- Heu, je
regarde l'index M'sieur Claude, avec cette chronique vous terminez le cycle
consacré aux 9 symphonies de Beethoven, comme vous l'avez fait pour Brahms…
- Eh oui
Sonia, la fin d'un parcours commencé par la 5ème en avril 2012. On
termine par l'une des symphonies les moins aimées de Beethoven, comme la 8ème
il y a quelques mois…
- Ah bon et
pourquoi cela, j'écoute tout en discutant, j'adore, toujours cette facilité
déconcertante qu'a le père Ludwig
van de nous faire entrer facilement dans sa musique…
- La 2ème
symphonie comme la 1ère appartient encore au monde classique
de Mozart et de Haydn. Elle souffre aussi du choc que produira la très romantique
"héroïque", la 3ème…
- Mouais,
bizarre ! Roger Norrington, encore un chef différent comme toujours… On n'a pas
encore parlé de ce monsieur, un anglais ?
- Oui et
l'interprète d'une intégrale Beethoven qui fit date dans les années 80, jouée
sur instruments d'époque et en respectant à la lettre les tempi de Beethoven. Vivifiant
!
Beethoven en 1801 |
Question dates, je résume : fin de la composition de la
2ème
symphonie en 1802 pour une création le 5 avril 1803, en même temps que le très mature 3ème
concerto pour piano et son oratorio Le Christ au mont des oliviers. La 3ème symphonie est mise en chantier
pour une création en 1805 ! 1802, Beethoven
a 32 ans, on ne parle plus d'œuvre de jeunesse. Et si l'Eroïca marquera
l'introduction du dramatisme en musique, la 2ème est un ouvrage
joyeux en ré majeur, plein de fougue et de vitalité. Tout l'inverse de la
terrifiante et pathétique 10ème symphonie de Chostakovitch sujet de la chronique la
semaine passée.
Mais 1802
est aussi le début de la surdité du compositeur, une période
dépressive. La symphonie ne renvoie aucun écho de cette angoisse face à la pire infirmité qui menace inexorablement un musicien.
Je ne radote pas à propos du moindre intérêt des chefs
et du public pour les symphonies de numéro pair. J'en avais déjà parlé à propos
de la pimpante et très moderniste 8ème symphonie
(Clic). La 6ème "pastorale"
faisant exception. Comme ses camarades, les n° 4 et 8, la 2 est une mal aimée. C'est
incompréhensible, surtout après l'écoute du visionnaire adagio-allegro
introductif et de la richesse de l'orchestration ; jouons aux avocats…
La symphonie est dédié à Carl Alois de Lichnowsky, le protecteur de Beethoven
en ses années-là, avant que la notoriété lui permette de faire cavalier seul,
fauché mais libre. (Disons mécène, protecteur me fait toujours penser à
proxénète… Sonia ne riez pas !) L'orchestration est rigoureusement celle des
symphonies ultimes de Haydn
et même de la 3ème symphonie à venir :
2/2/2/2, 2 cors, 2 trompettes, timbales et cordes.
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Roger Norrington |
Le maestro anglais Roger
Norrington naît à Oxford en 1934.
Son premier maître sera le légendaire Sir Adrian Boult,
l'archétype du chef anglais rigoureux et expert de la musique de son pays. Dans
un premier temps, le jeune Roger
va se diriger vers le chant comme ténor. De 1969 à 1984, il dirige
l'opéra du Kent soit pendant 15 ans.
Parallèlement, il fonde The
London Classic Players en 1978
et assurera sa direction jusqu'en 1997.
C'est de cette époque que date un enregistrement des symphonies de Beethoven qui fit sensation. Instruments
d'époque, absence de vibrato pour redonner des couleurs dégraissées du pathos
germanique à cette musique qui bien que d'essence romantique dans l'esprit se
réfère aux sonorités classiques dans le style. Nikolaus
Harnoncourt et ses condisciples ont révolutionné l'interprétation
de la musique baroque de Monteverdi
à Bach. Roger Norrington
entreprend la même démarche pour les musiques de l'âge classique de la fin du
XVIIIème siècle au début du XIXème.
Roger Norrington a bien entendu
conduit les plus grands orchestres de la planète comme chef invité. Sa
discographie est large, s'étend de Bach
à Mahler… En dehors de l'ensemble londonien qu'il
a créé, Roger Norrington a souvent
enregistré avec l'Orchestre symphonique de la radio de Stuttgart dont il est le chef principal depuis 1998.
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1 - Adagio
molto - Allegro con brio (3/4 - 4/4 - ré majeur) : Comme
souvent, Beethoven attaque en force,
nous surprend, nous prend à la gorge (sans agressivité😊) ! Un motif percutant ff formé d'une triple croche et d'une noire pointée staccato à
l'unisson sur tous les pupitres. Un petit prototype du motif immortel
rugissant au début de la 5ème
symphonie. Suit sur quatre mesures un joli thème galant aux
flûtes et aux bois, thème se terminant par un arpège descendant martial et
émoustillant joué p. [0:20] Reprise
du motif et d'une variation sur le premier thème, tendrement, aux cordes avec
des trilles et quelques notes des cors et des bois. [0:50] Esprit frondeur, Beethoven nous trompe avec un faux début
de l'allegro. Non, juste un accelerando qui introduit une troisième fois le motif percutant en tutti suivi d'un riche développement guilleret de l'adagio.
Donc l'adagio est bien plus qu'une mise en bouche telle que l'imaginait Haydn dans la
symphonie 103 par exemple. La musique danse, alternant de vivants motifs aux
flûtes et aux violons. Une introduction habituelle à l'époque mais très innovante par ses proportions et sa fantaisie débridée et qui se conclut par une mélodie élégiaque ponctuée de coups de timbales.
[2:30] L'allegro commence enfin avec un matériau
mélodique rythmé et vaillant typique du style beethovénien. Deux thèmes vont
s'affronter, le premier exposé par les violoncelles, le second [3:21] aux bois
et de caractère martial. Le compositeur disserte avec énergie à partir de ces
deux idées musicales plus complémentaires qu'antinomiques. Une symphonie qui
quoiqu'on en pense se révèle très proche, par la complexité bon enfant du
contrepoint, de celles à venir, que de la 1ère fort classique sur le plan formel. L'usage des bois et des cors ouvre les voies des orchestrations
diablement concertantes et luxuriantes qui impressionneront les compositeurs du
XIXème siècle, de Schumann à Brahms sans oublier Berlioz.
Roger Norrington libère très justement la
petite harmonie et les cuivres du carcan des cordes envahissantes du style
germanique parfois pesant imposé pendant 150 ans… La coda apporte son lot de
folie que l'on retrouvera dès la 3ème symphonie avec ses
arpèges véhéments. Cette vitalité déconcerta le public peu habitué à une
musique aussi généreuse et débordante.
Carl Alois de Lichnowsky |
2 – Larghetto
(3/8 - la majeur) : Avec cette indication larghetto peu courante, Beethoven suggère un tempo lent certes
(adagio et retenu) mais animé. Et c'est le cas avec cet ample mouvement qui
suit un allegro échevelé. J'oserai dire qu'avec cette symphonie, le compositeur
met un terme dans son parcours au classicisme. Dans la 3ème symphonie,
nous écouterons la tragique marche funèbre. Il pousse la forme sonate dans ses
derniers retranchements, ABA'B'… [11:54] Si l'utilisation de deux thèmes de
haute volée marque cet attachement aux règles de composition, l'originalité
provient d'une articulation et d'une dynamique qui fleure bon les prémices du
romantisme par des contrastes affirmés. Le premier thème, langoureux, est
exposé aux cordes et repris aux clarinettes bassons et cors. Un thème assez
long qui fait songer au climat pastoral de la 6ème symphonie.
On retrouve ce travail très concertant dans lequel les bois font bien plus
qu'enjoliver le discours. Un charme mélodique qui décidément m'oblige à
insister sur le mystère que représente le manque de passion pour cette œuvre.
[13:24] Le second thème n'établit pas un contraste majeur dans la mélodie.
Logique car le mouvement se développe comme une jolie ballade dans laquelle, à
petit pas, Beethoven nous guide dans
son jardin secret. [15:48] Puis à [16:13] deux passages dont le second est
introduit par un solo de basson semblent inviter quelques nuages plus sombres à
noircir le paysage. Ô avec discrétion. Mais encore une fois, doit-on opter pour
une facétie de composition, le goût du contraste, ou bien l'expression des
premières angoisses face au constat de la surdité. Le suicidaire "Testament de
Heiligenstadt" envoyé à ses frères et exprimant le désespoir de
Beethoven confronté à la perte de
l'audition est contemporain de la composition de la symphonie (octobre 1802). En
tout état de cause, une musique sereine reflet de grandes espérances.
3 – Scherzo -
Allegro (3/4 - ré majeur) : [21:52] Dans l'intermède avant le final, Beethoven n'utilise pas les mots menuet ou
menuetto chers à Mozart et à Haydn et même à sa 1ère symphonie.
