lundi 10 décembre 2018

MISERY de Rob Reiner (1990) – par Claude Toon



Qui a piqué la lettre N ?
XXXX
Qui n'a jamais lu un roman à suspens du prolixe écrivain Stephen King ? Vous ? Et bien ce n'est pas grave car ce film bien qu'adapté d'un thriller éponyme ne nécessite aucunement d'avoir lu le livre. Si l'écrivain a gagné ses lauriers en favorisant la littérature fantastique avec un assaisonnement horrifique, Misery échappe à cette thématique ; Misery est un roman noir, et même si l'intrigue serrée et terrifiante glace le sang, le duel à mort entre les deux personnages principaux adopte les ressorts du polar sans évasion vers l'irrationnel.
Fin des années 89 et début des années 90, Stephen King va écrire des ouvrages qui posent la question de la relation qui se crée entre un auteur et son personnage. Le principe est souvent le même. Dans la Part des ténèbres, Thad Beaumont a percé dans l'édition à l'aide d'une série de pulps hyper-violents. Son pseudonyme de plume : George Stark. Il décide de commencer une carrière plus personnelle et aboutie, et lors d'une cérémonie entre amis, il enterre un exemplaire dans un cimetière. George Stark mécontent va revenir d'entre les morts virtuels pour se venger. C'est l'option fantastique. Une adaptation en avait été réalisée, elle est nulle ! Vue imprenable sur jardin secret pose la question du plagiat et de la frontère entre le fantasme et la réalité, qui est qui ? Encore une adaptation, en 2004, et de qualité inégale, Fenêtre secrète, qui vaut surtout par l'interprétation de Johnny Depp face à John Turturro. Une vraie réussite viendra avec Misery de Rob Reiner. (Quand Harry rencontre Sally.)

Premiers plans : Paul Sheldon (James Caan) termine de taper un manuscrit. Ouf ! Petit rituel : une bouteille de champagne Don Pérignon à portée de main après la frappe finale et énergique sur une bonne vieille machine à écrire. Il écrit à la main et en grand THE END en bas de la dernière feuille, puis saute dans sa Ford Mustang et s'engage sur une route enneigée… C'est toujours une mauvaise idée d'écrire dans un chalet isolé et de prendre la route par temps de blizzard, surtout l'âme guillerette et déconcentrée et la radio à fond. La meilleure façon pour finir dans un ravin… et c'est le cas. Pas mort le Paul, mais en sale état, bigre…
Miracle ! Bravant la froidure, un ange salvateur le désincarcère (comme disent les pompiers). Paul se réveille dans le cirage chez Annie Wilkes (Kathy Bates) qui habite dans une maison isolée près du lieu de l'accident. Admettons, l'hôpital est sans doute loin dans ce Colorado hivernal. Et puis Annie est infirmière. Elle a soigné Paul, enfin soigner, disons rafistoler ses jambes broyées et le bras luxé tout en le bourrant de codéine. Pourquoi un tel dévouement ? Annie a trouvé le manuscrit du dernier opus de Misery, et hasard des rencontres, elle est la fan 0 comme il y a un patient 0, la groupie absolue, la réincarnation version mémère de Misery. Mais au fait, qui est Misery ?

Comme Thad Beaumont, Paul Sheldon a connu le succès en enchaînant des romans à l'eau de rose rocambolesques mettant en scène une héroïne : Misery Chastain. C'est cucul, mais ça paye. Mais Paul en a sa claque et veut s'atteler à autres choses que cet ersatz de la collection Harlequin, tout un monde de romantisme débile, en vente dans les stations-service et les drugstores…
Un auteur n'aime pas beaucoup que ses lecteurs découvrent l'intrigue avant correction et publication… Mais bon, Annie l'a sauvée, elle est bonasse, il cède et la lecture commence…

Étape 1 : Annie Wilkes se fâche car un personnage s'exprime comme un charretier. Bon c'est un gars de banlieue, un peu de réalisme, Annie accepte cette incartade…
Étape 2 : Annie Wilkes surgit avec un visage décomposé, en descendante des frères Samson prête à guillotiner un monstre. Elle a fini la lecture. Paul a osé faire mourir Misery !
Étape 3 : pour Paul, la descente en enfer commence… Il a compris sa situation d'otage littéraire ; Annie Wilkes est une psychopathe, peut-être pire…

