- Cool, de la musique baroque M'sieur Claude, toujours appréciée de
nombre de nos lecteurs… Il paraît que c'est de la musique au rabais pour
soirée princière ?
- Je vais essayer de tordre le cou à cette idée qui, en effet Sonia, fait
encore les choux gras de certains Bachophiles intégristes…
- Ah ! Ce n'est pas dans cette suite qu'il y a une pièce très connue pour
la flûte nécessitant une virtuosité vertigineuse ?
- Oui Sonia, le petit péché des flûtistes, à la fin, une conclusion qui
porte le bien joli nom de badinerie tout à fait approprié.
- Retour de Nikolaus Harnoncourt, entre les interprétations anciennes
pour grand orchestre et les baroqueux, vous avez retenu une fois de plus
ce grand musicien…
- Oui Sonia, car justement – je vais m'en expliquer – Harnoncourt est
l'un des rares chefs qui a su concilier timbres originels et émoi en
opposition à divertissement basique…
Bach et Nikolaus Harnoncourt (en 1984 pour ce dernier) |
Admettons ! Mais alors pourquoi l'écoute de l'ouverture de cette suite N°2
(et pas uniquement celle-ci) avec son chant de la flûte issue des sphères
célestes provoque des frissons dans l'échine de nombreux mélomanes ?
Serait-ce le cas si on ne voyait dans ces quatre suites que de simples
divertissements écrits à la va-vite pour égayer les soirées mondaines des
cours allemandes de la fin de l'âge baroque. Deux remarques pour préciser ma
pensée.
Toutes les interprétations n'ont pas cet effet, l'émotion intense semble
liée à l'interprétation (donc la capacité de l'interprète à pénétrer l'âme
de
Bach) quelques soient l'ensemble, baroque ou moderne et le chef, et de citer en
premier les grands anciens :
Fritz Reiner,
Karl Richter
ou encore une surprise lors de mes recherches pour écrire ce billet, le très
rigoureux et austère
Evgeny Mravinsky, et pour les baroqueux, au moins le pionnier du genre que nous écoutons ce
jour :
Nikolaus Harnoncourt.
Par ailleurs, la forme est pour le moins originale chez un compositeur qui
dans ses concertos pour violon ou clavier ne recourait pour l'accompagnement
qu'aux uniques cordes, alors que nous allons entendre, comme pour les
célèbres concertos brandebourgeois : des hautbois, des bassons, des flûtes,
et même des trompettes et des timbales dans les suites 3 et 4… En résumé,
Bach invente avant l'heure dans cette suite avec flûte obligée la symphonie
concertante tout en conservant le style du concerto grosso, mais très
amélioré par la présence d'une harmonie de bois et une autre de cuivres.
Innovation qui n'est pas rien. À l'époque, seul
Vivaldi et ses innombrables concertos pour les groupes instrumentaux les plus
divers peut faire concurrence en termes de variété mélodique et de couleur
orchestrale à ces suites. Là !
Flûtes traversières baroque |
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Les suites suivent toutes le même programme : une ouverture d'une dizaine
de minutes "à la française" suivie d'une série de pièces brèves inspirées
pour la plupart des rythmes et pas de danses en vogue dans les cours
européennes, notamment à la cour du
Roi Soleil
et pendant la
Régence. L'ouverture "à la française" présente une forme symétrique ABA avec une
thématique A solennelle, un second groupe thématique B plus ardent et une
reprise du thème initial. C'est
Lully
qui inventa ce procédé, mais si le compositeur fayot de
Louis XIV
et ses imitateurs donnent à cette ouverture un style pompeux,
Bach
dépassera cette limite un peu roborative en cherchant une inspiration plus
mystique, une spiritualité qui n'est hélas pas l'apanage de certaines
interprétations mal pensées. Ce qui explique le possible désamour pour ces
suites comme étant en deçà de ce que l'on attend du génie expressif du
Cantor.
