vendredi 11 janvier 2019

UNE AFFAIRE DE FAMILLE de Kore-Eda Hirokaru (2018) par Luc B.


UNE AFFAIRE DE FAMILLE a obtenu la Palme d’Or au dernier festival de Cannes, et c’est un sacré joli film. On démarre sur une scène drôle, espiègle et délicieusement amorale ! Osamu Shibata et son fils Shota entrent dans un supermarché et rivalisent de trouvailles pour voler dans les rayons. C’est qu’on ne roule pas sur l’or, dans cette famille. On s’entasse dans un 20 mètres carré, avec la grand-mère, les parents, le fiston de 11 ou 12 ans, la grande sœur Aki, et une petite gamine toute mignonne : Juri. La petite dernière ? Non. On va rapidement apprendre que c’est une pièce rapportée. D’où vient-elle et pourquoi vit-elle ici ? Sans doute abandonnée, oubliée, ses bras révèlent des traces de violence. Faut-il la ramener chez elle ? Aki s’interroge : « Est-on coupable de kidnapping si on ne la rend pas ? ». « Non, répond la mère, on ne la séquestre pas, et on ne demande pas de rançon ! »
L’histoire commence au début de l’hiver, le froid et la neige vont bientôt arriver, puis le printemps, l’été… On va vivre avec les Shibata le quotidien difficile. Le quartier est pauvre, limite bidonville, Aki exhibe ses miches dans un peep-show pour arrondir les fins de mois, la mère, Nobuyo, doit réduire ses horaires de travail pour moins coûter à son employé. Le père travaille sur un chantier, mais se casse le pied, et il ne faut pas trop compter sur de quelconques indemnités. La critique sociale est bien là, par petites touches, mais on ne se plaint pas, et chacun est solidaire. On continuer de voler dans les magasins, Shota s’y colle, faisant de Juri sa nouvelle complice. Avant de piquer un truc, il exécute comme une martingale, des moulinets avec ses doigts, geste que la petite reprendra à son compte. Le Japon que filme Hirokaru Kore-Eda est celui des petites gens, des ouvriers, taudis visités par les employés municipaux afin d’y recenser le nombre d’habitants par foyer.  Au moindre coup de sonnette, tout le monde se planque !
Impossible de ne pas penser à un film comme THE KID de Chaplin, on se débrouille, on survit, mais  on sourit. Il y a beaucoup de vie, dans ce film, qui déploie une large gamme de sentiments. Il y a des scènes merveilleuses, comme la virée à la plage, une plage de sable gris, sous un ciel plombé, mais qu’importe, on se baigne, on s’amuse, on s’offre des glaces. Il y a une très belle scène d’amour, ou plutôt d’après amour. Nobuyo et Osamu sont seuls, c’est l’été, ils sont nus, et profitent de ce moment d’intimité, moment suspendu, sensuel, brisé par l’arrivée inopportune des gamins. La nuit du feu d’artifice est merveilleuse aussi, superbe plan en plongée, ou les têtes sortent une à une, regards émerveillés et levés vers le ciel.
Hirokaru Kore-Eda filme cette complicité et l’amour qui unit les membres de la famille, ces trois générations entassées sous le même toit. Mais... Un truc cloche. C’est bizarre, on ne pige pas réellement les liens entre les personnages. Osamu est le papa ou le tonton ? Seule Aki appelle la grand-mère « Mamie », pas les autres, et on n'entend jamais le mot « maman »… Une impression étrange, diffuse, on met ça sur le compte de la culture locale… Quoique, dans quelle culture un gamin n’appelle pas sa mère « maman » ? En fait, qui sont ces gens ?!
Le film va basculer d’un coup, à l’occasion d’un accident. Shota le chapardeur se fait courser par des vendeurs, et n’a d’autre choix que de sauter d’une passerelle pour leur échapper. Plan magnifique, où l’on ne comprend l’action que parce que les oranges dont il avait volé un filet, se déversent et roulent sur la route.
Le voile tombe, épilogue surprenant, et curieusement, qui n’entache en rien les sentiments que l’on portait à cette famille. Le réalisateur a mis tant de foi, de tendresse et d’humanité dans ces portraits, dans ces petits-riens, ces repas partagés, les couchers, les toilettes, les ballades, les jeux comme les larcins, qu’au final on se fout presque de la vérité, si cruelle soit elle.
L’étroitesse des lieux, en intérieur, contraint souvent le réalisateur à utiliser des focales longues, ce que je n’apprécie habituellement que modérément, mais cela permet d’être au plus proche des personnages, et de faire contraste avec les rares moments en plein air, où le cadre s’élargit, laissant entrer enfin un peu d’oxygène. Atmosphère, atmosphère ?!!
Je pense qu'après la révélation, le film pouvait se conclure plus vite. L’impact en aurait même été plus fort. UNE AFFAIRE DE FAMILLE est un film simple, sensible, souvent drôle, cocasse, jamais plombant ou larmoyant, les acteurs y sont vraiment tous formidables de naturel. Le film semble bénéficier d’un bon bouches à oreilles. Je joins ma voix au concert. Maxime Le Forestier chantait "on n'choisit pas ses parents, on n'choisit pas sa famille"... Parfois, si !

PS : j'ai lu des critiques de la mouvance ultra-droitière et catho "La Manif pour Tous", choquée par ce film qui détruit l'image idyllique de la famille traditionnelle !...

 couleur - 2h00 - format 1:1.85    

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