Rob Reiner a planté le décor, le huis clos, le duel à mort entre Paul qui doit survivre en écrivant un nouveau Misery après l'autodafé du manuscrit sur un barbecue (pas très maligne Annie, elle a failli incendier sa baraque). C'est appréciable cette introduction rapide de Rob Reiner, sans plan inutile, sans parlote, jusqu'au coup de théâtre où Annie exige la résurrection de Misery. Annie Wilkes se veut parfois maternelle, lui déniche une antique machine à écrire Royal 10 un peu fatiguée, la touche N est cassée, qu'à cela ne tienne, elle se propose de mettre les N à la main, sa façon de mettre les points sur les I pour affirmer sa détermination. Par contre, pas de connerie, hein, pas d'escapade ! Paul est enfermé, impossible de fuir ni d'appeler au secours. L'infirmière organise ce qu'il faut bien appeler une chambre de soins et de travail "concentrationnaire" (le mot est de Stephen King). Paul, malgré l'angoisse et la douleur, arrive à la manipuler, pas toujours, gare à la faute, il brave les pires dangers pour tenter d'échapper à sa geôlière autoproclamée critique… Un affrontement de gladiateurs. Quelle issue à l'affaire ?

Le rythme est haletant. Les péripéties incessantes au rythme des crises de bipolarité. La mise en scène linéaire avance sans temps mort, les décors reflètent bien les limites intellectuelles et les obsessions d'Annie. Entre temps, on a retrouvé la voiture de Paul enchâssée dans la neige, mais vide. Paul est déclaré mort de facto. Seul le Shérif (Richard Farnsworth) doute et enquête… Est-ce une bonne idée ?

Kathy Bates obtint l'oscar d'interprétation pour ce rôle. Récompense tout à fait méritée pour cette actrice qui échappe au stéréotype des "belles actrices" d'Hollywood. L'année d'après, elle tournera Beignets de tomates vertes, encore un film bien barré et un personnage truculent… Il faut dire que sa composition d'Annie est très habile, sans excès grimaçants. Elle nous pousserait à l'empathie en câlinant son animal de compagnie : un cochon roux nommé… Misery 😆.
Bravo aussi à James Caan (Le Parrain 1 et 2, The yards, une filmographie sans fin). Paul, le courageux qui invente mille stratagèmes pour fuir sa cellule horrifique et sa monstrueuse gardienne.

J'ai revu ce film sur le câble, il existe en DVD et est surement disponible au téléchargement. La qualité du cadrage et de la photographie est au rendez-vous.

Dernière info : la présence élégante de Lauren Bacall, l'éditrice de Paul, très inquiète de sa disparition…

Couleur : 1,85:1 - 107 minutes



3 commentaires:

  1. Une des rares adaptations réussies d'un roman de Stephen King. Un pur régal.
    Au contraire de "La Tour Sombre" qui doit être le pire massacre jamais réalisé d'un bouquin. (l'oeuvre originale en comptant huit)

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    1. Tout à fait d'accord Bruno. Il faut dire que le livre ne glisse pas vers le fantastique et n'est pas un pavé de 1000 pages...
      Quant à La Tour Sombre, j'avoue avoir lu les deux premiers puis décrocher...

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    2. A mon sens, "La Tour Sombre" est certes inégale, mais doit être ce que Stephen King a écrit de mieux (je n'ai pas tout lu de cet auteur particulièrement prolixe).
      A l'origine, il s'agit d'un petit roman ("Le pistolero") qu'il avait commencé à écrire encore étudiant et très influencé par les films de Sergio Leone (Roland = Clint). Mis de côté pendant de nombreuses années, il le ressort et reprend l'histoire pour son plaisir, parallèlement à ses publications. Et même lorsque le premier volume sort, il faut attendre des années pour avoir la suite (sauf en France où les deux premiers tomes sortent la même année).
      Pas étonnant que le 1er volume soit assez naïf et un peu confus - mais tout de même sympa -. L'histoire s'installe donc très progressivement ; au fil des publications. Ce qui donc vite lasser.
      Stephen King s'amuse à mélanger les genres et à inclure de nombreuses références. De ses propres romans comme de classiques tel que le magicien d'Oz. Jusqu'à s'inclure lui-même, sans ménagement. Comme un exutoire, ou une rédemption, parlant de son alcoolisme et de son accident qui a failli lui coûter la vie.
      Par contre, le dernier chapitre - tome 7 - paraît un peu bâclé sur la fin. Comme s'il ne savait plus comment finir sa longue épopée.

      Peut-être de renouveler l'expérience ...

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