lundi 12 novembre 2018

EFFETS SECONDAIRES de Steven Soderbergh (2013) – par Claude Toon



Jude Law (Dr Jonathan Banks) face à Catherine Zeta-Jones (Dr Victoria Siebert)
Steven Soderbergh a toujours montré son attrait pour explorer les dérives sociétales, mais pas de manière didactique ou encore documentaire comme Michael Moore ou Gus van Sant. Effets secondaires pourrait apparaître comme un réquisitoire contre la surconsommation d'antidépresseurs et autres anxiolytiques pour tenir le coup dans un monde pris de folie… Le cinéaste aborde sous un tout autre angle le sujet via un solide thriller à la Hitchcock.
Les médicaments, le mirage du bien être chimique, la spéculation et les luttes sans merci entre laboratoires seront au centre de ce récit qui va se révéler, non pas un mélodrame sur la maladie mentale, mais un polar au goût de psychopharmacologie. Certes Soderbergh ne fustige en rien le service offert aux patients atteints par le mal être, mais attaque en règle le manque d'éthique de certains psy et de biochimistes âpres au gain… L'habilité du cinéaste est de traiter son sujet à travers un thriller à l'intrigue bien serrée comme on dirait d'un expresso dont la caféine est déjà un… psychostimulant.
Le film est dans la logique de la thématique chère au réalisateur de Traffic, Erin Brockovich, seule contre tous ou encore de Contagion : observer et enquêter pour faire surgir la vérité sur le commerce des médocs, des poisons répandus dans la nature et dans nos corps, les drogues, quitte à se brûler les ailes. L'enquêteur n'est pas un flic mais un psy (Jude Law). Honnête ou pas ? On verra. Fidélité aux acteurs, on voyait déjà Jude Law en gourou infâme vanter les mérites du forsythia pour endiguer une pandémie mondiale terrifiante de réalisme dans Contagion.

Emily et Martin en quête de la pilule miracle
Martin Taylor (Channing Tatum) retrouve sa jeune et jolie épouse Emily Taylor (Rooney Mara) après quelques années sous les verrous. Martin n'est pas un tueur, mais un boursicoteur indélicat… Cache ta joie Emily ! L'épouse affiche une indifférence diaphane qui montre que la dépression la ronge depuis que le FBI a brisé son univers doré en embarquant Martin. Elle confie son spleen à droite à gauche avant de franchir l'irréparable… Un soir elle lance sa voiture façon fast and furious sur le mur en béton d'un parking sous-terrain…
Miraculée, elle se réveille courbatue et pleine d'ecchymoses à l'hôpital. Le psychiatre de garde, Jonathan Banks (Jude Law), n'est pas dupe de cette tentative de suicide, même si comme souvent dans ces circonstances, Emily esquive en faveur d'un accident de freins. Jonathan lui propose une psychothérapie et un traitement antidépresseur classique. Ils doivent se revoir.
Lors des premières consultations, Jonathan apprend qu'Emily était déjà suivie par le Dr Siebert (Catherine Zeta-Jones) qu'il connaît bien. Côté pilule Jonathan commence classique : Effexor, Zoloft; une farandole de prescriptions similaires qu'y n'améliorent guère la mélancolie morbide d'Emily mais provoque divers "effets secondaires" dont des nausées et une libido en berne… Des médicaments qui ont mauvaise réputation concernant les risques de pulsions suicidaires (ce n'est pas un scoop du film). Emily est surprise en train de gerber par une amie qui lui conseille de demander un substitut en faveur de l'Ablixa, nouvelle molécule du bonheur, dont les spots télévisées garantissent un changement de vie en rose.
Mouais, bon, pourquoi pas… Jonathan Banks acquiesce. Il a montré son empathie envers ses patients. Notamment lors d'une scène pertinente avant d'examiner pour la première fois Emily. Scène où il rappelle sèchement à un flic butor qu'un jeune haïtien peut croire de bonne foi aux fantômes de par la culture vaudou qui l'a bercé toute son enfance.
Waouh, efficace l'Ablixa. Il ressuscite la préraphaélite Emily-Rooney : shopping, hyperactivité, bagatelle orgasmique avec Martin qui n'en croit pas ses… ! Bien sûr, Emily a cependant quelques absences, souffre de somnambulisme passager, exemple : foutre la musique à fond à deux heures du mat'. Martin et sa chérie s'en inquiètent auprès de Jonathan, mais l'éternel rapport bénéfice vs effets secondaires l'emporte. Emily cuisine, découpe des poivrons avec un couteau de Serial-Killer et, les yeux dans le vague, plante ledit couteau dans le ventre et le dos de Martin qui entrait tout guilleret dans la cuisine…

Aie, gros pépin, le film vient de basculer dans la folie meurtrière !

Nous sommes aux USA. Les procédures judiciaires commencent : Emily ? meurtrière ou agissant inconsciemment sous l'effet du médicament ? Et Jonathan ? Coupable de négligence, le somnambulisme étant décrit comme un risque potentiel sur la notice "à lire attentivement".

Emily au bord de la crise de nerf... Soûlante cette fille...
Renversement de situation : passage de la tragi-comédie de  mœurs névrotique vers le polar bien noir. Les médias (merdias) s'en donnent à cœur joie. Pendant 1H30, Soderbergh, à travers une intrigue dense, va nous dépeindre l'Amérique des lobbies. L'ordre des médecins, les avocats, les labos pharmaceutiques, les confrères, etc. Chaque confrérie sectaire et lâche se bat pour préserver son territoire : la réputation et le pognon. A Wall Street, l'action du labo qui produit l'Ablixa s'effondre. La pilule de la joie de vivre est devenue diabolique. Jonathan doute, il doute même beaucoup face à cette effervescence. Sa quête de la vérité peut commencer, mais quelle vérité face à l'évidence ? Il est prêt à en payer le prix fort : plus d'amis, la clientèle qui s'évade, sa compagne aussi, exaspérée par l'obsession de Jonathan. Et puis quel jeu trouble joue le Dr Siebert, complice et rivale de Jonathan. J'ai l'impression d'écrire une 4ème de couverture…
La vérité 1H20 plus tard sera surprenante, effrayante et nauséeuse (un effet secondaire courant soi-dit en passant).
La direction d'acteurs est au top. Un Jude Law moins caricatural que dans Contagion. Son empathie a-t-elle des limites ? Il tombe en enfer mais résiste ! Rooney Mara, énigmatique et fragile. L'actrice a confirmé son talent pour souligner les ambiguïtés de ses personnages : Thérèse, la petite vendeuse gay face à Cate Blanchett dans Carol, prix d'interprétation à Cannes, Lisbeth Salander relookée dans le remake de Millenium de David Fincher* pour se distancier de l'excellente prestation de Noomi Rapace  (Fincher aurait auditionné 2000 actrices dit-on). Catherine Zeta-Jones trop sûre d'elle, suffisante, tête à claques, femme trouble dans tous les domaines : du charisme à la sexualité…
Et puis j'adore la mise en scène "à l'ancienne" (un compliment). Des plans biens cadrés, pas d'extravagances dans le jeu de la caméra, vous savez : les kaléidoscopes frénétiques qui filent des migraines (les plans de 0,2 seconde en caméra portée). Les visages occupent les cadrages pour ciseler les expressions. Soderbergh a été un pro du montage, et la lisibilité de la trame à rebondissements incessants de ce drame en bénéficie.

* La suite avait été abandonnée par Fincher face aux exigences financières de Daniel Craig. Le duo reprendrait du service sous la direction de ?? pour 2019… Cool !

1H46 – format 2:35



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire