vendredi 10 novembre 2017

SHIBUMI de Trevanian (1979) par Luc B.


Voilà un roman épatant, signé d’un certain Trevanian. De son vrai nom Rodney William Whitaker, on sait peu de choses de lui, qu’il est né en 1942, mort en 2005, et qu’entre les deux il a écrit une poignée de romans. Il publie son premier en 1970, LA SANCTION (adapté au cinoche par Clint Eastwood en 75) dont le héros est un tueur, alpiniste, irritant et snobinard, Jonathan Hemlock, personnage qui reviendra dans L’EXPERT, l’année suivante.
Rodney William Whitaker a vécu en France, au Pays Basque, et c’est là qu’il place une partie de l’action de SHIBUMI, paru en 1979, son plus gros succès. Il y est question une fois de plus de montagne, de spéléologie, de tueur, d’espions, de surhomme… En la personne de Nicholaï Hel, tueur redoutable, capable de vous décimer une garnison avec un simple bâton d’esquimau.
Le roman commence dans les locaux de la Mother Company, cryto-filiale de la CIA. Son chef, Diamond, et son équipe du Moyen Orient, regardent un film réalisé à l’aéroport de Rome. Une tentative de la CIA d’intercepter des tueurs israéliens chargés d’éliminer des terroristes de Septembre Noir, le groupuscule palestinien responsable du massacre des jeux de 72 à Munich. L’opération a viré au fiasco. Diamond fulmine. Hannah Stern sort vivante du carnage, et tout porte à croire qu’elle a rejoint la France, le Pays Basque, Etchebar, où habite reclus depuis 10 ans Nicholaï Hel. Diamond en a des sueurs froides… Qui est ce mystérieux Hel (qui ne s'écrit comme hell...) ?     
Un jeu de construction intéressant va nous faire découvrir ce que trafiquent Diamond, la Mother Company, les dirigeants de l’OPEP, le parcours de Nicholaï Hel, élevé à Shanghai puis au Japon par une mère aristocrate en toc. Un gamin d’une suprême intelligence, qui apprendra de ses maitres l’art du Shibumi, le jeu de go, et développera une philosophie de vie d’ascète épicurien (sic) et des pouvoirs extra sensoriels (le don de proximité lui permet de repérer autour de lui intrus, guetteurs, tireurs embusqués. Exemple génial : son visage est toujours flou sur les photos, car Hel sent la présence du photographe, dans une foule, et détourne la tête au moment du déclic !). Des qualités qu'il met à profit pour gagner sa vie : c'est un tueur professionnel. A ce propos, une note étonnante du traducteur nous explique que les méthodes de Nicholaï Hel ne seront pas décrites dans le livre, censurées, pour ne pas servir d’exemple aux lecteurs !
On suit Nikko, sa jeunesse, son apprentissage, dans un Japon défait en 1945, sa liaison avec le colonel Ishigawa, son père de substitution, son entrée dans le petit monde du renseignement américain, comme multi-traducteur, ses trois années d'emprisonnement. Présent et passé se rejoignent, la chronologie peut revenir linéaire, une fois tous les éléments exposés. Ça se lit comme du petit lait, très bien écrit, fluide, de belles scènes de suspense, et des dialogues aux petits oignons. Et surtout l’émergence d’un personnage étonnant, à la pensée complexe, doublée une charge hallucinante contre les Etats Unis en particulier, sa politique, son hégémonie, et le monde occidental en général. Et sous-jacent, un discours écologique qui 40 ans après reste d’actualité.
la vallée d'Etchebar
Nicholaï Hel a toutes les raisons de détester ce monde, de vouloir le détruire, et il en a les capacités. Il a accès à des renseignements ultra-secrets (dans ce roman, tout est "ultra" !) d’un énigmatique monsieur Gnome, qui pourrait faire s’écrouler l’Amérique et sa démocratie vérolée. SHIBUMI s’apparente au récit d’espionnage, mais fait remarquable, les scènes d’actions sont presque secondaires, rapidement brossées, comme hors-champ, l’impact n'en est que plus fort. L’auteur dresse deux camps irréconciliables, tout l’enjeu sera de savoir quand et où aura lieu l’affrontement.
On suit encore Hel dans son petit village des Pyrénées, et là encore la vision des autochtones ne fait pas dans la nuance !  L’auteur en profite pour nous parler de sa passion de la montagne, de la spéléo, avec notamment une longue séquence sous terre - dans mon édition de la page 266 à 324 - qu'on peut aisément lire en diagonale… On vit avec Hel dans son château, sa contemplation de la nature, de son jardin, ses rapports avec sa compagne Hana, une courtisane (et leurs prouesses sexuelles) avec son copain Benat le Cagot, et Pierre le jardinier. Un bel équilibre remis en question par Diamond et ses sbires.
Je ne développe pas plus l’intrigue, à vous de la découvrir, il se passe beaucoup de choses, le roman est riche en rebondissements, de rencontres sous haute tension, de jeux de masques, ça culmine avec une scène dans le Concorde dont aurait rêvé pas mal de scénaristes.
Il y a peu de chance que vous décrochiez du bouquin, pourtant pas d’effet à la noix comme dans les thrillers contemporains, juste un héros intriguant, doué, hautain, froid, misanthrope, jeté dans un récit d’aventures qui fourmille d’idées et de dialogues aiguisés, acerbes, des personnages truculents, subtils, ou d’une stupidité qui confine à la grossièreté.
Éditions Gallmeister, Totem Noir, 513 pages  

