samedi 15 septembre 2018

BEETHOVEN – Symphonie N°8 – Otto KLEMPERER (1957) – par Claude Toon



- L'intégrale des symphonies de Beethoven poursuit sa route M'sieur Claude… Aujourd'hui la 8ème… Manquera plus que la 2ème pour boucler la boucle…
- Et oui Sonia, et vous avez noté que j'ai encore choisi une interprétation par un autre grand chef beethovénien, à savoir Otto Klemperer avec le Philharmonia.
- Oui, il revient souvent le commandeur à l'air sévère. On l'a entendu dans Mozart cet été et souvent aussi dans Mahler, Mendelssohn ou Wagner…
- Et bien en fait Sonia, Youtube où je puise mes illustrations ne m'a guère laissé le choix, la discographie de cette symphonie atypique est moins riche que pour ses copines…
- Hum Hum, vous allez détailler tout cela je pense…
- Et très franchement, le chef allemand savait allier sans pareil une tradition romantique à la Furtwängler avec une finesse dans le détail inouïe. La classe !

Beethoven vers 1814
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Huitième chronique consacrée au corpus symphonique de Beethoven et hasard du cheminement : la 8ème symphonie. Curieusement un ouvrage court de 25-28' de temps d'exécution et qui semble regarder vers l'âge classique de Mozart et de Haydn. Un retour aux sources pour le compositeur qui, dès sa 3ème symphonie "Héroïque", pose les bases du romantisme ? À l'écoute attentive, rien n'est moins sûr ! Je vais y revenir plus loin.
Étrangement, cette alerte composition partage avec la 2ème symphonie une certaine désaffection des maestros et sans doute du public. J'avoue mon incompréhension face à cela car il n'y a aucun réel point faible dans l'univers symphonique de Beethoven. Bon évidemment, il y a les partitions cultes et immortelles : la 3ème, la 5ème (pa pa pa paaam), la 6ème "pastorale", la 7ème et enfin la monumentale 9ème, chef d'œuvre ultime avec son final "ode à la joie".
Le nombre d'exemples musicaux de grande qualité en vidéo est chiche. Je disposais d'un live de Paavo Järvi excellent et dynamique, mais j'avais déjà fait appel à ce chef pour mon commentaire à propos de la 4ème symphonie. Un principe de départ était d'écrire mes 9 papiers en recourant à neuf chefs d'orchestre différents qui restent pour l'éternité de grands beethovéniens (Erich et Carlos Kleiber, Herbert von Karajan et pour la jeune génération Gustavo Dudamel, etc.) (Index) Parmi les chefs historiques du début du XXème siècle, je n'ai jamais parlé de Furtwängler, les exemples proposés étant vraiment médiocres techniquement parlant, même si ses interprétations empreintes de spiritualité sont entrées dans la légende du disque (9ème de 1951 à Bayreuth).  Et me voilà écoutant une gravure de bon aloi de 1957 par un contemporain de "Furt" : Otto Klemperer. On pourra penser que c'est une drôle d'idée, que la rigueur parfois taxée de marmoréenne du vieux commandeur dirigeant le Philharmonia dans cette symphonie pétulante sera hors-jeu. Et bien non, comme on va le voir, la subtilité de la mise en place est stupéfiante, le tempo bien choisi. Et par ailleurs les affres romantiques et la spiritualité n'ont pas autant leur place dans cette symphonie débonnaire que dans les œuvres citées avant…
Cette 8ème symphonie est la sœur jumelle de la 7ème. Beethoven avait pour habitude de composer deux symphonies en même temps mais de tempéraments opposés : épiques vs poétiques et divertissantes : 3 et 4, 5 et 6. Le couple 7 et 8 date de 1812 même si la création de cette 8ème n'aura lieu qu'en 1814. 1812 : le début des années noires pour Ludwig van.

