- Bizarre
M'sieur Claude… Quand vous parlez des symphonies de Haydn, soit vous commentez
un ensemble soit vous écrivez une "brève" en été, et ici un article
complet…
- Inexact en
partie Sonia, la symphonie N°44 a été savoureusement détaillée… Et puis la
symphonie "les adieux" a une place à part dans l'histoire de la
musique…
- Ah bon, au
dos de la jaquette, je vois bien que le chef fait durer le plaisir pendant plus
d'une demi-heure, mais je pense que c'est une affaire de reprises… Non ?
- Oui tout à
fait, mais là n'est pas le plus rigolo. Pendant le final, lors de la création
en 1772, les musiciens sortirent un à un de la scène, laissant Haydn seul au
violon…
- Ah !?
Un mouvement social à cette époque ? Un gag connaissant le côté facétieux de
Joseph Haydn ?
- Oui, plutôt
un gag mais prévu dans la partition. Cela dit, le compositeur voulait aussi faire
passer un message à ses employeurs. Je vais vous raconter tout ça !
Nicolas 1er Esterházy (1714-1790) |
Dans l'absolu, on pourrait écrire un article
indépendant pour chacune des 104 symphonies que ce diable d'homme à la plume
alerte nous a léguées. Soit deux ans d'activité du Deblocnot pour votre Toon,
chaque samedi… Ça serait lassant 😕. Le
choix de cette 45ème
symphonie n'est pas dû au hasard, l'ouvrage est particulièrement
original sur le fond et une anecdote piquante lui a permis de recevoir son
surnom des
Adieux
en 1784 et non en 1772, date de sa création…
Il faut savoir qu'à l'époque, peu d'œuvres avaient
l'espoir d'accéder à la postérité. Haydn,
comme Mozart, compose rapidement,
des copistes préparent à la hâte les partitions des musiciens, on interprète un
soir pour égayer les princes et autres commanditaires "de la haute",
puis, parfois, on publie ou, plus souvent, on range les manuscrits dans un
tiroir… Et c'est un peu le cas de cette symphonie originale qui sera
redécouverte et jouée par Mendelssohn
qui, je l'ai souvent rappelé, avait déjà sauvé de l'enfer des bibliothèques les
chefs-d'œuvre de Bach.
Originale ? Oui ! En jouant les reprises, on découvre
un ouvrage plus expansif qu'à l'accoutumée : 34 minutes au lieu de 25. Le
mouvement lent est imposant et d'une grande profondeur psychologique, le final
se termine sur le tempo adagio et de plus Haydn
recourt à la tonalité très ambiguë de Fa # mineur (cas unique dans le
répertoire du siècle des lumières). Il parsème également ses portées de dissonances
et de syncopes et d'autres astuces solfégiques innovantes en termes de langage.
Par ailleurs, l'esprit de la symphonie l'inscrit-il dans le courant Sturm and drang (Tempête et passion), ce courant intellectuel
préfigurant le romantisme dans cette seconde moitié du XVIIIème
siècle ? Pour moi : oui ; même si les avis sont partagés. Les symphonies
44
et 49
"funèbre"
et "passionne"
en font partie comme la plupart de celles du groupe des opus de la série 40-49.
Et puis, plus concrètement, à l'écoute, nous sommes loin d'un simple divertissement
mais proche d'une musique riche d'émotions pour ne pas dire de réflexions.
En cette fin d'automne 1772, Haydn séjourne à Fertőd (frontière
hongroise) dans le palais d'été de son "protecteur", le prince
viennois Nicolas 1er
Esterházy. Le séjour s'éternise, les musiciens originaires de Vienne ou d'Eisenstadt
n'ont pas revu leurs familles depuis des mois. La situation est flatteuse pour Haydn mais celui-ci cherche un moyen de
mettre fin à cette saison musicale sans froisser son maître. Il innove en
remplaçant le final traditionnel par un mixte allegro-adagio. Lors de l'adagio,
un à un ou par petits groupes, les musiciens éteignent leurs chandelles et
quittent la scène sur la pointe des escarpins ! Haydn
finira seul les dernières mesures en tant que violon solo… Nicolas
1er Esterházy, amusé, comprend le message et libère les
musiciens. Et cette ingénieuse conclusion revendicative permet à la symphonie
d'entrer dans l'histoire…
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Salle de concert du palais Esterházy à Fertőd (classieux !) |
De nos jours, les instrumentistes s'interrompent sans
se déplacer, cela évite de gênants bruits de siège 😄. J'aurais aimé assister à cette soirée dans la
magnifique salle de concert du palais Esterházy
qui sert toujours… Il faut souligner que l'orchestre à l'époque n'est en aucun
cas une phalange de 100 musiciens ou plus comme celle qui se produit à la
Philharmonie de Paris. Une vingtaine de musiciens environ. L'orchestration est
très succincte :
2 hautbois, 1 basson, 2 cors, des cordes (les premiers
et seconds violons sont répartis en deux groupes dans le final). Les cors sont
de différentes tessitures (en la, en mi, en fa # ; à l'époque le changement se
faisait en ajoutant ou retirant des éléments de tuyaux).
