant, de temps à autre, laisse parler son petit coeur et pond quelques ballades. A moins que cela ne soit qu'un prétexte pour harponner les radios - et/ou les filles. Trois galettes à leur actif, trois galettes qui ont fait parler d'elles en accrochant les esgourdes - pourtant érodées - des amateurs.

Les deux groupes sont issus d'une région où louvoie la rivière Blackwater, d'où leur patronyme.

     Cependant, plutôt qu'une véritable fusion des deux formations sus-nommées, il s'agit plus d'une refonte de Million $ Reload, qui s'est contenté de récupérer le batteur de Swanee River, ainsi qu'un claviériste en la personne de Kevin Brennan (auteur de trois disques de Blues en solo). Phil Conalane, Brian Mallon et Kie McMurray ont gardé leur place. Soit respectivement, chant, pistolero à la six-cordes et bûcheron à la quatre. A savoir que Conalane en a eu assez de brailler seul, comme un forcené dans son micro. Dorénavant, il a sorti sa pétoire (modèle Telecaster) pour riffer à tout va. Il sait faire sonner une gratte, et cela a dû être bien frustrant de rester planté derrière le pied de micro - à essayer de meubler en esquissant une danse de saint-guy -pendant que les copains s'en donnaient à coeur joie. Et, ma foi, le gars s'y entend pour trousser des bonnes rythmiques en mid-tempo, aux parfums de Georgie, de Floride, d'Alabama et de Caroline. Oui, ça hume pas trop la verte Erin.

Déjà Million Dollar Reload sonnait comme un authentique rejeton de la scène Glam-sleaze californienne. Plus précisément de Los Angeles. Et rien ne laissait supposer que cette musique ait été conçue dans l'Irlande du Nord (ou de n'importe quel autre territoire Irlandais, ou limitrophes).

   Pour le coup, les tempi étant moins soutenus, et les grattes moins (h)ardentes, Conalane force bien moins sur ses cordes vocales (qui ont dû être bien mises à mal avec le registre soutenu de la précédente formation). Plus mesuré et moins belliqueux, il en ressort avec un timbre, toujours assez écorché mais plus chaleureux, et semble gagner en sincérité. Pour ainsi dire, il est méconnaissable. Il se révèle bien meilleur chanteur que son précédent groupe ne le laissait entrevoir.

     Le changement de patronyme implique celui du registre. On passe donc d'un Heavy-rock tendance Sleaze à un Southern-rock bien épicé. Pas spécialement gras mais trahissant tout de même les antécédents de ces messieurs. Néanmoins, point de références qui évoqueraient irrémédiablement Slash ou Axl. Non, s'il y auvait une bande d'outre-Atlantique qui émanerait de ses vibrations électriques, toutes proportions gardées, ce serait plutôt d'un groupe comme Cinderella. Évidemment, celui des albums "Long Cold Winter" et "Heartbreak Station" (clic-lien). C'est probablement plus marquant sur les ballades - relativement nombreuses - dont la teneur porte tous les attributs propres à évoquer la ruralité et le climat du Deep-south. Mais attention, pas de slow langoureux consensuel ici, encore moins de sensibilités "Country" (sauf si l'on considère qu'un groupe comme les Faces en joue). Lorsque l'on parle de "ballades", il s'agit de titres relativement lents mais tout de même assez appuyés, avec des guitares tissant quelques mélodies sentimentales mais aussi viriles. Soit dans la tradition du Southern-rock. Difficile d'inviter à danser avec ce genre de "slows" rêches, terreux et abrasifs. Même si l'on sent que le chanteur est ... dans la tourmente, l'introspection, trahissant une certaine vulnérabilité. Ce n'est jamais édulcoré ou lissé par quelques manipulations de laboratoire ou à l'aide d'instruments "synthétiques". Même le claviériste se garde bien d'avoir recours à un quelconque synthé. C'est soit du piano, soit de l'orgue (consonance Hammond - on n'a pas encore trouvé mieux -). Et c'est ça qui est bon. Pour ma part, on m'a tout de même gentiment demandé de baisser le volume ... M'enfin. 


"Penny for Your Dirty Mind", par exemple, alterne entre mouvements posés, laissant de l'espace au piano, et instants mordants. Un titre d'où émergent quelques sonorités à la Lynyrd Skynyrd, notamment au niveau de la lead. Le saisissant "Hangin' Tree", avec son arpège mélancolique et la complainte sortant du cœur sur les parties "rudes" (Tom Kiefer sort de ce corps !), suit un chemin identique avec un chant. Hélas, un petit bémol sur le chorus qui aurait dû répondre aux abonnés absents. 
Même sur "President Joe", dont le premier et long mouvement s'ouvre sur une perspective sombre, notamment par des phrases de piano trempant dans le spleen, ces Irlandais ne peuvent se retenir de hausser le ton. Comme si ses lads avaient toujours en eux une rage contenue, qui nécessite que l'on entre-ouvre les vannes pour libérer un trop plein, avant que la digue ne se brise.

     Sur les moments les plus foncièrement Rock, c'est quelques fois l'ombre du regretté Four Horsemen (clic-lien) qui jaillit. Le timbre du chanteur a d'ailleurs des similitudes avec celui de feu-Franck C.Starr. En fait, Conalane est au croisement de ce dernier et de Tom Kiefer.


     Dans cette affiliation au Southern-Rock, il ne faut pas y voir la tradition de longs et épiques soli échevelés. Encore moins des joutes guitaristiques. Ni confondre avec le Country-rock. C'est plutôt la résurgence d'un son, d'une tonalité, d'une atmosphère, voire de son essence. Bien que quelques pièces côtoient les six minutes, ça reste toujours concis en préférant un léger break plutôt que de laisser le champ libre à l'égocentrique de la six-cordes de service (les gratteux de ce côté-ci de l'Atlantique sont généralement moins crâneurs que leurs homologues Américains). En ce sens, on retrouve l'esprit des Georgia Satelittes. Tandis qu'un titre comme "Waitin' On Hollywood" - par ailleurs excellent - aurait pu être composé par Ken McMahan (clic-lien) avec cette aptitude d'écrire un titre résolument Rock, bien ferme, cru et roots, sans dénier la mélodie, le sens du rythme. Ainsi, le refrain de "Monday Club" sonnerait presque Pop.
Au sujet de la ponctuation, de l'intonation du chant, on se retourne parfois vers Blackberry Smoke (des 4 premiers disques) (1). (coïncidence, le chanteur ce nomme également Starr)

     Une fois n'est pas coutume, il n'y a absolument rien à jeter dans cet opus. Au point où, comme pour un mets goûteux mais un peu trop riche, on préfère se le réserver pour les moments où l'on est sûr d'être tranquille, de ne pas être dérangé. Car en dépit de ses bonnes 55 minutes bien tassées, c'est un skeud qui a tendance à s'écouter jusqu'au bout, d'une traite. Les morceaux s'enchaînant sans coup férir, dans une certaine logique même.


     Du Southern-rock Irlandais qui semble pourtant être un enfant légitime du Deep south. Du Southern-rock plus susceptible de séduire les amateurs de Heavy-rock bluesy que les fervents amateurs d'un Southern-rock baigné de Country et de Soul. Un Southern-Rock gentiment Heavy, qui rencontre les Faces, les Four Horsemen, les Georgia Satelittes, le pote Ken MacMahan


(1) Blackberry Smoke avait justement choisi Blackwater Conspiracy pour les accompagner sur leur tournée Irlandaise.


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