mercredi 20 mars 2019

RIVAL SONS "Feral Roots" (2019), by Bruno



     Voilà dix années que le quatuor Angelin est parti conquérir un public international avec son Heavy-rock que beaucoup considèrent comme revivaliste. Terme réducteur, car si effectivement Rival Sons puise essentiellement sa source dans les années 60 et 70 - avec quelques incartades plus récentes -, sa musique ne s'est jamais limitée à un quelconque revivalisme primaire. Elle va bien au-delà, ressuscitant sur des cendres encore fumantes un Heavy-rock - ou, désormais, Classic-rock - qui n'a d'attache avec le temps que pour les aveugles s'attachant aux modes et aux préceptes du marketing.
 

   Ce nouveau chapitre était attendu. Un premier extrait fort prometteur, "Do Your Worst"", libéré dès septembre 2018, laissait présager les meilleures choses. Histoire de faire monter la tension, afin qu'une foule conséquente se jette dessus dès sa publication et affole les distributeurs avec des pré-commandes importantes.

Cependant, l'attente fait souvent fantasmer, avec pour conséquence un sentiment de déception par rapport aux espérances.

     Pour certains, cela a été le cas avec "Feral Roots". Indéniablement bon, mais paraissant inégal. Comme s'il manquait quelque chose ; un ingrédient pour l'épicer, pour en relever la saveur.
Peut-être que simplement il pêche par l'absence d'un morceau percutant, immédiatement accrocheur. D'autant plus que la formation a habitué son public à quelques chansons définitives, imparables, dans chaque album. Dès sa genèse avec "Memphis Sun" et "Angel", mais surtout avec le second opus et son définitif "Pressure and Time" suivi de ses lieutenants "Young Love" et "Get Mine". La fournée suivante frappe encore plus fort avec le fantastique "King On Swingin" et les renversants "Wild Animal", "Until the Sun Comes", "All the Way" et "The Heist"; vinrent ensuite l'entêtant "Electric Man", "Good Luck","Open My Eyes" et "Good Things". Certes, "Hollow Bones", le précédent opus de 2016, était déjà dans l'ensemble  moins - et relativement - évident,  plus dispersé, un brin moins intense.
   Sans omettre leurs fabuleuses ballades, parmi les meilleures de la décennie. Comment résister aux "Fade of the Light", "Jordan", "True", "The Man Who Wasn't There", "Where I've Been", "All That I Want" et autres "Only One".

     D'une certaine façon, tout comme bien d'autres avant eux, Rival Sons est victime d'avoir précédemment composé des chansons de très haute tenue. De purs joyaux inaltérables. Ainsi, si sa qualité intrinsèque est indéniable, "Feral Roots" est un disque qui, après quelques écoutes, peut être délaissé, mis de côté. Car il n'empoigne pas nécessairement l'auditeur par ses deux oreilles, comme le faisait ses prédécesseurs (en particulier "Pressure and Time", "Hollow Bones" et "Great Western Valkyrie")

On dit que c'est un disque que l'on doit écouter, sérieusement, avec attention, sans aucune autre sorte d'activité annexe. Qu'il faut rentrer dedans. Le découvrir.

     De surcroît, plus que pour la moyenne des disques de Rock de la branche "Heavy", cette galette nécessite un bon support, du bon matériel. Un minimum pour lui rendre justice ; sa subtilité (certes, toute relative) n'est pas toujours évidente à discerner.
De la sorte, il est difficile, voire impossible, d'apprécier le travail - un peu desservi par le mixage - de Dave Beste sur des enceintes rikiki. La basse - qui rugit parfois tel un wendigo sortant de sa torpeur - épaissit considérablement le son, sans pour autant se caler sur les guitares. Sans elle, ou du moins lorsqu'elle n'est pas suffisamment retransmise, le mixage peut paraître touffu.

   C'est également dans de bonnes conditions que le chant lumineux, absolument habité, de Jay Buchanan prend toute sa dimension, l'édifiant alors au rang de prêcheur éclairé, d'initié aux mystères du monde, de passeur menant à la lumière.