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Nous écouterons aujourd'hui une interprétation due à Sir Charles Mackerras, un chef déjà écouté
lors d'une chronique consacrée à la Sinfonietta de Leoš Janáček
(Clic).
Ce maestro disparu en 2010 à 84 ans a bien servi le répertoire classique, de Gluck à Mozart
en passant par Haendel. N'attendez pas une
interprétation sur instruments d'époque. Le style se réfère déjà, et en accord
avec ce que j'écrivais plus haut, au balbutiement du romantisme. Attention pas
de Berliner au grand complet non plus mais un orchestre de chambre : Orchestra of
St. Luke's fondé en 1974 à New-York et dont Charles
Mackerras a assuré la direction de 1998 à 2001. Instruments
modernes donc, mais effectif léger, un ensemble similaire à l'Orpheus Chamber Orchestra souvent entendu
dans ce blog… Objectif commun : dégraisser l'interprétation de la musique du XVIIIème
siècle.
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Haydn en 1770 |
1 – Allegro
assai : Le thème principal est énoncé vigoureusement, tempétueux,
ce qui confirme l'esprit Sturm und Drang de cette symphonie. Sur des accords quasiment
martelés de l'orchestre au complet, les violons sont chargés de lancer ce thème
en arpège descendant répété staccato trois fois sur une tessiture large mais
en variant la hauteur de la note initiale. La mesure ¾ est inhabituelle dans le
début d'une symphonie. Un prélude véhément aux accents dramatiques. [0:12] Cette thématique initiale se prolonge par une volée d'accords en
trémolos qui accentuent le pathétisme qui sera la signature de cette allegro.
Avec une tonalité de fa # mineur, il ne fallait pas s'attendre à un
divertimento. [0:16] Le motif primordial est repris une fois pour débuter le
premier développement. Ce motif initial donc serpente dans tout l'allegro tel
un leitmotiv, une fuite éperdue en avant. Charles
Mackerras effectue toutes les reprises. La fougue de sa
direction évite le sentiment de répétition. Peu de chef respectent ces
reprises, limitant ainsi le mouvement à 5 minutes au lieu de 7-8. [3:00] Une seconde idée très opposée dans le style, presque galante, vient
interrompre la fougue plutôt brutale du propos. [3:56] Une courte variation
énigmatique s'insinuera après une énième reprise du motif principal. Tout l'art
de Haydn repose sur des "surprises" disséminées ainsi dans un mouvement
qui pourrait paraître pauvre au niveau thématique. Le compositeur comme Beethoven sait capter instantanément l'attention de
l'auditeur avec des moyens musicaux simples, des mélodies claires et franches,
mais travaillées avec fantaisie.
2 – Adagio : [7:08] Nouvelle
étonnement dans une symphonie de cette époque : un adagio de 13 minutes ! Un
risque important en ce siècle où le public s'ennuie assez vite. Il faudra
attendre la 3ème symphonie de Beethoven puis les romantiques pour
prendre un tel risque. Par ailleurs, Haydn après un allegro plutôt sombre recourt à une tonalité plus romantique : la
majeur et une mesure tout aussi insolite : 3/8 ! Plus concrètement, le
mouvement semble avoir été écrit pour le groupe des cordes. Les interventions
des hautbois et des cors (jamais le basson) sont isolées. La thématique
générale est celle d'une ballade, une petite marche. Haydn joue très peu sur la dynamique. [8:19] Émergence d'une mélodie moins scandée, plus poétique, légèrement crépusculaire
mais aucunement triste. Là encore, le maestro ne cherche pas à raccourcir le
temps, il laisse la musique se déployer avec douceur. On pense à une expression
concernant les développements assez expansifs de Schubert : "Les divines
longueurs". Cela dit, on pourra apprécier aussi un style plus pêchu… Une fois de
plus, Haydn ne cherche pas à briller par un excès d'inventivité mélodique. Les
variations de climat proviennent des écarts chromatiques, des changements de timbres et de rythmiques.