La liste des danses utilisées dans la seconde partie des suites est
incroyable de diversité :
courante,
gavotte,
forlane,
menuet,
bourrée,
passe-pied,
sarabande,
polonaise,
gigue
! Et comme si
Bach
voulait dépasser une liste insuffisamment exhaustive à son goût, on trouve
des pièces de musique pure :
rondeau,
réjouissance, un
aria
très célèbre par sa sérénité céleste et présent dans la
3ème suite, et bien entendu la non moins célèbre
badinerie
concluant la
2ème suite
avec son solo vertigineux de flûte. Morceau bref mais universellement connu,
qui doit être joué ni trop vite, car perdant alors sa saveur enjouée, ni
trop lentement, au risque de nous plonger dans l'académisme d'un concours
régional pour flûtiste débutant…
Page 1 de la partition autographe de la flûte |
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Quelle galère pour le choix de l'illustration sonore de ce papier ! J'ai
réécouté nombre de disques gravés depuis
1953 à nos jours…
1953,
Fritz Reiner
et l'orchestre de la RCA nous entraine chez
Bruckner. (En bien.) La force spirituelle de l'ouverture est cosmique, mais ce
traitement profite moins aux danses trop empesées. Rééditées en LP vers
1982 et en CD chez
Naxos (épuisés). Une curiosité pour imaginer Bach
joué à la mode du romantisme germanique. On va trouver plus inspiré à
l'époque. La réécoute des captations réalisées par
Hermann Scherchen
à
Vienne
pour Westminster m'ont déçu… Ce chef qui fit tant pour retrouver
l'esprit originel des œuvres de
Bach
dans la
passion selon Saint Matthieu
(Malgré les 4 heures) et son travail d'orchestration génial dans l'art de la fugue
et l'offrande musicale
se perd dans des tempi étirés voire ennuyeux. Voilà que je renie ce j'ai
encensé à une époque… Diverses interprétations sur instruments d'époque
m'ont agacé par cette propension à jouer de nos jours
Bach
le plus vite possible et de manière mécanique et saccadée.
J'ai donc retenu une élégante synthèse entre l'esprit mystique sous-jacent
et aussi festif rencontré dans la seconde mouture de
Nikolaus Harnoncourt
avec le
Concentus de Vienne. Je le suppose à partir de la durée des mouvements, YouTube n'ayant rien
précisé et les deux versions (la première dans les années 60) étant
stylistiquement très proches.
Bien entendu, je n'aurais en aucun cas zappé sur une discographie
alternative dans un catalogue très vaste et, hasard de mes recherches, les
interprétations retenues sont toutes disponibles en vidéo. Donc les plus
courageux pourront s'amuser à écouter toutes les approches proposées…(Une
première 😊.)
Je ne présente plus
Nikolaus Harnoncourt, l'un des pères fondateurs du retour aux sources de l'interprétation à
l'ancienne, déjà présent dans le blog (Bach,
Mozart
et
RIP
– voir l'Index).
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
L'orchestration de la
2ème suite
est un paradoxe par rapport à celles des autres suites. La flûte est le seul
instrument à vent requis. Ni hautbois, ni basson… Un alto et 2 violons
complètent le groupe soliste. N'oublions pas le groupe des cordes (violons 1
et 2, alto dans un effectif variable suivant la taille de la salle) et le
continuo composé d'une viole ou d'un violoncelle, d'un clavecin et d'une
contrebasse. Certaines interprétations baroques ne font pas appel à des
cordes d'accompagnement qui jouent à l'unisson des solistes certains
passages, l'interprétation se limitant alors à un groupe de sept musiciens (un retour aux origines). Une
partition
très ouverte donc… La suite comporte une ouverture et six pièces.
Formation à 7. Ton Koopman et six complices |
1- Ouverture
: [V1] Le premier motif assez complexe est exposé deux fois par la flûte
associée au violon, deux expositions légèrement divergentes. Quelques
différences de notations et le saut à la tierce se conjuguent pour révéler
une impression d'ascension.
Bach
souhaite-t-il déjà nous confier ce désir d'élévation spirituelle du récit
musical dans ce qui ne devrait être qu'un simple moment de divertissement.
La sonorité aérienne de la flûte participe grandement à ce climat de
quiétude.
Harnoncourt
et les ingénieurs du son privilégient la flûte que l'on entendait mal à
l'époque des interprétations par des orchestres modernes souvent envahis par
les cordes. On notera aussi la nature processionnaire du propos musicale,
une reptation encore en faveur d'un souci du maître de manifester de la
religiosité. [0:42] Flûte et violons s'offrent un solo plus méditatif.
[2:02] Cette "prière" est reprise brièvement. [2:38] La partie plus animée
de l'ouverture donne libre court à une "plaisanterie musicale" pour
reprendre ce titre d'une œuvre de
Mozart si bien nommée. Un dialogue feu follet entre la flûte, les autres solistes
ou le continuo. Réjouissant et très imaginatif. [6:10] Apparaît un étonnant
développement à partir de la thématique introductive. Encore une preuve
d'imagination : une mélopée plaintive, une lamentation. [7:04]
L'allégresse fait son retour après cet intermède, vivacité magnifiée par son
solo de flûte guilleret [7:45]. Tout ce passage démontre le talent du
contrepoint de
Bach. Voilà comment transformer
en féérie
un morceau de musique pour entracte tel que l'avait imaginé
Lully… [10:37] Flûte et violon nous conduisent à la conclusion par une tendre et
priante péroraison sur le thème introductif.
2 – Rondeau :
[V2] Les pièces pour danses appellent moins de commentaires. Elles alternent
des motifs élégants et des tempos les plus variés.
3 – Sarabande
: [V2-1:35] La sarabande, une danse lente qui établit un lien avec
l'ouverture. Peu scandée, on pourra au choix opter pour spiritualité ou
sensualité, sans doute les deux par l'infinie tendresse qui s'en dégage.
4 - Bourrée I & II
: [V2-4:40] Bourrées endiablée et totalement profanes. La seconde étant
moins frénétique.
5 - Polonaise et Double (avec flûte solo)
: [V2-6:30] Une polonaise martiale. Le contraste est de mise dans les suites
de
Bach. C'est peut-être la source de certaine critique. [V2-7:37] Cette danse
propose un solo de flûte seule simplement soutenu par le clavecin. Un
mouvement de sonate qui exige une grande habileté du flûtiste.
6 – Menuet
: [V2-9:31] Un élégant menuet pour galants sous les ors des palais.
7 - Badinerie (avec flûte solo)
: [V2-11:00] Une folie que l'on ne présente pas. Un perpetuum mobile très
amusant, une bacchanale de doubles croches. Tout le monde connaît ce joyeux
final à la bonhomie si opposée à la gravité existentielle de l'ouverture. Le
flûtiste ne croît pas nécessaire d'ajouter à sa guise des appogiatures pour
briller de manière hédoniste. Dans l'interprétation très esthétique de
Karajan
des années 60 (forcément avec les instrumentistes virtuoses de la
Philharmonie de Berlin), le soliste ajoute des ornementions et des glissandi en trilles très
spectaculaires certes, mais totalement hors sujet et absents de la
partition. La richesse de la musique de
Bach
repose précisément dans l'épure et cela,
Nikolaus Harnoncourt
le comprend parfaitement…
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
J'avoue avoir après cette écoute être moins passionné par les
interprétations sur orchestres modernes avec lesquelles j'ai découvert les
suites.
Karajan
et
Scherchen, bof… Les interprétations des spécialistes de
Bach
de l'après-guerre comme
Karl Richter
ou
Karl Münchinger
souffrent de l'envahissement des cordes, malgré des qualités indéniables de
phrasé. Une option possible cependant pour les allergiques aux sonorités
baroques. Une réédition des gravures monophoniques de
Fritz Reiner s'impose.
Une surprise que je partage avec vous. Un soir de 1961, le taciturne et
expert de
Chostakovitch,
Tchaïkovski,
Bartók,
R. Strauss, etc., vous avez reconnu le dictatorial
Evgeny Mravinsky, interprète de manière intériorisée cette suite. Ce chef russe ayant
horreur du legato sirupeux et exigeant une précision absolue de la
philharmonie
de
Leningrad
trouve le ton juste dans l'esprit. Par contre la prise de son et la masse
des cordes dans la grande salle de Saint-Pétersbourg enferme beaucoup trop
la flûte. La badinerie est très drôle. Pas surprenant, ceux qui supportait
l'humeur exécrable du maestro disaient, "mais si, il a un cœur mais il ne veut pas que ça se sache". (Russian Disc – 4/6) Une
curiosité qui montre comment on jouait cette musique depuis l'époque
romantique.
Autre valeur sûre qui divise : l'enregistrement virevoltant de
Reinhard Goebel
et son
Musica antiqua Köln. Incroyablement articulé et coloré, je ne m'en suis jamais lassé. Et
contrairement à ce que je lis ce n'est pas du tout une interprétation
précipitée et frénétique. La montre le prouve, c'est plutôt retenu (Arkiv
– 5/6)
Dans le style baroqueux, ma préférence (subjective) va à la vision féérique
de l'Academy für Alte Musik de Berlin. Volcanique et inspiré (Harmonia Mundi
– 5,5/6)
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
Les quatre interprétations avec des reports You tube bien entendu de
qualités inégales :
Harnoncourt,
Mravinsky,
Goebel
et pour finir : l'Academy für Alte Musik de Berlin.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire