mercredi 26 décembre 2018

"L'Antre de la Folie" John Carpenter (1995), by Bruno



Dans la série des films à voir en famille, les soirs de fête,
un petit divertissement de John Carpenter



Une personne, prise dans une camisole de force et au visage reflètant la démence et la crainte, est amenée sans ménagement par deux rustauds dans une cellule capitonnée.
"Je voulais pas vous faire mal !! Je visais pas les couilles je vous juuuree !!! Pourquuoiii ???"
"Je ne suis pas fou !! Vous m'entendeeezz ??? Je n'suis pas foouuu !!!"
"Moi non plus !!!" - "'suis pas fou" - "Naann !!!" - "Hiiiii" - répondent diverses voix hystériques mais étouffées par la porte de la cellule.
Le responsable du secteur envoie la musique pour calmer les esprits ....
"Oh non ... pas les Carpenters ... Non !"
Et puis la musique s'arrête comme une bande magnétique avalée.
Silence ... Une main anonyme frappe à la fenêtre de la porte ...
Le forcené sent une présence ; il se retourne et s'adresse à une silhouette :
- "C'est plutôt lamentable comme fin ..."
- "Ce n'est pas encore la fin. Vous ne l'avez pas encore lue" répond l'intrus sur un ton bienveillant.
Suit un maelström d'images violentes et incohérentes. Sous le choc des visions, le forcené s'écroule, abattu comme s'il ne pouvait en supporter plus.

Il s'agit de la première séquence du film. On ne sait pas de quoi il s'agit. Qui est le forcené ? Pourquoi a-t-il été enfermé ? Qu'a-t-il fait  pour mériter un traitement aussi expéditif ?


La séquence suivante enchaîne un entretien avec le Dr Wrenn (David Warner). Auparavant, ce dernier demande si le nouveau pensionnaire a formulé une demande.
"Une ... une seule : un simple crayon noir"
Lorsque que le docteur rentre dans la cellule, John s'affaire à noircir toute la pièce de croix de toutes formes et de toutes tailles. Son pyjama, ses bras et son visage en sont également recouverts.
- "C'est pour quoi ?"
- "Je suis le docteur Wrenn et je vais tout faire pour vous sortir d'ici"
- "Non ... non, je crois que je préfère rester ici" répond calmement Trent.
- "L'infirmier à la paire de testicules enflées affirme que vous voulez sortir d'ici"
- "J'ai changé d'avis. Vous attendez que je vous parle d'eux ... On dirait que ça commence à être la merde dehors ... tout a commencé avec la disparition ... la disparition de Sutter Cane"


     C'est ainsi que commence ce film, dans une ambiance froide, de clinique désincarnée, déjà habité par la folie où se fondent réalité et cauchemar.
John Trent, merveilleusement interprété par un Sam Neill parfait dans ce rôle, raconte donc calmement son histoire.
John Trent est un enquêteur particulièrement apprécié et sollicité par les compagnies d'assurances ; il est passé maître dans l'art de déceler toute escroquerie.
C'est ainsi qu'il est démarché par la maison d'édition Arcane (dont le PDG est présenté sous les traits de Charlton Heston), qui le paie pour retrouver leur écrivain le plus rentable, Sutter Cane (Jürgen Prochnow). Auteur le plus lu de best-sellers, où le fantastique copule avec l'horreur.
Trent, à qui on ne la fait pas, est persuadé qu'il ne s'agit que d'un gros coup de pub pour booster le dernier roman dont les pré-commandes explosent déjà les statistiques les plus optimistes. Sans omettre un contrat déjà signé pour un prochain film et des traductions pour sa diffusion de par le monde. Même lorsqu'il apprend que celui qui, la veille, a failli le fendre d'un coup de hache avant d'être abattu, et l'agent de Cane, sont la même personne, il reste ancré à ses convictions. 

 
"Je n'suis pas foouu !!!"

   Trent
a peu de considération pour ces "horreurs bon marché", qu'il considère comme un sous genre pour lecteurs peu exigeants et à l'esprit tordu. De la littérature de gare. Toutefois, intrigué par l'engouement que l'auteur suscite - au point d'avoir un fan-club fidèle et idolâtre digne d'une rock-star -, il succombe à la curiosité et se plonge dans ses derniers écrits. C'est là que débute la longue et glissante descente vers la confusion, le doute et la crainte. Progressivement, le monde solide et rassurant qu'il s'était construit avec ses certitudes et sa suffisance, conforté par sa réussite, va doucement sombrer.