Une longue méditation… On imagine un galant faisant la cour à une jolie
hongroise… Parfois cela prend du temps😊.
Portrait de Charles MacKerras |
3 – Menuetto. Allegretto : [21:37] Le menuet est en fa # majeur avec la mesure traditionnelle à 3/4. Passage obligé dans toute symphonie classique, il n'est pas d'une
originalité folle… Le premier thème est allègre, un esprit dansant, une distraction
après le long adagio méditatif. Le flot mélodique est attachant, élégant. À
noter que dans son interprétation, Charles Mackerras maintient
un continuo de clavecin comme il était d'usage à l'époque. Le claveciniste
improvise en accompagnant les cordes graves. Il n'y a pas de portée dédiée sur
la Partition (Clic).
[23:15] le trio annoncé par les cors
prolonge le climat pastoral sans grande innovation.
4 – Presto – adagio : [23:15] le presto reprend la tonalité de fa # mineur initiale (c'est
logique) ; Haydn, pour l'adagio farfelu conclusif, a préféré les tonalités de la majeur
puis fa # majeur. Un thème alerte introduit le final. Là encore les cordes
dominent le discours vivifiant. Haydn regroupe sur la même portée la partie de violoncelle, contrebasse et
basson qui jouent à l'unisson. Nostalgie du continuo de l'époque baroque ? Le phrasé
se veut épique et allant. Cette introduction prend fin brutalement à [29:08] sur une pause en guise de point
d'orgue.
L'adagio de forme insolite qui a donné son
nom à la symphonie est le mouvement le plus concertant de l'œuvre. La petite harmonie
prend part de manière plus allègre à un passage d'imagination très fertile. [30:17]
Petit échange malicieux entre les hautbois et les cors. [31:40] Marche bonhomme
et accentuée des contrebasses. Et, comme prévu, les instruments prennent congé,
soit un à un, soit par groupes (les violons sont scindés en deux groupes par
pupitre). Je me suis amusé à noter, partition sous les yeux, le moment où les
musiciens s'évadent… Bien entendu, l'orchestration de cette époque n'est jamais
limpide, surtout au disque. Une fois de plus, on n'entend guère notre ami le
basson !
Début de l'adagio
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[29:11]
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Départs :
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Départs :
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|||
Hautbois I et cor II
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30:34
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Violoncelles
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32:33
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Basson
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31:04
|
Violons III et IV
|
32:46
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Hautbois II… puis :
|
31:40
|
Violons I et II
|
33:08
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Cor I (qui joue une note de plus😊)
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31:41
|
L'alto abandonne le violon solo
|
34:00
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Contrebasses
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32:13
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Le violon solo termine seul…
|
34:13
|
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La discographie est assez large pour les symphonies de
ce groupe. Pour les interprétations sur instruments modernes, la vitalité et
l'autorité d'Antal Dorati dans le cadre
de son intégrale reste un must. Le chef ne fait pas les reprises, l'ouvrage
gagne en concision et s'adresse donc à ceux qui voudraient découvrir la quintessence
de la symphonie. (Decca – 6/6 - 1971). Nota : l'intégrale est un gros
coffret de 33 CD, mais Decca a eu la bonne idée de publier un album comportant
une sélection de trois symphonies.
L'interprétation sur instruments d'époque nous a
apporté un rafraîchissement du son bienvenu, l'utilisation de cordes en boyaux
notamment. Christopher Hogwood et son orchestre
The Academy of Ancient Music (1996) reste "ma" référence
personnelle. La direction ciselée et articulée, les tempos rapides mais non
frénétiques, et le respect des reprises m'enchantent ! (Oiseau Lyre – 6/6). J'avoue, malgré la force minérale de la
conception de Charles Mackerras, j'ai un
faible pour cette version. Prise de son magique !
Autre bijou de l'interprétation de type baroque, Ton Koopman et l'Amsterdam
Baroque Orchestra. En 1984, le chef ne fait pas les reprises. La
vivacité du propos accentue le dramatisme de cette œuvre dans laquelle dominent
les modes mineurs. L'adagio très articulé, limité à 8 minutes, est un
enchantement (Apex – 6/6). Prise de
son sublime.
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Les fêtes approchent ! Donc cadeaux : deux vidéos : Charles Mackerras vs Christopher
Hogwood.
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