Haaa ... Encore une fois, le blog se penche sur un artiste qui n'a guère eu les faveurs des médias. Ou si peu, alors que sa carrière remonte aux années 80, son premier succès en temps que compositeur en 1995 et son premier disque en 2000. C'est que cet homme là s'était toujours bien gardé de se faire remarquer par des frasques, préférant mener une carrière loin de tout battage médiatique. Un homme simple. C'était un gars fidèle qui aimait travailler avec les mêmes personnes, les liens de confiance et d'amitié lui étant aussi nécessaires que la musique.
Mark Otis Selby était né à Enid, "petite" ville de l'Oklahoma de moins de 40 000 habitants à sa naissance, en 1960.
Auteur, compositeur, interprète, chanteur et multi-instrumentiste, après diverses expériences musicales, (dont un duo acoustique "Batch & Otis", avec violon, harmonica, banjo et guitares), il retrouve son frère Monte Selby, un enseignant très impliqué dans la vie scolaire (et qui sera plus tard apprécié pour son engagement dans l'initiation de la musique aux enfants). Ensemble, ils forment The Selby Brothers's Band, qui se fait remarquer et est appelé à se produire à Nashville. Une étape importante car Mark s'y fait remarquer et il lui est proposé un contrat d'enregistrement.
Deux 33 tours naîtront de cette période : "One Way Ticket" en 1984 et "One Of These Days" en 1986. Deux disques introuvables qui n'ont toujours pas fait l'objet d'une réédition CD.
Lors de cette décennie, il déménage pour s'installer à Nashville où il devient un acteur de la scène local. Il y fait la connaissance de Tia Sillers qui devient sa compagne. Egalement auteure et compositrice (et plus tard aussi auteure de livres sur la musique), ils vont souvent travailler en étroite collaboration et offrir ainsi quelques hits à divers artistes. Une fois n'est pas coutume dans le show business où la tentation et les opportunités sont nombreuses, où l'incertitude, les déceptions, la pression d'un management ou d'un label, font que rares sont les couples qui durent. Celui de Tia et Mark Otis est un bel exemple. Sur la même longueur d'onde, se considérant comme des âmes soeurs, jamais ils ne se quitteront.
En 1991, après quatre années jalonnées de concerts et d'un disque en 1990, souhaitant marquer une pause et se recentrer sur l'écriture, Mark Selby démissionne des Sluggers (de Mark Selby & The Sluggers), un power trio qui avait gagné une certaine notoriété en Oklahoma et au Kansas.
Le grand public le découvre, indirectement, à travers la galette d'un jeune prodige de 18 ans où il co-signe trois chansons, dont une avec Sillers. Il s'agit de l'album "Ledbetter Heights" de Kenny Wayne Sheperd qui, en 1995, fait un carton - deuxième album de Blues le plus vendu de l'année et un single, co-signé par Selby et Sillers, dans le top 10 des ventes de Rock mainstream -.
Pour le deuxième chapitre de K.W. Sheperd, "Trouble Is ..." en 1997, il en co-signe quatre, dont "Blue on Black" (meilleure pièce de l'album) qui grimpe jusqu'à la 1ère place du billboard et y reste confortablement pendant dix-sept semaines (!). Le couple sera récompensé au même titre que Sheperd qui n'aura finalement apporté qu'un solo, certes inspiré.
Le couple Selby-Sillers gagne définitivement le respect de la profession avec un nouveau succès en 1999, "There's Your Trouble". Ce titre permet au trio de chanteuses Country pop, les Dixie Chicks, d'obtenir un Grammy Award.
Jimmy Hall, Kenny Rodgers, Wynonna Judd et Johnny Reid font aussi appel à leurs services, en tant que compositeurs et/ou musiciens.
Sur cette lancée, confiant en ses talents de compositeur grâce à des chansons qui se retrouvent dans les charts d'Amérique du Nord, on lui offre à nouveau l'opportunité d'enregistrer un album. Après dix années de silence discographique, il revient avec "More Storms Comin'". Publié par l'antique label indépendant de Blues, Vanguard Records, le disque est accueilli comme une bouffée d'air frais, avec son Blues-rock sans artifice, dépouillé, près de l'os, porté par une voix naturellement et légèrement enrouée ; comme si les cordes vocales étaient régulièrement caressées par des bouquets d'orties fraîchement cueillies. Foncièrement Blues, absolument Rock, mais néanmoins non dépourvu de mélodies.
Cette fois-ci, correctement distribué, et poussé par un succès naissant jusqu'à la vieille Europe, tout le monde s'accorde pour considérer ce "nouveau venu" comme un nouvel et sérieux espoir du Blues-rock. L'engouement est unanime des deux côtés de l'océan Atlantique.
Malheureusement, son emploi du temps est chargé et il faudra attendre trois années pour avoir droit à une seconde fournée de Blues-rock rugueux et sec comme un coup de trique. Un laps de temps un peu long pour un monde où la musique est devenue un simple produit de consommation. "Dirt" fait finalement moins d'effet. Pourtant, cet album représente certainement la quintessence de la musique de Mark Selby.