Beethoven snobant l'empereur. Goethe est à gauche
(une gravure de 1887)
Oui, 1812, le début d'une traversée du désert pour le compositeur le plus adulé jusqu'à cette année-là à Vienne. Le public est versatile et si la création de la 7ème symphonie a été un triomphe en décembre 1813, la mode est désormais aux opéras comiques de Rossini et à la nostalgie de l'art classique, Haydn et surtout Mozart. Sa surdité s'est encore aggravée, le musicien doit coller son crâne sur le piano (région du rocher derrière l'oreille) pour entendre au mieux son travail. (Un ORL m'a expliqué que c'est son étrier, le plus petit os du corps situé dans l'oreille moyenne qui était ankylosé.) L'homme n'a jamais été aussi bougon. Un jour il croise la famille impériale sans les saluer, ostensiblement ; Goethe avec qui il s'est lié d'amitié est présent et un tantinet gêné par cet affront 😆.  Metternich, ennemi juré de Napoléon, qui gouverne en nostalgique de l'ancien régime, et d'une manière quasi fasciste, n'apprécie guère les positions démocrates et révolutionnaires de Beethoven souvent interrogé par la police. Ainsi, il va peu composer pendant les quatre années à venir. L'argent manque, les idées suicidaires refont surface. Et c'est en cela que cette 8ème symphonie plutôt guillerette marque la fin d'une période où le succès était au rendez-vous et ouvre la porte à une époque bien sombre.
Lors de la première, peu de temps après la création de la 7ème, par Beethoven lui-même au pupitre avec l'aide du premier violon (du fait de son handicap), le succès n'est pas total. Une symphonie qui semble replonger dans la rigueur classique avec pourtant plein d'innovations. Beethoven confiera à son élève Czerny surpris de ce mande d'engouement "Normal, elle est bien meilleure…".
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Je ne présente plus le Philharmonia Orchestra créé en 1948, juste avant le début de l'ère du microsillon par Walter Legge. Un orchestre de studio destiné à la production de disques de qualité tant sur le plan technique que pour l'intérêt musical. On verra ainsi venir, pour inaugurer le concept, des géants comme Furtwängler, Karajan… Déjà sollicité, Otto Klemperer prendra en 1959 définitivement les rênes de cette phalange pendant 14 ans ! Le vieil homme va réenregistrer la plus grande partie de son répertoire classique et romantique dont une intégrale Beethoven. Héritier du style de direction du debut du XXème siècle, le chef né en 1885 léguera un patrimoine fabuleux qui est toujours édité (Clic).
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Otto Klemperer et Walter Legge
On sera surpris de la bonne humeur que dégage l'écoute de la symphonie, surtout après le portrait assez sombre de l'existence à venir de Beethoven dressé ci-avant. L'une des nombreuses aventures galantes de Ludwig peut expliquer cela. Lors de l'été 1812, Beethoven se trouve en cure thermale à Teplitz. Il rencontre et correspond avec Amalie Sebald, une cantatrice berlinoise. Une bien-aimée de plus diront les méchantes langues, mais la personnalité aimable de la chanteuse aura à l'évidence une influence sur la joyeuseté de l'ouvrage… Et plus car affinité il y a, là aussi à l'évidence… 😏
L'orchestration est des plus classiques, celle de sa première symphonie ou des symphonies ultimes de Haydn : 2/2/2/2, 2 trompettes, 2 cors, timbales et cordes.

1 – Allegro vivace e con brio : Le premier thème explose sans aucune introduction de quelques mesures comme il était d'usage à l'apogée du style classique (symphonie 103 de Haydn) et aussi en ces débuts du romantisme : 7ème de l'ami Beethoven. Un motif gaillard joué f à l'unisson par tous les pupitres ; 4 mesures syncopées sur les deux derniers temps. Le thème se prolonge par un court choral de l'harmonie. Le rythme est allant, presque vindicatif, mais sans la dramaturgie des symphonies impaires (3, 5, 7). Un motif secondaire tout aussi bravache prolonge cette entrée en matière bien dans le style musclé de Beethoven. Quel peps ! [0:45] Le basson énonce le second thème en notes piquées (sans oublier quelques syncopes). L'instrument se fait espiègle et se voit rejoint par les cordes pour développer une mélodie plus galante et festive, notée p, et faisant appel à un chromatisme novateur lui offrant un petit air réjoui mais intrigant. Les bois vont compléter cet exposé. Même si Beethoven s'amuse à respecter la forme sonate, le discours ne traduit jamais un souci d'académisme. [2:07] Reprise tambour battant mais sans aucune pause. La réexposition semble surgir comme une continuation sans transition de la folie initiale. C'est donc assez inattendu dans un hommage à la forme classique. L'allegro va poursuivre son bonhomme de chemin, alternant de légères variations sur les motifs initiaux mais de manière si fougueuse et tendre à la fois que ce mouvement va rester d'une lisibilité et d'une cohérence sans accroc ou longueur jusqu'à la coda éclatante [9:12]. Une déflagration noté fff, une nuance dynamique très rare chez ce musicien… Inutile de préciser que la direction de Klemperer est pour le moins rugueuse et sans chichi. Brutale diront certains. Possible, mais quel art de l'équilibre entre les pupitres. Une lecture fouillée et un tempo sans rubato, une prise de son claire pour ce disque de 1957.