   Et puis, il y a tout l'attirail de Fuzz de Scott Holiday. Un docteur ès-"Fuzz". Un véritable acquéreur compulsif de petites boîtes génératrices de saturation en tout genre. Sa large palette de Fuzz déploie un éventail de colorations allant des sixties aux plus récentes et toxiques. De la Tone Bender aux Probe (Zvex) et King of Tone (Analog Man), en passant par la classique Big Muff. On retrouve même le registre défaillant de l'Expandora qui avait servit de "muse" à Billy Gibbons pour "Rhythmeen". Cette prolifération de fuzz, en particulier les plus hérissées et crépitantes, donne du fil à retordre aux enceintes chétives. C'est le cas sur "Sugar on the Bone" où elle crache tel un vieil ampli prêt à rendre l'âme. Et l'autre bourrin, Michael Miley, qui tape comme un sourd sur ses toms basses, poussé par la basse, n'arrange pas les choses. 😄

Ou encore "Back in the Woods" (qui n'a absolument rien de boisé) qui a de quoi faire sauter les fusibles avec son intro et ses refrains au bord de l'apoplexie, flirtant avec le Desert Rock.
Depuis quelques temps, on voit dans le public des pancartes brandies avec l'inscription "Mr FUZZLORD". Une forme de consécration. Attribut repris par un fan club.
Sans oublier qu'il est aussi friand d'Octaver, d'Univibe et de Phaser, toujours en quête de nouveaux outils l'aidant à lui ouvrir d'autres horizons. Il utilise jusqu'à trois pedal-boards sur scène. Toutefois, il arrive qu'Holiday ait la main trop lourde et pousse le bouchon un peu loin. Comme par exemple sur "Too Bad", saturé par un excessif mélange de Fuzz stéroïdées, de Phaser fou et de Delay caverneux.

     Ce qui peut desservir cet album, c'est l'ordre de présentation des morceaux. Si ça débute logiquement sur le hit single "Do Your Worst", dans la tradition des titres accrocheurs du groupe,  avec refrain fédérateur (d'inspiration Gospel), sans surprise, mais efficace, les deux morceaux suivants, "Sugar on the Bone" et "Back in the Woods", rageurs et un brin tapageurs ne reflètent pas toute la maestria propre à la formation, dans ses moments d'inspiration.
Ça commence à (re)décoller avec "Look Away" qui, après un hors-d'oeuvre acoustique d'inspiration Bert Jansch, réveille le fantôme de The Cult avec une ambiance relativement dramatique dûe à la performance de Buchanan (qui a d'ailleurs quelques ressemblances physiques avec Astbury). C'est le titre qui ouvre la voie à une série de magnifiques pièces.

 ☞
"Feral Roots" est un exemple de retenue, de classe, de pureté, d'émotions contenues. Un substrat de musique Rock émotionelle et spirituelle, irradiant d'une certaine beauté. La guitare a assimilé les leçons de Sir James Patrick Page, et les développe avec subtilité, sans les réciter. 

Avec "Stood By Me", Rival Sons emprunte une nouvelle porte : celle du Funk-rock. Plutôt d'obédience Stonienne, fort en gueule, imprégné de Blues moite, avec un chant bravache, trahissant quelques intonations à la Jagger.
"All Directions" est un morceau d'anthologie. Ni plus, ni moins. Un titre fabuleux qui vous hérisse le poil, vous scotche au plafond, fait croire en la divinité aux plus athées. Ça débute sur une première partie à l'atmosphère reposée, mi-bucolique et matinale, mi-féérique (avec effet de flûte au Melletron, ou du Mel9 d'Electro Harmonix), avec choeurs doucereux de chérubins. La seconde arrive comme un souffle chaud et orageux, balayant tout sur son passage. C'est la colère vengeresse des éléments, où Led Zeppelin rencontre Pink-Floyd dans un décorum cosmique invraisemblable sorti de l'imaginaire de Jack Kirby ; à la fois puissant, coloré, accentué et irradiant d'énergie. Magique ! Grand !
"Shooting Stars" clôt le chapitre sur des notes optimistes. Ballade - très - appuyée portée par une chorale robuste (un poil trop) de Gospel. Et, il faut bien le concéder, un peu terni par les 2 ou 3 "Oooh hooo hoo" qui font figure de chants de feu de camp. Heureusement, ce ne sont que de brefs passages.
"The End of Forever" qui taquine le Heavy-Metal, avec en toile de fond une couleur post-apocalyptique (entre Warrior et Savatage, voire Paradise Lost), diversifiant la palette du groupe. C'est sombre et oppressant. La basse couplée à la batterie résonnent comme les vibrations causées par les blindés d'une troupe damnée de "donneurs de mort".