Le scherzo est né et va devenir la règle dans la symphonie jusqu'à l'époque
moderne. Il est court mais bien épicé. La thématique est
vigoureuse et contrastée. Deux airs de danses lui offre son lyrisme. Le scherzo
très allant est joué par tout l'orchestre, on y entend des traits d'humour des
cors, un motif proche du ländler, un climat festif scandé par les timbales. [23:40]
Le trio de quelques mesures prolonge la gaieté villageoise du propos avec un
surprenant solo enjoué de hautbois.
4 - Finale -
Allegro molto (2/2 - ré majeur) : [26:30] Le final ne pouvait
être autre qu'un joyeux point d'exclamation concluant une symphonie entièrement
placée sous le signe du sourire (que des tonalités majeures), y compris dans son
bucolique larghetto. Beethoven
rentre frontalement dans le vif du sujet de manière endiablée avec un premier
thème dynamisant. [26:42] thème facétieux qui dans la reprise donnera lieu à un
dialogue ludique des bois dominé par le hautbois et le basson. Beethoven omet une introduction lente toujours
à la mode en 1802 avant d'exposer les thèmes. Le public sera surpris voire hostile face à
cette précipitation qui indirectement va privilégier la durée de la coda. [28:00] Reprise et
développement tout aussi jubilatoire. [31:08] La coda marquée par une
opposition entre mystère et humour annonce celles des symphonies à venir par
son ampleur et ses ruptures de rythme. Hormis quelques petites redites
inhérentes à la forme sonate, le désamour envers cette 2ème symphonie
pleine de verve reste à mes oreilles un mystère. Sans doute parce que Beethoven nous habituera plus tard à des partitions
d'un génie plus incontestable… (Partition)
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Bon an mal an, la discographie abondante propose
historiquement deux approches de l'interprétation beethovénienne. D'abord la
tradition germanique avec sa puissance teutonique et ce grain de mysticisme qui
caractérisent le romantisme, l'apogée étant le style Furtwängler.
À l'opposé ou presque, un allégement des traits, des tempi assez vifs comme l'exigeait
Ludwig, l'air qui circule entre les pupitres, la modernité. Voici trois CD qui
hors des intégrales pléthoriques réunissent les deux premières symphonies
préromantiques.
Herbert von Karajan bien sûr
dans la première catégorie. Quatre intégrales et ici la dernière mouture
numérique en 1984. Ah les cordes voluptueuses
de la Philharmonie de Berlin.
C'est Karajan et le geste large
face à un superbe orchestre surdimensionné. Olympien assurément mais peut-être
l'exemple même de l'interprétation aux effets dionysiaques qui ne rend pas
justice à la finesse de cette symphonie de forme classique. Pour les amateurs
de romantisme avant l'heure et du maestro autrichien (DG – 4/6).
L'orchestre de la
Thonalle de Zurich joue sur instruments modernes, mais voilà une
bonne surprise. David Zinman en 1999 respecte à la lettre les
indications de la partition. Effectif de cordes moins pléthorique, aucun vibrato
affecté, les vents sonnent magnifiquement et avec alacrité. Une cure de jouvence,
un vrai moment de bonheur (Arte Nova
– 5/6).
Même remarque avec l'interprétation récente de Marris Jansons à la tête de l'orchestre de la Radiodiffusion Bavaroise.
Le chef Letton magnifie chaque détail. L'orchestre est allégé mais chante sur
des charbons ardents. L'énergie de Beethoven
retrouve sa quintessence. Prise de son fabuleuse, notamment des cuivres. Un
concert en live de 2015, le CD
comprend en bonus deux courtes œuvres contemporaines, une volonté discographique
originale (BR – 5,5/6)
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Dans ton introduction avec Sonia, tu dis "les moins aimées de Beethoven, comme la 8ème". Pas d'accord ! j'aime bien la deuxième et j'adore la huitième que j'avais découverte dans un disque couplé avec la huitième "Inachevée" de Schubert dans une collection économique (Fontana Le Cercle Musical).
RépondreSupprimerOui mais mon cher Pat, c'est très bien, mais sans vouloir t'offenser, nous ne représentons aucunement la majorité. Cette idée n'est pas complètement de moi, on lit ça partout... Un simple constat, difficile de voir les 1,2,4 et 8 aux programmes des concerts, surtout en France...
SupprimerOuais...! Et c'est bien dommage! Parce que hormis "Pom pom pom pooom !", la 7 ème et la 9 éme, je trouve que ce sont des symphonies trop méconnus par le grand public, c'est bien triste !
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