Amalie Sebald
2 - Allegretto scherzando : [9:50] Nouvelle fantaisie et de taille, la 8ème symphonie ne possède pas l'incontournable mouvement lent prenant la seconde place dans  ses œuvres précédentes (en 3ème position dans la 9ème, initiative justifiée par les dimensions et la puissance tragique de l'allegro initial). Non, Beethoven y substitue un allegretto effectivement allègre, bref et très divertissant. Il s'agit d'un mouvement très accentué et staccato. On pensera à la symphonie l'horloge de Haydn en plus rapide, beaucoup plus rapide… Le thème est un hommage à Johann Nepomuk Mälzel, l'inventeur du métronome. D'où ce tic-tac obsédant qui débute et conclut le mouvement. La partie centrale plus mélodique et chorégraphique explique la notation scherzando par la symétrie de l'allegretto proche du plan Scherzo-Trio-Scherzo déjà expérimenté depuis la 2ème symphonie, mais à la place du menuet qui va suivre. Oui, un menuet, à la mode mozartienne, Beethoven ose tout en cet été 1812

3 - Tempo di menuetto : [14:17] Oui un menuet, l'ancêtre du Scherzo par sa forme tripartite vif-lent-vif. À l'époque romantique et plus tard, le scherzo deviendra non pas un simple divertissement mais un mouvement à part entière, figé dans sa forme certes, mais d'une signification dramatique bien marquée (Bruckner, Mahler et son scherzo burlesque…). Le thème dansant du menuet, rustique et bucolique, est chanté par les cordes. On s'imagine retourner au siècle des lumières par la simplicité du propos et cette manière de faire virevolter de pupitre en pupitre ce thème répété sans cesse, mais sans intention obsédante grâce à la variété de l'orchestration.
[16:47] Le thème du trio, cocasse et lyrique, sera confié principalement aux cors avec un accompagnement des cordes très chaloupé, notamment des violoncelles et des contrebasses. [18:08] Le menuet est repris da capo.

4 - Allegro vivace : [19:30] Un motif trépidant joué secrètement introduit le final, les trilles s'en donnent à cœur joie. [19:50] Reprise énergique du thème avec un développement hyperactif. [20:21] le second thème poursuit cette vivacité mais avec une certaine sensualité très présente chez Klemperer, c'est tout dire…  [22:02] La réexposition survoltée laisse libre cours à des échanges concertants et fantasques des bois. Classique ? Possible, mais cette vitalité respire bien le style beethovénien. [24:12] La coda démarre tôt et va gagner inexorablement en puissance, on pourrait parler comme à propos de la 7ème symphonie d'"Apothéose de la danse". (Partition)
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Vous avez peut-être trouvé l'interprétation de Klemperer un peu massive, malgré son souci de mise en place, la signature du style germanique du début du XXème siècle. C'est tout à fait pertinent. Tous les chefs historiques de Karajan à Harnoncourt (une liste sans fin) ont gravé cette symphonie qui n'est absolument pas mineure au sein de leur intégrale (une ou plusieurs, sans compter les captures en concert).
Je suggère quelques disques parus hors intégrales et dont les chefs allègent le trait, donnant des couleurs vif-argent et brillantes à cette œuvre débonnaire.  
Avec le merveilleux orchestre du Concertgebouw d'Amsterdam, Wolfgang Sawallisch signait en 1992 une interprétation légère comme un café viennois. Un album réunit quatre symphonies de cette époque dont les mal-aimées 2 et 8. (EMI – 6/6).
Comme Harnoncourt, John Elliot Gardiner s'est passionné pour ce corpus orchestral assurant le pont entre l'âge classique et le romantisme. Les tempos sont très vifs (4 minutes pour le scherzando). Un divertissement magique, une chevauchée aérienne, un bonheur pour les adeptes des interprétations sur instruments d'époque. (Arkiv - 6/6)
Enfin, disponible en album isolé ou dans son intégrale, Paavo Järvi renouvelle l'esprit de l'œuvre par une battue enfiévrée et enivrante. Ce qui montre que cette symphonie peut toujours nous surprendre lorsque des orchestres et des chefs imaginatifs sont à la baguette… Ici : Deutsche Kammerphilharmonie Bremen (DK – 6/6). Vidéo de ce live en prime cette semaine. (Existe en DVD, mais difficile à trouver.)

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