     Les prémices arrivent alors qu'il s'endort sur l'un des livres de Cane. Empêtré dans un cauchemar type "poupées russes" - un rêve dans un rêve et ainsi de suite -, il se réveille en sursaut, transpirant, un instant apeuré. Mauvaise influence de cette littérature sortie d'un cerveau malade. Il faut vraiment être tordu pour apprécier ce genre de truc.
Alors qu'il se remet difficilement de son pénible assoupissement, il remarque un détail sur les couvertures des livres. Fébrilement, il découpe les reliures et les assemblent ... le puzzle reconstitué forme une carte ; celle du New Hampshire. L'état servant de décor aux sombres histoires de Sutter Cane. Ce dernier a indiqué dans les dessins de ses oeuvres, qu'il a évidemment lui-même supervisés, le chemin menant là où il se terre. A Hobb's End, petite ville provinciale que l'on retrouve dans quelques uns de ses romans. En particulier dans le dernier à paraître, "Hobb's End Horror". Il y a juste un petit problème, cette ville est supposée fictive, fruit de l'imagination débordante de Cane.
Mais qu'importe, il faut prendre ce renseignement dissimulé au sérieux. Cane est un tordu malicieux et égocentrique qui a pris un malin plaisir à laisser des indices. Il veut qu'on le trouve.  Il est sûrement là-bas, hilare à l'idée du tour qu'il a joué.
Trent fait part de sa découverte au patron de la maison d'édition et, accompagné de la directrice d'édition Linda Styles (Julie Carmen), tous deux prennent la route. Le premier pour achever sa mission, et prouver par la même occasion que tout n'est qu'un vaste coup de pub, la seconde pour sommer - ou supplier Cane - de terminer son ouvrage.
"Avez-vous lu Sutter Cane ?"

     Au delà du simple divertissement, Carpenter dénonce en images l'engouement inconsidéré et incohérent que peut susciter un auteur connu auprès de foules affamées à l'idée d'une nouvelle oeuvre de leur idole (ce qui peut concerner un écrivain, un musicien ou un acteur). (on a le même cas de figure pour l'ouverture des soldes). Certains n'ayant aucun a priori à piétiner femme ou enfant pour accéder avant les autres à l'objet de leurs désirs. Comme s'il était question de vie ou de mort. Ne serait-ce pas déjà une forme de douce folie ?
Il pointe aussi du doigt que le mal, l'horreur fabulé dans un roman, n'est qu'un reflet exacerbé de la psyché de l'homme. Celle générée par la peur. Par la crainte de porter secours à autrui au risque de se retrouver exposé à la violence et à la souffrance ; la crainte d'être une proie, une victime ; la crainte de ne pas être assez fort.
Ou encore, il met l'accent sur la cupidité et la corruption généralisées, par l'intermédiaire de Trent qui présente une opinion désabusée et sans équivoque sur les gens. Pour résoudre une affaire  "Ce n'est pas compliqué, il suffit d'imaginer le pire et le tour est joué. Tout le monde essaie d'arnaquer son prochain. "
L'église de Hobb's End

     Évidemment, Sutter Cane est une référence ouverte à Stephen King ; même nombre de lettres, similitude phonétique et presque les mêmes initiales. Même engouement fiévreux de la part des lecteurs à l'affût de la moindre nouvelle édition. De plus, Cane utilise donc le New Hampshire pour y implanter ses histoires, tout comme King avec le Maine, (où il est né et où il habite la plupart du temps - sauf une partie de l'hiver -). Et les deux états sont limitrophes, partagent la forêt nationale de White Mountain, et sont en partie sous la même latitude. Ce sont les deux états qui "ferment" le territoire nord-est des USA.

     Cependant, lorsque le duo Trent-Styles atteint la petite ville "tranquille" de Hobb's End, c'est un univers irrévocablement Lovecraftien qui s'infiltre comme le salprête, ou autre moisissure, venant pourrir et ébranler les fondations. Et Providence n'est pas très éloignée de Hobb's End. La petite ville au demeurant calme et accueillante, renferme un mal sournois et antédiluvien. Hobb's End est devenu une porte devant permettre aux Grands Anciens, à des entités innommables, sournoises et malfaisantes, de venir souiller l'humanité. Mais déjà, leur seule proximité ébranle la santé mentale des humains, les contamine ; les enfants étant les premiers affectés les plus profondément touchés. Pour accentuer l'insécurité croissante, Carpenter situe l'épicentre dans l'église. Généralement lieu de recueillement, de communion et de sécurité - dans combien de films américains voit-on la population rescapée se réfugier dans une église ? -, ici, elle devient la demeure et le berceau du mal. Ainsi, dans une Amérique pieuse, c'est un sacrilège qui ne peut être perpétré que par une force démoniaque d'une puissance incroyable. Le sanctuaire souillé, annihilé, est un signe de la fin des temps. Le Mal ne cohabite plus avec Dieu, mais le remplace. Il n'y a plus d'espoir. Un détail cependant : l'église a quelque chose d'oriental, issu de la religion orthodoxe.

   Carpenter
reformule à sa manière le vieux mythe de la littérature donnant vie au réel, ou encore, à l'inverse, ce sont les auteurs qui ne sont que de simples récepteurs de faits issus de mondes parallèles - à la frontière mince et précaire - ou d'un temps oublié ou futur. Ou l'objet d'entités qui se servent d'eux pour transmettre des messages subliminaux afin de faire évoluer l'humanité ou, au contraire, de l'asservir en la faisant plonger dans la violence et la démence. Où se situent le rêve et la réalité ?


     Avec "L'Antre de la Folie", outre quelques maquillages de rigueur, parfois bien sobres, Carpenter fait peu appel aux effets spéciaux. Et lorsqu'ils sont sollicités, ce n'est que pour une brève apparition. Comme une hallucination passagère, faisant douter de soi-même. Il ne s'agit pas d'effrayer avec des images choquantes et repoussantes, mais plutôt de partager les sentiments contradictoires des acteurs. Et donc plus particulièrement de ceux de Trent, personnification même de la rationalité, nous amenant à partager sa lente descente dans les méandres d'une irréversible démence. D'insinuer graduellement un poisseux et débilitant malaise interne.
Comme toujours, le réalisateur américain a ce don pour saisir le spectateur sans avoir besoin de s'abaisser à la démesure, à l'outrance et l'hystérie. C'est pratiquement dans un calme olympien que ce déroule l'histoire. Un calme avant coureur d'une proche plongée dans l'indicible horreur. Finalement, les scènes de pures actions sont presque libératrices, délivrant d'une attente angoissante et stressante.

     Avec ce film, John Carpenter clôture sa trilogie apocalyptique. En fait, la genèse d'une apocalypse.
Tout en gardant indéniablement la marque "Carpenter", "L'Antre de la Folie" crée un univers - malsain - mélangeant ceux de Stephen King et de H.P. Lovecraft.
Comme d'habitude, ce film ne déroge pas de la quasi-tragique tradition de Carpenter ; à savoir être un échec commercial à sa sortie dans les salles (soit, en langage américain, un film qui ne rapporte pas au moins le double de l'investissement dans le mois suivant la sortie). Par contre, il prend assez rapidement sa revanche en remportant des distinctions, les louanges des critiques (sans faire l'unanimité pour autant), et surtout en devenant un film culte traversant les âges sans rien perdre de son jus, de sa saveur.






♰☠✙

2 commentaires:

  1. Un des films les plus originaux de Carpenter... Les adaptations de l'univers de Lovecraft (je pense avoir tout lu de cet auteur) sont souvent "nulasses", au mieux gores et poilantes (reanimator). Ici le bestiaire cher à l'écrivain un peu cinglé est intégré avec habileté.
    Sam Neil est formidable...

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    1. J'avais bien aimé le Re-Animator de Stuart Gordon. Dans le quartier, et dans celui d'à côté, c'était devenu un film culte incontournable. La cassette VHS passait de main en main.

      Effectivement, je ne parviens pas à me souvenir d'un autre bon film "réanimant" l'univers poisseux et malsain de Lovecraft. Pourtant, on retrouve l'impact de son oeuvre dans un nombre impressionnant de films, de livres et de B.D. Comme le premier Hellboy (le film). Mais l'auteur-dessinateur, Mike Mignola, a écrit clairement sur son premier comic qu'il rendait hommage - entre autres - à l'écrivain solitaire de Providence.
      Il a aussi un film où le héro n'est autre que H.P. Lovecraft, dans lequel il trouve le Nécronomicon. De mémoire, c'était sympathique, et gentillet.

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