mercredi 21 novembre 2018

GRETA VAN FLEET "Anthem of the Peaceful Army" (octobre 2018), by Bruno



       Que doit-on penser de ces garnements ? Devrait-on les mener à l'échafaud pour avoir osé toucher le fruit d'un des dieux du Heavy-rock pour absorber ses connaissances ? Les présenter sur la place publique, prisonniers d'un pilori, les offrant à la cruelle vindicte populaire ? Car jamais jusqu'alors, un groupe n'avait présenté autant de similitudes avec un célébrissime dirigeable Anglais. Du moins, avec autant de talent. Au point où ils auraient pu se baptiser opportunément "Baby Zeppelin". Toutefois ... si l'affiliation saute aux yeux (aux esgourdes), à aucun moment ce quatuor de jeunots ne se contente de reprendre des plans et de procéder à un vulgaire et honteux collage. Ce qui, avec d'autres formations, s'est déjà produit par le passé.
C'est à croire que, petits, ils sont tombés dans une marmite ... pleine à ras bord de disques de Led Zeppelin. L'intégralité de la discographie, démos, bootlegs, prises alternatives y-compris. Ressortant ainsi du bain providentiel totalement imprégnés, (jusqu'à leur ADN), de ce riche univers musical. Leurs atomes ayant ad vitam eternam fusionnés avec l'onde vibratoire de l'aéronef.

       De la part de l'auditeur, un compréhensible réflexe pourrait l'inciter à éviter la galette, à la fuir comme la peste. Persuadé qu'il ne s'agit que d'un énième produit d'opportunistes sans scrupules et peu méritants. D'aucuns penseront qu'utiliser le patrimoine d'un des plus célèbres groupes de Heavy-rock de tous les temps est un sacrilège. Cependant, passé la surprise de la flagrante et pesante référence, il est juste d'admettre que cette seconde réalisation - ou premier vrai "long-player" - est vraiment bonne. Très bonne même. Et les compositions sont, dans l'ensemble, originales. La matière première est principalement du pur Led-Zeppelin, c'est indéniable, mais ces quatre habiles sacripants ont réussi l'exploit de faire du "Led Zep" sans se compromettre avec de simples "emprunts". Naturellement, et même si c'est moins évident que précédemment, quelques plans typiques de Page, Johns et Plant, ne manquent pas de surgir de temps à autre. Bien moins de Bonham, principalement en raison de la différence notable de force de frappe. Néanmoins, en concert, il se montre plus brutal et versatile, suivant et soutenant aisément les longues jams que le groupe est capable de prendre.

     Probablement que s'il n'y avait pas la voix singulière et haut perchée de Joshua, et ces intonations si distinctives, d'autres sources d'inspiration seraient apparues plus clairement. Notamment, celles d'une scène Californienne millésimée 60's, du Summer of Love, entre Janis Joplin et le Jefferson Airplane, ainsi que celles des premiers albums de Yes, du James Gang première version, de Fleetwood Mac ("Then Play On"), des deux premiers Rush, et du folk-rock Anglais. Le groupe avait d'ailleurs repris, avec maestria, "Meet On The Ledge" de Fairport Convention, osant même lui faire gravir un palier supplémentaire, en lui donnant plus de corps.
   En matière de reprise, ils se sont aussi fait remarquer par une bonne version du "A Change Is Gonna Come" de Sam Cooke. Soit deux reprises plutôt éloignées de l'univers de Led Zep et qui pourtant s'étaient totalement intégrées à la réalisation précédente : "From the Fires". Deux reprises très certainement incorporées pour se justifier, pour déclarer que leur musique n'est pas née uniquement de l'écoute attentive et soutenue de Led Zep. Une manoeuvre louable pour tenter de s'émanciper d'un imposant et lourd fardeau qui les a souvent desservis. Ils se réclament aussi de Bob Seger et de Jack White, deux icônes de Detroit.

   Pourtant, sur l'épique "Lover, Leaver (Taker, Believer)", ils tendent le bâton pour se faire battre  lorsque, sur le refrain, on perçoit un écho au chant, identique à celui que l'on perçoit sur le premier essai de Led Zeppelin. D'après Jimmy Page, un effet heureux mais involontaire, dû au manque d'argent et l'utilisation des bandes jusqu'à la limite ; usées jusqu'à en être presque translucides, la précédente session ne put alors être totalement effacée. Et le début du break est un faux départ sur l'un des mouvements de "Dazed and Confused". Provocation ? Hommage ? Ou résurgence incontrôlable d'une trop forte influence ?

     Amusant aussi que Samuel, le bassiste, joue aussi des claviers ... dans le style et les couleurs justement de John Paul Jones. Il utilise un Hammond Sk2, considéré comme un excellent compromis et pouvant approcher du grain du B3. Clavier plus abordable, bien plus facile à transporter, avec des paramètres programmables et évolutif avec des mises à jour.
Il est heureux que Jacob ait jeté son dévolu sur la Gibson SG, et non la Les Paul. Mais, la SG, ne serait-elle pas la rencontre d'une Telecaster, première six-cordes de prédilection de Page, et d'une Les Paul ? ... 
Côté matos, il emploie aussi une Stratocaster pour la slide et principalement un ampli Marshall Astoria CME ; une édition limitée uniquement disponible dans un grand magasin de Chicago, ou en occase, conjuguant les trois modèles Astoria. Pour un son "garanti pur vintage". Les effets ne sont utilisés qu'avec parcimonie.

D'après ses dires, s'il ne nie pas les influences évidentes qu'on leur prête, son premier coup de foudre musical déterminant, serait la découverte de Cream par un documentaire à la télévision avec un Clapton. Une fable inventée pour se dédouaner ? Car il ne semble pas y avoir de traces marquantes de Clapton dans son jeu. Au contraire, dans une certaine mesure, on pourrait avancer qu'il s'est penché sur le jeu de Peter Green, de Joe Walsh, de Martin Barre, d'Andy Powell, voire de Mike Ralphs.

     Probablement dans un effort conjuguant le besoin d'élargir leur horizon et celui de trancher avec les réalisations précédentes, Greta Van Fleet débute leur album en s'ouvrant au Rock-progressif Anglais - en restant toujours dans leur période de prédilection en matière d'inspiration, celle courant de 1968 à 1973 - avec "The Age of Man". Le morceau est légèrement imbibé d'un psychédélisme flamboyant et d'aspirations bucoliques, et les paroles témoignent d'une sensibilité et/ou d'une éducation chrétienne (ou affiliée). Avec en sous-entendu, le jour du jugement dernier. La formation semble vouloir couper le cordon ombilical.

    Mais chassez le naturel et il revient au galop. En l'occurrence, ici, avec "The Cold Wind" qui plonge profondément dans le monde de Jimmy Page. Josh, inconscient, envoie même deux "Ooh Yeah" trademark "100 % Plant", offrant ainsi sur un plateau d'argent du grain à moudre à leurs détracteurs.
Comme le beau "The New Day" qui pourrait être l'enfant de "Shining in the Light" (de l'aventure Page-Plant) et de "Tangerine". Différent, ne ressemblant vraiment ni à l'un ni à l'autre, mais où pourtant il a cet indéniable air de famille.

   Paradoxalement, sur ce disque, la voix de Joshua paraît un brin plus juvénile qu'auparavant, tout en essayant de se faire plus abrasive. Au point qu'elle s'égare, à quelques rares occasions, dans des fréquences un tantinet stridentes. Plus particulièrement sur "The Age of Man", où, à certains passages, la voix paraît forcée, et "When the Curtains falls". Alors qu'à d'autres moments, elle mue totalement pour devenir le vecteur de célestes échos.
Comme sur "Brave New World", un sombre Heavy Rock-progressif , alternant un spleen moite et des éclaircies, donnant un aperçu du premier cercle céleste.
 "... they can see the ashes and the acid rains. It turns to dust before my very eyes and it chokes to death within the smog it lies ... Kill fear, the power of lies, for we will not be hypnotized".

   L'album est clôturé de fort belle manière par une ballade folk-rock, "Anthem", qui, comme au début, tente d'estomper l'imposante ombre du dirigeable. Sauf si l'on considère que des groupes comme Steeleye Span, Fairport Convention et Renaissance ne sont que des ersatz .

     La troupe a bien assimilé la recette "Led Zeppelin", cet art de savoir marier les temps forts et tempétueux avec les accalmies, ce fameux "clair-obscur" cher à Sir James Patrick Page. Cette façon de trouver le juste équilibre entre des guitares sèches, ou "clean", avec d'autres poussées par un overdrive tempéré. Ou en incorporant judicieusement des nappes ondulantes d'Hammond.
 Avec un penchant plus fort pour la période 70-73 regroupant les albums "Led Zeppelin III", "IV - (Zoso)" et "Houses of the Holy", le Blues y étant moins présent.
Ils ont aussi bien compris qu'il n'est nul besoin de s'armer d'une vorace distorsion pour jouer du Heavy-rock, ni d'envoyer à tous les coins des soli à l'emporte-pièce.
S'il est évident - pour tout le monde - que l'aérostat londonien demeure l'influence majeure, de nombreux autres éléments viennent enrichir, même insidieusement, leur musique. Il paraîtrait que leurs parents, riche d'une copieuse discothèque, leur ont donné une éducation musicale allant du Blues au Rock des années 70 en passant par le Folk.
   D'ailleurs, ce n'est jamais aussi "sombre" comme la musique de Jimmy Page peut l'être parfois. Greta Van Fleet véhicule l'optimisme d'une jeunesse qui veut bien croire en de jours meilleurs. Et surtout d'une jeunesse par encore percluse de désillusions. D'autant que pour eux, depuis l'année dernière, l'avenir semble s'annoncer sous d'assez bons auspices.

     On peut reprocher aux paroles de manquer de profondeur et de maturité. Dans un désir de chercher à combiner des sujets hermétiques et mystiques à la Page-Plant à un esprit bon enfant et pacifiste à la Free, les chansons tombent souvent dans un gentil et naïf conglomérat simpliste d'imageries sorties du cerveau d'un apprenti hippie cherchant à étaler un vernis de connaissances ésotériques. Rien que le nom de l'album. Un peu comme les débuts de The Cult. Une approche certes ingénue mais qui ne cherche qu'à prêcher une bonne et saine parole, dans un élan utopiste et optimiste.
"With the news, there's something every day. So many people thinking different ways, you say. Where is the Music ? A tune to free the soul. A simple lyric to unite us all" ("Anthem").

     Mais crénom d'Zeus, c'est une sacré réussite. Et plutôt que de se perdre dans des querelles de clocher, on devrait plutôt se réjouir qu'une jeune génération se voue corps et âme à pérenniser - ou faire revivre - une musique héritée des années 60-70. Une saine et fondamentale musique, authentique, imperméable aux diktats de l'industrie musicale. Là est l'essentiel.
Sachant de plus que cette fratrie n'est pas le fruit d'un télé-crochet ou autre télé réalité. Cela fait cinq années qu'elle se produit autant que possible, dans un rayon partant de la ville de Saginaw (non loin de Detroit, juste au-dessus de Flint), et s'élargissant au Michigan et au Middle-west, peaufinant progressivement sa musique sur scène (les sets pouvant approcher les trois heures).


    Ce qui est amusant, ou attristant, c'est que l'on a pu lire une quantité de critiques au vitriol sur cet album, alors qu'il n'était pas encore disponible. Un jugement hâtif basé sur "l'écoute" d'extrait(s) sur le net. On leur a même reproché de ne pas être aussi bons que Led Zeppelin. (?) (faudrait savoir)
Ça risque d'être le groupe qu'il est de bon ton de descendre, comme ce fut le cas il y a des années avec Kingdom Come (on s'était aussi moqué de Dave King, qui ne dut son salut qu'au statut de son employeur Fast Eddie Clarke).
Si on ne doit pas s'inspirer de la musique d'autrui, alors pourquoi a t-on a été aussi indulgent envers Oasis ? Ou les Black Crowes ?
A préciser que, généralement, ces chroniques s'accordaient pour ne pas apprécier un retour (?) à une musique typée années 70. Un ou deux, ça passerait, mais là ça ferait trop. Pourquoi trop ? Serait-ce une chasse gardée, ou quelque chose que l'on déclarerait désuet ? Non, ce qui doit mettre en rogne ces acerbes critiques, ce sont les belligérants, qui en dépit de leur jeune âge - autour de la vingtaine -, affichent déjà un talent confirmé dans l'art de la composition et de l'interprétation. Peut-être pas des virtuoses sortis de Berklee ou du G.I.T., mais des musiciens soudés, agissant comme un seul homme, en totale osmose ; au service de la musique, et non de leur ego. Résultat d'un travail acharné ou simplement de forts liens familiaux, sachant que Joshua, Jacob et Samuel sont frères. Quant au quatrième, le batteur, Danny Wagner (1), c'est un ami d'enfance qu'ils connaissent depuis leurs plus jeunes années à l'école primaire.

     Évidemment, chacun est libre de snober ce groupe. Ou simplement de ne pas l'apprécier. Si l'on se borne à faire la comparaison, ce n'est pas à la hauteur des albums de Led Zeppelin (la barre est très haute, difficilement accessible, mais rappelons que la musique n'est pas une compétition - même si des médias télévisés tentent de faire croire le contraire -).
Mais, personnellement, cet "Anthem of the Peacefull Army" me met en joie. Et je ne m'en lasse pas.

P.S. :  Il paraît qu'Elton John et Nikki Sixx adorent, et qu'un certain Robert Plant a reconnu qu'ils étaient bons. Même s'il a plus tard rajouté qu'il y avait à Détroit, un "Led Zeppelin I" dont le chanteur avait volé la voix d'une personne qu'il connaissait très bien. Parlait-il de Geddy Lee ?


(1) Il y a un autre Wagner qui a grandi à Sanigaw : Richard "Dick" Wagner, connu pour son travail auprès de Lou Reed et d'Alice Cooper et aussi leader de The Frost, groupe de proto-hard de la fameuse scène de Detroit.



🎶♩🌌🌄

4 commentaires:

  1. Ahah...Geddy Lee, le bassiste chanteur de Rush. J'ai tout de suite pensé à lui en entendant Greta V F.
    J'avais tilté sur ces mômes avec leur EP From the Fires, surtout les 2 derniers morceaux( Talk on the street et Black smoke rising). Là pas de psychédélisme ou de "progressif" à la con...Juste des riffs qui envoient, du rock quoi...
    Sinon Dick Wagner, le "jumeau" de Steve Hunter, c'est bien simple, j'écoute des fois Rock and roll animal que pour ces 2 là

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    1. "Talk On the Street" et "Black Smoke Rising" sont phénoménaux. Deux morceaux addictifs que j'ai dernièrement écoutés en boucle pour remplacer la caféine.

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    2. Mmmmh...J'aime beaucoup la Gibson SG/Les Paul Standard "Cherry" qu'utilise Jake. Ça doit valoir une blinde ce petit bijou!!??...

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    3. Bravo ! Bien, vu. Il s'agit bien d'une SG encore appelée "Les Paul Standard", car c'est une authentique vintage de 1961. Et en conséquence, elle ne doit pas être donnée.
      Je ne sais pas si c'est un héritage (papa jouait également de la guitare et a commencé à lui montrer les premiers rudiments alors qu'il n'était qu'un bambin pas plus haut que trois pommes) ou les cinq années sur la route qui lui ont permi d'acquérir ce petit bijou.
      A moins que cela soit grâce au contrat de pub qu'ils ont obtenu pour l'exploitation de "Black Smoke Rising".
      En dépannage, il a une Gibson SG du custom shop.

      (... et pour ma part ... je vais encore attendre un peu pour changer les cordes ...)

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