     Un album d'apparence plus Rock que purement Heavy. Certainement le moins urbain du groupe. Probablement l'influence du lieu de composition choisi par le duo Holiday-Buchanan : un chalet au bord d'un lac. Ainsi que celui des studios enregistrement : le célèbre et quasi mythique Muscle Shoals (Alabama) et le non moins célèbre studio RCA de Nashville. Deux lieux sanctuarisés d'où sont sortis certains des plus grands disques de Soul, de Blues, de Southern-rock et de Rock tout court.

      Alors que la précédente réalisation laissait présager des claviers qui se hisseraient à un rôle plus déterminant - impression confirmée par la tournée qui avait fièrement exposé Todd Ögren, claviériste attitré depuis 2014 mais qui restait alors dans l'ombre -, "Feral Roots" fait machine arrière en ne les invitant qu'occasionnellement, et en les restreignant à un rôle bien discret.

      On retrouve un Jay Buchanan en quête de vérité à travers un mysticisme d'apparence vulgarisé. Ce que dévoile parfois ses écrits naïfs (une réminiscence d'un héritage hippie californien ?).
[Il y a des mots que je ne comprends ... qui n'ont pas été écrits par des mains humaines ... ces mots vous commandent ; bien que votre corps puisse vieillir, dans votre esprit vous devez rester un enfant]
[ .... Le Cosmos voit-il ce que je retiens à l'intérieur ? ... Projeter l'Amour dans toutes les directions. Constamment je cherche la vérité ... et je laisse tomber ce à quoi je m'accroche]
Par contre, "Sugar on the Bone " semble n'être rien d'autre que du double-sens salace, pas finaud pour un sou, cher au Cock-rock (un "poème" en deux versets entre Rolling Stones et Whitesnake).


     Pour revenir à 
Scott Holiday et la plausible influence de Jimmy Page (c'est également un fan d'AC/DC et d'Humble Pie, "Rock On" étant un de ses disques de chevet), il est aujourd'hui un des guitaristes les plus captivants. S'il est loin d'être un virtuose en solo - ça ne l'intéresse d'ailleurs pas outre mesure -, il compose des rythmiques et divers plans particulièrement expressifs. Plutôt que de se focaliser sur des envolées techniques et solitaires, il préfère s'atteler à construire une robuste charpente constituée de grooves, de tonalités et de colorations diverses, et, autant que possible, relativement originaux. De ce fait, il est parvenu à se constituer une identité. Ce qui est plutôt rare aujourd'hui.

     Si "Feral Roots" n'est pas vierge de quelques menus défauts, il n'en demeure pas moins un disque qui confirme que Rival Sons demeure une des meilleures formations de Heavy-rock/Classic-Rock de la décennie. Une formation qui est parvenu à forger un son et une personnalité, tout en gardant cette saveur particulière issue des années 70. Ses concerts, transcendants et sans failles, confortent leur position.

