lundi 3 décembre 2018

L'ÉPREUVE DE FORCE de Clint Eastwood (1977) – par Claude Toon




Gus qui charme...
À partir des années 70, Clint Eastwood passe derrière la caméra à l'instigation de Don Siegel - tout en gardant le rôle principal face à l'objectif - pour réaliser ou commettre (suivant les opinions) plusieurs films d'action. Le résultat restera inégal, l'acteur-cinéaste cultivant principalement son rôle de flicard mal-luné, ingérable, à la rhétorique primaire et machiste. Un butor justicier. Ses débuts datent de 1971, un drame inspiré d'une expérience de jeunesse : la liaison orageuse avec une femme plus âgée que lui : Un frisson dans la nuit. Pour Eastwood, ce film précède une décennie marquée par la série mettant en scène un flic cabochard et à la détente facile : L'inspecteur Harry. Tout le monde connaît. Efficace à défaut d'être du grand art. Une série de quatre épisodes qui se terminera en 1983 avec, à mon sens, le médiocre Retour de l'inspecteur Harry, mis en scène par l'acteur. Le filon étant usé, les répliques trop souvent rabâchées ne font plus mouche. Par contre, là encore, l'actrice Sondra Locke donne pour la sixième fois la réplique à Clint. Elle interprète une femme serial-killeuse qui se venge d'un viol en réunion qui a envoyé sa sœur à l'asile… Harry la laissera filer, certains critiques voyant là un virage féministe, pourquoi pas… Pour la petite histoire, l'actrice a été la compagne d'Eastwood pendant une quinzaine d'années… Elle tournera notamment une comédie savoureuse, Bronco Billy. Mais cela est une autre histoire…

Gus qui flingue...
L'épreuve de force apparaîtra soit détestable, si vu au premier degré, soit d'une loufoquerie assumée pour celles et ceux qui considèrent le cinéma comme un possible guignol pour adultes. Par certains côtés, le synopsis surréaliste pour ne pas dire irréaliste se rapproche de celui des films postapocalyptiques à la Mad Max. L'affiche très surchargée, on pense à une couverture Marvel, reflète bien, pour l'époque, le style survitaminé de ce polar déjanté.

Phoenix, Arizona. Blakelock (William Prince), le chef de la police locale confie à Ben Shockley (Clint Eastwood) une mission suicide : escorter depuis Las Vegas un témoin "suicidaire" qui permettra de faire tomber un parrain de la mafia. Ben Shockley : alcoolo, désabusé, célibataire, ronchon, la réplique gaillarde… un clone de l'inspecteur Harry. On comprend d'emblée que Blakelock n'a pas choisi Ben par hasard, c'est le seul flic intègre du coin, ce qui n'est pas son cas, et son émissaire va devenir la cible tout autant que le témoin. En fait tous ses services sont corrompus. On a deux camps, scénario simple : que des méchants ! Sauf trois : Ben Shockley, son collègue et ami Josephson (Pat Hingle) un peu naïf et qui attend la retraite et… le, ou plutôt, LA témoin Gus Mally (Sondra Locke) petite blondinette craquante, sexy, mais qui vocifère comme une poissarde. Ben comprendra mieux l'écart entre le look et les diatribes volcaniques de la dame quand il apprendra que Gus vit de ses charmes. Parlant le même langage de charretier, Ben et Gus vont devoir coopérer car ils ont une trèèèèès longue route à faire.
Le principe du film est simple : prises de bec piquantes dans le duo improbable, et embûches pour qu'il n'arrive pas vivant à Phoenix. Enfin, en termes d'embûches, des guets-apens ourdis par Blakelock, des fusillades qui iront crescendo jusqu'à l'absurde, la bataille de Stalingrad revue par Tex Avery. Dans l'ordre : une maison, une bagnole de flic, la moto taxée à un biker, un train (fourgon à bestiaux), et un bus… L'Arizona : un terroir de barbares.

Dites ? Vous avez l'adresse d'un Midas ?
Ces fusillades délirantes et humoristiques  successives assurent à leur manière l'originalité de la mise en scène plutôt nerveuse. On peut trouver cela parfaitement vain et idiot, mais l'outrance, le nombre de projectiles exponentiel me fait toujours marrer (je suis un grand gamin ?). Quand je parlais de surréalisme, je faisais dans l'euphémisme. Le clou du film sera la traversée de Phoenix sur 1 ou 2 km par un bus mitraillé par une armée de flics. Quand je dis une armée, les keufs surarmés sont au coude à coude, ont envahi les trottoirs et les toits des immeubles. On croirait qu'à Phoenix, le seul bassin d'emploi existant recrute des flics bons tireurs. Pour paraphraser les critiques d'Hernani, ça n'a ni queue ni tête, mais c'est le charme déjanté de ce final apocalyptique. Ah je les entends déjà les rationalistes : même si Ben a improvisé à grand renfort de tôle épaisse et de chalumeau un blindage autour du poste de conduite, rien pour protéger le moteur ni les pneus (qui finiront par exploser). Quant aux tireurs placés des deux côtés des rues, un miracle qu'ils ne s'entretuent pas entre eux et que les boutiques tiennent encore debout à la fin de ce remake de la bataille de Karkov… Blakelock avait pourtant suggéré l'emploi d'un bazooka pour limiter les frais en personnel… On n'écoute jamais assez la hiérarchie de nos jours.
Côté dialogue, là on ne parle plus de Hugo. Ben reprend la phraséologie de l'inspecteur Harry : grossière mais bien à propos. Le film est rythmé, l'action classique mais imaginative, la photographie correcte. Le personnage de Gus évolue au rythme de cette folie pétaradante. Au départ plutôt encline à prendre la tangente pour ne pas avoir à témoigner, l'héroïsme borné de Ben la contaminera, un petit bout de femme qui ne s'en laissera pas compter. Eastwood peaufine le personnage sadomasochiste que l'on retrouvera dans ses westerns géniaux et crépusculaires. Il a déjà tourné L'Homme des Hautes Plaines en 1973.

C'est amusant, j'ai lu que l'on avait pensé au départ à d'autres castings, notamment : Steve McQueen et Barbra Streisand, et la réalisation aurait dû être confiée à Sam Peckinpah ou Walter Hill. Sam Peckinpah tournera Le convoi, autre film pour le moins mouvementé et violent et, lui aussi, de style road movie. Des projets qui montrent que le scénario n'était pas destiné à un nanar, ce que L'épreuve de force n'est pas. Je l'ai revu sur le câble avant de pondre ce billet. Je suis persuadé que la vente des passoires a dû faire un bond financier lors de la sortie 😀.

Désolé, la bande annonce en VF n'existe pas et celle en VO n'est pas top.



2 commentaires:

  1. Je l'aime bien ce film. C'est sympa, pour rire (quoique la scène du viol dans le train...) se détendre et remplir les caisse du Clint producteur aussi ! Et ça préfigure ce que sera le cinéma d'action musclé des années 80/90, Schwarzy, Willis, Gibson, à côté duquel celui-ci passe pour Bambi. Il y a de très bonnes scènes, et il faut avouer que la chevauchée héroïque du bus, est énormissime !

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  2. Et une affiche non moins célèbre (presque) réalisée par l'immense Frank Frazetta.

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