        

4 commentaires:

  1. Bonsoir Luc,
    Voilà un roman qu'une amie m'a offert car on le lui avait conseillé. j'étais enthousiaste en entamant ce roman. Plutôt intéressant dans le premier tiers où nous est raconté l'enfance et l'initiation du héros notamment lors de l'invasion japonaise. Par par la suite, l'ennui nous gagne surtout lors des digressions spéléologiques. C'est long comme un jour sans pain avec des méchants typiques. Des personnages plutôt caricaturaux manquant de subtilités entre le héros froid, infaillible sans pitié et bête de sexe, son truculent compagnon d'aventures charmeur et un brin macho et les méchants à la solde de la CIA, agence sans scrupules qui ourdit dans l'ombre. Bref, sans déconner, j'ai eu parfois l'impression de lire du Gérard de Villiers avec son S.A.S. (Ben ouais le Prince Malko obsédé sexuel et son château autricihien)

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  2. Malko ? Je n'y avais pas pensé... Mais Hel a tout de même une philosophie de vie différente...

    Je suis d'accord avec certaines baisses de rythme, lorsqu'on revient à la chronologie présente. Long ? Oui, sur les pages que j'ai mentionnées, la descente sous terre. Mais sur l'ensemble du récit, sa construction, et sur la personnalité du héros, il me semble qu'on a affaire à un livre qui change du tout venant, qui titille les papilles !

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  3. Bonjour,
    Je suis un peu du même avis que Unknow. J'ai trouvé la première partie très intéressante la suite beaucoup moins. Le héros sorte de croisements entre l'inspecteur Harry, Indiana Jones, Rambo et moi même (sur ce dernier point c'est sur ces prestations sexuelles..ah, ah) n'est guère crédible tout comme les autres personnages que ce soient les habitants du pays basque ou les très méchants vautours made in USA. Bref un bouquin qu'on peut arrêter à la 200ème page, ce qui finalement n'est pas si mal.

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  4. Arrfff... Guy, t'es dur... arrêtez au milieu, sans connaitre la fin ?
    On attend un manuscrit sur tes prouesses sexuelles (avec le coup du rasoir ?) et je le commenterai volontiers !!!

    PS : je pense que l'auteur aurait vraiment pas apprécié l'allusion à Harry, Jones ou Rambo, c'est au contraire tout ce qu'il dénonce...

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