samedi 10 novembre 2018

MENDELSSOHN - Symphonie N°5 "Réformation" - Lorin MAAZEL (1961) - Par Claude Toon



- Mais M'sieur Claude, j'ai déjà vu cette jaquette dans le blog, vous êtes certain de ne pas avoir déjà commenté ce disque ?
- Bonne mémoire Sonia, déjà vue dans la discographie alternative de la symphonie de Franck. Cela dit, je gère mes publications sérieusement mon petit, pas de radotage…
- Désolée, mais il me semblait bien. Vous avez déjà parlé des symphonies Écossaise et Italienne, les 3 et 4 de Mendelssohn. Pourquoi "Réformation"… ?
- L'histoire de cette symphonie, que Mendelssohn voyait comme un témoignage de sa conversion au protestantisme, est assez singulière car elle a failli finir à la corbeille…
- Drôle d'idée, je trouve cette musique vigoureuse et colorée mais sans lourdeur… Un disque un peu ancien, un choix délibéré ?
- Malgré le côté un peu liturgique de l'ouvrage dans le final, le chef Lorin Maazel redonne des couleurs franches et propose une vision sans pathos. J'aime cette approche…

Mendelssohn vers 1830 peint par Wilhelm Hensel
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Il y a quelques semaines, nous évoquions les incroyables péripéties dans la genèse de la 3ème symphonie de Bruckner que personne à l'époque ne voulait jouer de par ses difficultés techniques et l'attention soutenue exigée de la part de l'auditoire. L'aventure parfois douloureuse d'une œuvre et d'un créateur.
L'affaire est un peu similaire pour cette symphonie N°5 dite "Réformation" et c'est une exception pour Mendelssohn à qui tout réussissait depuis l'adolescence. Je ne reviens pas en détail sur la biographie du compositeur né dans une famille de banquiers juifs fortunés et qui a su très tôt déceler le talent du garçon. Le jeune Félix composera vers 12-15 ans son premier opéra et une douzaine de symphonies pour cordes bien écrites et diablement pimpantes ! (Clic)
Le grand-père de Felix, Moses, rabbin influent avait obtenu du régime monarchique allemand des droits civiques pour sa famille, notamment l'accès aux mariages mixtes avec des membres de familles de financiers. Son père, Abraham, conduira sa famille à la conversion au protestantisme d'obédience luthérienne en 1812. Sa sœur Fanny se révélera aussi une musicienne précoce et les liens entre le frère et la sœur seront si forts que la disparition prématurée de la jeune femme est l'une des causes avancées expliquant la mort l'année suivante de Mendelssohn, le chagrin ayant ruiné sa santé !
Felix sera baptisé par un pasteur mais ne recevra aucune éducation religieuse déterminée. Dans une Allemagne chrétienne et une famille proche de l’Église réformée, rien de surprenant que ce diable d'homme se soit intéressé de près aux œuvres de Bach de l'époque de Leipzig et ait ainsi ressuscité les grandes passions, oratorios majeurs de l'histoire de la musique occidentale quasiment tombés dans l'oubli à l'époque classique et en ce début de l'époque romantique. Seuls ses travaux sur le contrepoint avaient traversé le siècle des lumières…
La classification des symphonies de Mendelssohn n'a pas de sens. En considérant les dates d'achèvement des partitions l'ordre correct serait : 1, 5, 4, 2, et 3 en dernier… La 3ème de 1842 dite "écossaise" montre à l'évidence par ses proportions et son inventivité à quelle maîtrise le compositeur est parvenu. Quant à la 2ème de 1840 sous-titrée "Chant de louange", elle échappe au style habituel de la symphonie pour se rapprocher de la 9ème de Beethoven. Le long et dernier mouvement adopte le style cantate avec solistes et chœur et comporte dix parties chantées.
On a souvent lu dans ces pages que les compositeurs qui ont suivi l'âge d'or symphonique beethovénien souffraient de timidité au moment d'aborder le genre. Cela perdurera jusqu'à Brahms… Les meilleurs crus sont souvent des œuvres à programme. Mendelssohn s'inspire de ses voyages et insuffle quelques thèmes folkloriques dans sa musique tandis que Schumann songe au printemps ou aux paysages rhénans. La 5ème de Mendelssohn répondra à des préoccupations mystiques…
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Serpent
Le 25 juin 1830 doit être fêté le tricentenaire de la Confession d'Augsbourg. Je rafraîchis mes connaissances historiques et peut-être aussi les vôtres : la  Confession d'Augsbourg est un texte rédigé en 1530 par des protestants, des théologiens luthériens et quelques princes sympathisants de la réforme. Ce texte fondateur doit permettre d'établir une concorde entre protestants et catholiques du Saint-Empire. Ces derniers ne veulent rien entendre et, comme en France, la guerre de religion va perdurer jusqu'en 1555 jusqu'à la signature du compromis nommé Paix d'Augsbourg. À chaque prince, sa religion ; un petit air de l'Édit de Nantes version teutonne… Calme bien provisoire qui conduira en 1618 à la guerre de trente ans… L'Empire sera en ruine et Louis XIV, grand gagnant, se frottera les mains
Le sujet semblait inspirer Mendelssohn ; on peut ressentir une réflexion théologique assumée en écoutant la conclusion en forme de Choral typiquement luthérien par son austérité.
La partition est achevée fin mai. Ce n'est pas une commande destinée aux commémorations. Mendelssohn ne la fait pas exécuter ! Les raisons en sont mal connues. Le compositeur était-il déçu de sa partition ? La trouvait-il hors sujet car trop symphonique dans le sens classique, peu religieuse ? Il pense un temps la détruire comme, on le suppose, deux autres symphonies écrites peu de temps avant. Des retouches sont apportées en 1832 pour une création qui n'aura lieu à Berlin qu'en novembre de la même année. Une belle symphonie pourtant ; elle ne sera publiée qu'en 1868.
L'orchestration est imposante pour l'époque : 2/2/2/2, 1 contrebasson, 1 serpent*, 2 cors, 2 trompettes et 3 trombones, les cordes.
* Non Sonia, descendez de mon bureau. Ce serpent-là est un instrument en bois recouvert de cuir. Inventé à la fin de la renaissance, il était surtout utilisé dans les offices. Sa sonorité est un peu lugubre. Berlioz l'utilise (quand un orchestre en possède un) pour caricaturer le Dies Irae dans le sabbat de sa symphonie fantastique… Boooouuuu  !
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Nous écoutons une interprétation passionnante de la Philharmonie de Berlin dirigée par Lorin Maazel bien connu des mélomanes. Voir le RIP qui lui a été consacré lors de sa disparition en 2014  (Clic).
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La confession d'Augsbourg
1 - Andante – Allegro con Fuoco – Andante – meno Allegro : Il aurait été dommage que Mendelssohn condamne à l'autodafé sa composition. La richesse thématique de l'introduction du premier mouvement est exceptionnelle. Un premier motif aux cordes graves et au basson s'élance tel un hymne. [0:23] Un noble petit choral des bois de l'harmonie succède au premier motif. Ce thème est un héritage de l'époque ou Haydn et Mozart se passionnaient pour le mouvement littéraire "Sturm und drang" (Tempête et passion), un goût pour le sens du drame qui préfigure le romantisme. Ce second motif porte le surnom de "Jupiter". Le compositeur développe ces idées, alternant dialogue de bois et de cuivres. Une austérité très religieuse. [2:30] Très doucement une nouvelle citation très méditative, presque astrale, surgit aux cordes seules.
J'avais dès la première écoute, il y a un bail, le sentiment d'entendre pp ce même chant mystique dans l'ouverture de Parsifal de Wagner, à la note près, sachant pourtant que le compositeur d'opéras n'était pas vraiment enclin au plagiat. Travailler au blog m'a donné raison ! Renseignement pris, ce bel arpège est une séquence traditionnelle de deux mesures dans le chant religieux allemand et porte le nom de "Amen de Dresde"… Ne doutons plus des intentions religieuses de Mendelssohn dans sa symphonie. Les groupes d'accords de cuivres ff qui précèdent chacune des deux séquences ne font qu'accentuer le climat liturgique de cette introduction…
[3:20] L'allegro commence tambour battant, énergique, plutôt sturm que drang… Mendelssohn modèle avec fougue cette musique glorieuse. De nombreux intermèdes, de nouveaux thèmes vont apparaître dans cette chevauchée symphonique. Bien entendu, le compositeur s'adapte à la forme sonate mais avec habilité. La résurgence des nombreux motifs déjà présentés ne laisse aucune place à un discours confus. Une musique trépidante et martiale qui bouscule l'auditoire. [8:00] le motif "Amen de Dresde" fait son retour pour annoncer un passage plus méditatif qui conduira à la coda.  

Manuscrit du texte de la Confession
2 - Allegro vivace : Le second mouvement est un scherzo placé après le grand allegro introductif, à la manière de la 9ème symphonie de Beethoven. Il est court, de forme ABA avec une coda. Il contraste par son accent pastoral avec le noble et mystique climat de l'allegro. Une danse joyeuse des bois énonce un premier thème alerte. Il est repris avec alacrité par les cordes. Lorin Maazel évite la précipitation que l'on attend d'un morceau noté vivace. Il en ressort une gaité simple et bonne enfant. [2:01] Le trio fait songer à un chant campagnard, à une fête printanière. Par le style, on peut supposer que Mendelssohn met en scène les personnages d'un village qui par leur enthousiasme rendent grâce au créateur ; hymne paysan déjà rencontré dans le final de la 6ème symphonie de Beethoven, la "pastorale". Dialogue des bois, trilles des flûtes et pizzicati enchantent cette liesse populaire. [3:40] Reprise da capo avec une petite coda taquine.

3 – Andante : le mouvement lent d'une symphonie est souvent de même proportion que celui qui commence l'œuvre ou la conclut. Ici, étrangement il ne dure que trois minutes, deux de moins que le scherzo ! Mendelssohn n'a en aucun cas voulu ajouter un grand moment de gravité et de spiritualité à sa symphonie. N'oublions pas que le principe de départ était un ouvrage destiné à des réjouissances. Seule la tonalité mineure suggère le recueillement. Une belle mélodie se développe aux cordes avec un staccato, un halètement aux altos et cordes basses. Il semblerait que dans la première mouture mise de côté, cet andante ait été deux fois plus long, mais que Mendelssohn l'aurait réduit à un simple intermède de prière avant le choral final. [2:27] Une petite coda termine de manière assez sévère le mouvement en citant un thème de l'allegro.

4 - Choral "Ein feste Burg ist unser Gott". Andante con moto – Allegro vivace – Allegro maestoso : ("Notre Dieu est une puissante forteresse") : Le final commence par un prélude crescendo majestueux bien dans le style hautain des musiques luthériennes. [1:30] Le choral respire l'autorité divine, celle qui juge et qui protège comme l'indique le verset ajouté aux indications de tempo. La construction est assez sophistiquée : variations, fugue, etc. L'habileté du chef nous affranchit d'un discours grandiloquent. Pas de pathos mais une lecture aérée, vigoureuse et plutôt réjouissante. Certes les passages de cuivres de la partition sont là pour exalter la gloire du Divin. Mais dans cette interprétation, ce final semble court et cela montre le sens du détail maîtrisé par le chef…
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La discographie est bien évidement pléthorique. Je fais l'impasse sur les intégrales pour mentionner quelques gravures isolées offrant diverses façon de concevoir l'interprétation d'une symphonie qui flirte avec la cantate sans paroles ; pour rebondir sur le titre des cahiers de mélodies sans paroles, des lieder sans texte ni chanteur conçus pour piano seul (Clic). Par ailleurs le couplage avec la symphonie de Franck, pertinent, peut ne pas attirer des mélomanes qui possèdent déjà 18 versions de cette œuvre.
Paul Paray avec son orchestre de Détroit aimait diriger avec folie la musique romantique. Sa symphonie fantastique de Berlioz est la plus barrée qui soit et donc totalement culte… On retrouve cette fantasmagorie quasi extravagante dans un enregistrement Mercury en mono assez claire de la 5ème symphonie de Mendelssohn. C'est bien l'œuvre d'un homme jeune, déjà adulé et auteur d'un octuor échevelé. Une curiosité hors des sentiers battus (Mercury - 4/6)
Claudio Abbado a toujours eu une affinité marquée pour Mendelssohn. Il enregistra plusieurs fois les symphonies à programme. Avec l'Orchestre symphonique de Londres, on appréciera la finesse du trait qui rappelle que l'ouvrage date du début du XIXème siècle et non de l'époque des monuments brucknériens (DG – 5/6). Les tempos sont retenus, témoignant d'un souci de religiosité, mais sans emphase.  La prise de son est exemplaire.
Même programme avec John Eliot Gardiner qui fait ici une infidélité à son Orchestre révolutionnaire et romantique pour la mythique Philharmonie de Vienne. À l'inverse d'Abbado, le chef est connu pour ses tempos vif-argent. Originalité du disque : propose les deux éditions de la symphonie "Italienne". On biche comme toujours à écouter le soyeux des cordes et les cuivres étincelants de Vienne (DG – 5/6).

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