mercredi 19 décembre 2018

ASHBURY "Eye of the Stygian Witches" (septembre 2018), by Bruno


     Ouh, la bonne nouvelle que voilà !
     Des vieux briscards que l'on croyait à jamais disparus dans les limbes réapparaissent comme par magie, et délivrent par la même occasion un album authentique, imperméable à toutes formes de diktats commerciaux.
 Indiscutablement une des surprises les plus sympathiques de cette année.
   

   "Vieux briscards" parce que les origines du groupe remontent en l'an 1980, sous l'égide des frères Davis, qui ne parviennent finalement à ne sortir qu'un seul disque, auto-produit, en 1983.

     Parce qu'il n'a pas voulu se compromettre pour se fondre dans l'air du temps, Ashbury n'a pas trouvé son public. En dépit de l'engouement pour le métal lourd dans les années 80, la formation est restée sur la touche, pendant que tout autour d'eux, une multitude de groupes de chevelus, pas nécessairement talentueux, ont goûté au succès. 
L'illustration naïve de la pochette évoquant bien moins un groupe de Heavy-metal raffiné qu'un groupe de hippies de Rock-progressif débarqué des 60's n'a rien arrangé. De plus, en 1983, époque de l'explosion tous azimuts de branches heavy-metal des plus extrêmes, le groupe a dû en dérouter plus d'un avec sa mixture de Rock-progressif et d'un Southern-rock à la croisée d'un Molly Hatchet et d'un Outlaws. Les diverses introductions en acoustique n'ont pas dû arranger l'affaire en trompant les auditeurs sur la teneur réelle de la galette.

       Cependant, par la suite, alors que groupe a disparu des écrans radars, leur réalisation, "Endless Skies", est devenu un objet de culte. Un objet rare avidement recherché par les collectionneurs et tout amateur de Heavy-rock 70's ; nombreux sont ceux qui le considère comme une pièce maîtresse.
   "Endless Skies" est ce genre de disque qui fait voyager, qui emporte l'auditeur dans des mondes parallèles. De ceux qui font le lien entre l'imaginaire de l'heroïc-fantasy, les contes et légendes, et les grandes messes d'un Rock porté par des guitares chevaleresques et des chants de paladins. Un disque où les morceaux prennent leur temps pour s'épanouir, pour peindre sur une large toile leur histoire colorée.

       Plus de vingt ans plus tard, en 2004, les frères Davis resurgissent avec un nouveau disque, "Something Funny Going On", comme si le temps n'existait pas, ou comme s'ils avaient été ramenés à la vie après une hibernation de deux décennies. On discerne bien un brin de modernité dans la tonalité avec quelques nappes de claviers qui se sont immiscées. Une tonalité proche de celles qu'apprécient, et abusent, Don Airey depuis ... les années 80. Une toile de fond qui donne parfois un bien dispensable petit aspect kitsch. Certaines pièces, plus mélodiques, auraient pu être co-écrite avec Barry Goudreau (Boston, Orion the Hunter, RTZ, Delp & Goudreau, Ernie & the Automatics, Barry Goudreau's Engine Room ⇠lien).
 

   Avec cet inespéré nouvel album, les frangins demeurent imperméables à toutes les métamorphoses musicales 
- évolutives comme dégénératives - des trente dernières années. A l'exception donc de quelques touches de claviers, ô combien plus discrètes que sur le disque précédents, ils n'ont guère dévié de leur chemin. 
   La facette sudiste est désormais ténue, à peine discernable. Avant de retrouver son jeune frère et de composer avec lui, l'aîné, Randy, s'était forgé à la scène en tant que lead-guitar au sein de combos de formations de southern-rock (Geronimo). On retrouve donc encore cette sensibilité sur "Good Guitar". Toutefois, dans une démarche qui s'inscrit dans la période où une large majorité de formations de rock-sudiste commençaient à tourner la tête vers ce qui pouvait intéresser les radios. Aujourd'hui, cette pièce est en décalage ; presque incongrue, perdue au milieu d'une atmosphère générale qui s'est plus ouvertement tournée vers une forme de Rock-progressif aux intonations médiévales.
Au point où les origines de la fratrie - située en Oklahoma - semblent étouffées, reniée. On pourrait aisément croire le groupe issu de la scène Anglaise du début des années 70. Pour faire un bref et un rapide parallèle, on pourrait considérer Ashbury comme le fils bâtard de Jethro Tull et de Wishbone Ash.

       Pour le premier, la référence saute aux esgourdes dès le premier verset de "End Of All Time" tant la voix posée de Rob évoque celle d'un jeune Ian Anderson. Moins nerveuse et sautillante toutefois que ne l'était celle du troubadour à l'époque de l'exceptionnel "Aqualung", cependant il y a ce style un peu traînard, sûr et ferme mais avec une "aristocratique retenue". Comme la réincarnation d'un ménestrel revenu conter la quête d'un preux chevalier, ou les déboires de nobles paysans.
Néanmoins, la filiation s'estompe dès que le frangin le rejoint au micro. Plus aller plus loin, on retrouve aussi, dans la tessiture de la voix, du Frank Marino - lorsque ce dernier n'est pas trop expansif -.

