Trevanian |
Si vous m’avez
fait l’amitié de lire SHIBUMI comme je le recommandais - clic vers Shibumi - et je ne vous
cache pas que le contraire me vexerait un peu, et si vous avez apprécié, et je
ne vous cacherai pas non plus que le contraire… alors découvrez THE MAIN, l’autre
nom du boulevard Saint Laurent à Montréal, repère des toxicos, maquereaux,
escrocs en tous genres. Un territoire qu’arpente depuis 30 ans le lieutenant
Claude Lapointe, de la police. Une légende urbaine, ce Lapointe, et un cas.
Le "Main" à Montréal |
Il a quand même
des amis, trois vieux avec qui il joue aux cartes le jeudi soir : le Père
Martin, un curé, et deux vieux juifs, David et Mosche. Ca joue et ça discute
philosophie. Dès le deuxième chapitre, on suit une soirée. On se dit : ouh
la, une digression qui va prendre du temps, sautons quelques pages ! Mais
non, c’est le style Trevanian. Surprendre, casser le rythme. Dans ce chapitre
il est question de notion de crime et de pêcher, on en discute, surtout avec un
flic à sa table. Mais Lapointe n’est pas disert.
Un crime, il
va y en avoir un. Un type retrouvé poignardé, à genoux, les bras en croix. Un
italien, d’après la marque de ses vêtements. Claude Lapointe reprend l’enquête
à son compte, avec le jeune Guttmann comme observateur. Il sort de l’université,
il est lettré, être flic pour lui c’est faire respecter la loi. Pour Lapointe, c’est
faire respecter l’ordre. Nuance. Lapointe serait-il fasciste ? Il ne s’était
jamais posé la question…
Une enquête c’est
ouvrir une porte, voir ce qu’il y a derrière, espérant trouver une nouvelle
porte, qui donnera accès à une autre, etc… Jusqu’au jour où aucune porte ne s’ouvre
et l’enquête est close. On recherche un clodo qui a vraisemblablement fait les
poches du cadavre. Si on le trouve lui, on trouvera le portefeuille. Donc l’identité
de la victime. Donc une adresse, des voisins, un métier… Plein de petites
portes. L’enquête est minutieuse, à chaque rencontre des personnages croqués en
quelques lignes, le quotidien, les petites misères. Comme cette ex-pute qui
prostitue sa gamine trisomique, faut bien vivre, et comme la p’tite ne se
plaint pas, pourquoi se gêner ? Ou cette directrice d’école de langues, Mademoiselle Montjean, trop
belle et désirable pour être parfaitement honnête.
Chez lui,
Lapointe n’a que quelques bouquins. Les œuvres complètes d’Emile Zola, qu’il
relit inlassablement, mouvement perpétuel. Ca donne le ton, on est plus proche
de Zola ou Simenon que de Chandler ou James Ellroy. Chez lui, Lapointe va aussi
ramener une fille : Marie Louise. Jeune tapineuse laide et boiteuse, amochée,
qu’il abrite pour une nuit, puis deux. Une vraie belle relation s’instaure, et
la fille sera décrite au fur et à mesure comme finalement moins moche. Ou alors
on s’habitue. Y’a de très belles scènes avec elle, comme cette soirée enivrée
par l’Ouzo, et leur cohabitation forcée. Et puis on a aussi le légiste, le
docteur Bouvier, un autre personnage celui-là ! Au courant de tout ce qui
se passe, avant même que ça n’arrive !
Si on attend
de connaitre le coupable et l’issue de l’enquête (surprenante), THE MAIN est
avant tout un roman d’atmosphère, polar nocturne, description d’un quartier-poubelle
de Montréal où s’entasse et cohabite les rebuts de l’humanité. J’aime beaucoup
de style de cet auteur, qui se démarque, prend son temps sans ennuyer, simple, érudit,
ironique, et fin dialoguiste. Et puis un écrivain américain dont le héros
détecte chez un personnage, un accent français qui vient de Touraine, ça ne
court pas les rues !
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