1."Do Your Worst"                 Buchanan, Holiday, Cobb                                     3:30
2."Sugar on the Bone"                 Buchanan, Holiday3:02
3."Back in the Woods"                 Buchanan, Holiday3:32
4."Look Away"                 Buchanan, Holiday5:19
5."Feral Roots"                 Buchanan, Holiday5:55
6."Too Bad"                 Buchanan, Holiday4:44
7."Stood by Me"                 Buchanan, Holiday4:05
8."Imperial Joy"                 Buchanan, Holiday4:09
9."All Directions"                Buchanan, Holiday, Cobb4:29
10."End of Forever"                 Buchanan, Holiday, Beste3:52
11."Shooting Stars"                 Buchanan, Holiday4:20
Total :46:57





🎶⚘☙✨ 
Autres articles (liens) / RIVAL SONS : "Pressure and Time" (2011) ; "Head Down" (2012) ; "Great Western Valkyries" (2014) ; "Hollow Bones" (2016)

10 commentaires:

  1. Tu m'étonnes que Scott Holiday soit très présent en rythmique... Si on regarde attentivement la photo de l'article (la 2è en partant du haut) on voit nettement que ce type a trois bras !

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    1. Incroyable, n'est-ce pas ? C'est son secret. Et en plus, il tient un micro. Certainement un effet complémentaire pour sa guitare.

      Un peu comme un gars, né il y a environ 2019 ans, une période de sa vie reste mystérieuse. On raconte qu'il aurait fait un périple qui l'aurait amené, non pas en Perse et en Inde, mais dans le Nevada. Il y aurait fait quelques stages, dans une zone militairement gardée. D'après des journalistes d'investigation, il se serait perdu dans la "NTS", où il aurait séjournée plusieurs jours (ses moustaches en forme de guidon sont une de ses séquelles apparentes). Puis de gentils militaires l'auraient embarqué dans un centre de vacances pour lui fournir quelques soins. Dans la "Zone 51", ou un truc comme ça. Un truc VIP où on ne laisse pas rentrer n'importe qui.

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    2. Un peu aussi comme le texto de mon collègue de travail qui me demandait de ne pas oublier de ramener les deux disques usés du chantier...Après enquête, c'étaient les deux disqueuses...Putain d'écriture intuitive!
      Ouaip, décevant de prime abord ce Feral Roots, pas de titre accrocheur, mais je devine un son monstrueux derrière ce bazar, et je vais me faire un plaisir d'acheter le vinyle pour m'écouter ça sur la fabuleuse platine dont j'ai hérité de mon frangin qui vient de clamser (ouais j'l'ai dit j'ai les boules mais c'est comme ça putain de cancer et pis depuis le temps vous êtes un peu beaucoup des potes virtuels camarades...). Show must go on!

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  2. Show must go on, Juan, grosse pensée pour toi.

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  3. Merci Lucio! 'tain, je me rends compte que ça fait bien 10 ans qu'on échange nos délires sur nos passions les uns les autres! Y'a pas à tortiller si ça dure ça crée des liens (et réciproquement). Je trouve ça débile mais aussi génial. Le principal, c'est qu'on avance...pour remplir, faut d’abord vider...Ta gueule Juan

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    1. Juan je te transmets également mes pensées sincères, même si on ne s'est jamais vu dans la vraie vie, mais comme tu le dis 10 ans d'échanges amazoniens puis ici, ça crée des liens

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    2. Merci Rockin! Tiens j'ai pensé à toi en regardant la bande annonce du prochain Tarantino: T'as Brad Pitt et Di Caprio qui jouent du colt à 6 coups et les mecs en face ils dégringolent par grappe...On va se marrer!

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    3. J'ai hâte de le voir (comme tous les autres) mais là l'affiche est somptueuse, et les premières images alléchantes.

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    4. Euh ... Juan ... J'viens de lire ton commentaire ... ça fout un coup. Putain de cancer ! Je n'entends plus que ça depuis quelques années. Des proches sont partis ... d'autres sont en soins ... A croire que le quart - ou plus - de la population y passe.
      Sincères condoléances, Juan.

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    5. Merci Bruno!

      Une histoire de deuil: pendant les répétitions, le chanteur bon Scott avait trop forcé sur l'alcool-on l'a retrouvé sur le siège arrière d'une voiture, étouffé dans son vomi.
      Après deux jours de déprime, le guitariste Malcolm Young s'est exclamé:
      "Putain, je vais pas rester assis à pleurnicher toute l'année, bordel!"
      Il appela Angus, et ils se remirent au travail...
      Extrait de Rolling Stones, les 500 meilleurs albums de tous les temps, pour Back In Black

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