     Si cette sensation d'atmosphère peu ou prou médiévale et/ou d'heroïc-fantasy demeure, parfois accentuée au point où le groupe pourrait taper le boeuf avec Blackmore's Night, le lexique est loin de se résumer au monde des mages et de preux chevaliers ; c'est même une minorité. Et aujourd'hui, seule la chanson éponyme donne vie aux sorcières et autres guerriers égarés.
 

   Des éléments d'inspirations celtiques font désormais partie intégrante du registre. Évident avec l'équivoque instrumental "Celtic Cross", mais également sur les introductions de "Waited So Long", "Out Of Blue", "Eye Of The Stygian Withces" et "All Memories". Ce dernier morceau, qui a bien quelques brin d'airs de "Johnny Boy" (de Gary Moore), est dédicacé à Mark Shelton, leur ami proche, guitariste de Manilla Road (quasi mythique groupe de Heavy-Metal undeground et un des premiers à avoir puisé dans l'heroïc-fantasy et la mythologie pour ses textes), décédé le 27 juillet dernier.


       Il est surprenant que le temps n'ait pas eu d'effet sur la voix des frères Davis. Alors bien sûr, jamais Rob ne cherche à faire des vocalismes ou à jouer au hurleur possédé, mais cela n'a jamais été son cas. Son credo c'est de trouver le chant juste et adéquate. Surprenant aussi parce que, en opposition avec les rides qu'affiche leur visage, trahissant l'impitoyable morsure du temps, le chant a gagné en assurance et en lyrisme. Il a mûri, gagné en assurance et en présence. C'est indéniable sur "Summer Fades Away" où la voix n'a pas d'autres soutiens qu'une guitare acoustique doublée et d'une basse. Dans cet apparat sonore, aussi mince qu'un filet de toile arachnéen, Rob Davis n'en paraît que plus digne et maître de ses aptitudes. Loin des performances dont se délectent les hurleurs voués à la cause métôl, il se contente d'un chant plutôt posé, à la limite de la mélancolie. Quelque fois, elle se montre autoritaire et solennelle - proche du farfadet Ian Anderson -, comme sur l'envoûtant "Eye of the Stygian Witches".

       Pour pinailler, les esthètes de martèlements divers pourront trouver à redire car la batterie semble avoir été quelque peu délaissée lors du mixage définitif. Les cymbales sont assez écrasées et la caisse claire étouffée, laissant la place aux toms et à la grosse caisse. En conséquence, une écoute discrète pourrait presque faire croire à l'utilsation d'une boîte-à-rythmes (particulièrement marqué sur "Faceless Waters"). 
Pourtant, ce n'est pas le cas sur "Searchin'" - un des titres les plus mélodiques, au doux refrain pratiquement californien -, même lorsque la musique s'accélère légèrement pour dérouler le tapis rouge à la Vintage VT100 Lemon Drop de Randy qui se lance alors dans une calvacade dans les bois (de Brocéliande). Ou encore sur le titre éponyme où l'on entend bien résonner les cymbales, donnant alors de la substance et de l'entrain. 
   

   Bien que généralement Ashbury soit affilié au genre Heavy-metal, participant d'ailleurs régulièrement à des festivals dédiés, européens comme américains, et tournant avec des barbares qui ont troqué leur labrys contre une guitare pour chanter la gloire d'antiques dieux du fer et du sang, on ne peut le considérer comme un pur groupe de cet idiome.

En tout cas bien peu de rapports avec les groupes que l'on réfère au genre aujourd'hui.
A proprement parler, il s'agirait d'une symbiose de rock-progressif à la Jethro Tull, du Heavy-metal épique à l'ancienne tel un Rainbow ère Dio, d'un lyrisme gothique à la Wishbone Ash première mouture avec en sus des parfums chères à Ken Hensley. Et d'un autre groupe infortuné, devenu culte et ayant également repris du service au XXIème siècle, Winterhawk.
Un disque qui risque de laisser dubitatif le petit monde actuel des métallovores, mais qui devrait ravir les amateurs d'antique Rock-progressif et de Heavy-rock millésimé 70 de la branche des Gravy-Train, Uriah-Heep et Wishbone Ash.






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3 commentaires:

  1. Mais c 'est excellent ça l'ami! Connaissais pas du tout ce groupe , il est vrai que le prog et le metal .....pas trop pour moi! Mais là on a un mix des plus intéressant ; Du Jethro tull effectivement mais aussi je trouve un zeste de southern-rock de temps en temps. Suis allé écouter des extraits de "Endless Skies" superbe! Trouvable sur la plateforme Discogs à prix raisonnable. Ma CB ne te dis pas merci , mais moi si !!!!! Amicalement.

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    1. Yo, JP. Pour info, la couleur "southern" est nettement plus évidente sur "Endless Skies". Ce qui en fait un mix étonnant - mais intéressant - entre rock-progressif anglais du début des 70's et le southern-rock.
      Cependant, leur dernier opus me semble le plus accompli. Il y a quelques mélodies qui s'incrustent dans la boîte crânienne.
      Bonnes fêtes JP.

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  2. J'ai les deux Ashbury et ça tourne inlassablement depuis deux jours......superbe et encore merci pour cette belle découverte! La couleur southern rock est effectivement présente sur le premier disque mais aussi sur le dernier , ne serait ce que sur "Eyes of Stygian Witches" , les chorus semblent tout droit sortis des grandes heures d'Outlaws , et je parle pas des deux premiers titres du disque . Une superbe façon de terminer l'année .

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