En fait, "Dirt" en avait déçu plus un, désolé de ne pas retrouver autant de riffs accrocheurs et de solide Blues-rock que sur le précédent. Pourtant, en réalité, il est plus intense. Certes, c'est plus épuré et chiadé, mais il est issu de - et s'adresse à - l'âme, alors que le disque antérieur vient plus des tripes. Ce qui fait une grande différence avec le Blues-rock de ses homologues, c'est que derrière une relative austérité, il y a une profonde mélancolie. Loin de vouloir se faciliter les choses en se contentant de reprendre des plans éculés, incoporer nombre de reprises à son répertoire, et jouer des soli toutes les deux mesures, il préfère écouter son coeur plutôt que de suivre à la lettre quelques préceptes des douze mesures.
avec son Epiphone Granada |
Il ne triche pas. Il se livre corps et âme.
Pour les inconditionnels du Blues-rock brut, entre Hard-blues tempéré et Rolling Stones, il y a toujours "One Man", "Reason Enough", "Willin' To Burn", voire "Unforgiven".
En dépit de l'électricité omniprésente, son Rock/Blues-rock trahit l'attrait pour les grands espaces, et un besoin de quiétude, voire d'une certaine solitude, à l'opposé de toute agitation urbaine. Comme si son Oklahoma natal et rural avait profondément et à jamais marqué son âme. Une saveur de terre, de poussière et de rouille enveloppe sa musique ; plus particulièrement sur ce "Dirt".
Pour élaborer son son, il utilise une vieille recette qui a fait ses preuves ; celle qui consiste à coupler une guitare électrique à une acoustique (ici, en l'occurrence, une Gibson J-45). La première pour l'épaisseur et la puissance, la seconde pour la définition. Cette dernière restant tout de même en retrait afin de ne pas pénaliser l'aspect "Rock" qui est essentiel.
Pour la facette "roots", lorsqu'il souhaite la relever, il inclut quelques notes de piano, voire de slide jouée au Dobro ; ou tout simplement en exploitant judicieusement les silences, laissant alors respirer la batterie qui, elle, est absolument boisée.
Il y a aussi une remarquable maîtrise des tonalités et du relief de sa guitare. Et derrière une apparente rudesse, il y a une évidente finesse. Tel un maître coloriste, il sait exploiter sa palette à bon escient et avec parcimonie. Ainsi, dans un même morceau, peut surgir un instant un tremolo paresseux (Danelectro Tuna Melt), un profond écho (Electro Harmonix Memory Man), une slide rouillée, une disto granuleuse (Voodoo Lab Sparkle Drive), une overdrive épineuse (Tube Screamer TS9 et Barber Electronics Directdrive) ou une douce ondulation (Univibe).
En matière de grattes, l'homme privilégie celles sans chi-chis : Gibson Melody Maker, Telecaster 1960, Fender Relic Nocaster, Danelectro Silvertone, Epiphone Granada 60's. Plus une Stratocaster 65 et un modèle Strato Stevie Ray Vaughan, une Les Paul Special et une récente Les Paul Standard. Et côté amplis, c'est du tout Fender. avec une préférence pour les vieux modèles qui ont fait leurs preuves. Super Reverb de 1965 et un de 1967, Deluxe de 65, tête Bandmaster 68 et un Princetone de 66.
Les disques suivants, "Nine Pound Hammer" ou "Blue Highway", ne sont surtout pas à occulter. En fait, tous les disques de Mark Otis Selby sur Vanguard Records sont des perles à protéger dans un écrin des plus soyeux et des plus solides. Ce serait une gageure d'en écarter un seul.
Bien que tous ses disques (du moins ceux de ce siècle) aient été l'objet d'éloges, on s'interroge sur son manque de notoriété. Du moins en dehors d'un triangle constitué du Kansas, de l'Oklahoma et de Nashville. Cet homme aurait dû être accueilli comme le chaînon manquant entre Billy Gibbons (ère "Deguëllo" et "Tejas") et John Mellecamp, ou Willy DeVille et Keith Richards, ou encore John Fogerty et Clapton et Springsteen. Qu'aurait-il donc fallu ? Un clip largement diffusé ? Il n'en eut aucun. Une promotion à la hauteur de son talent ? Seul "More Storms Comin'" eut droit à un minimum.
En 2016, il est intronisé pour l'ensemble de sa carrière au Music Hall of Fame du Kansas, état où il s'est produit régulièrement (Enid est à moins d'une heure de la frontière du Kansas). C'est l'occasion de retrouver les Sluggers pour un petit concert. Mais Mark Selby est malade. Atteint d'un cancer, il décède le 18 septembre 2017, à 56 ans.
Aujourd'hui, Tia Sillers continue d'honorer sa mémoire et d'organiser diverses manifestations pour récolter des fonds pour la recherche de la lutte contre le cancer.
Brent Maher, ingénieur du son, producteur, compositeur (maintes fois honoré), dira plus tard qu'il a été honoré du temps qu'il a partagé avec Mark Selby. Il a passé avec lui des centaines d'heures de studio, et pas une seconde ne s'est mal passée. Il ajoutera qu'il était l'un des compositeurs et musiciens parmi les plus doués avec lesquels il a eu le plaisir de travailler. Il illuminait la pièce quand il y entrait. Les disques qu'il a produits pour lui restent parmi ses préférés (il a produit, ou co-produit, ses cinq disques studio). Les chansons étaient géniales, la guitare fabuleuse et quelle voix. Il l'a aimé comme un ami et il le sera toujours.
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