LES CHAUSSETTES NOIRES - la story, par Pat Slade

Les Chaussettes Noires, un rock qui a la patate!

Le rock’n’roll arrive en France et beaucoup de groupes vont profiter de la brèche ouverte pour devenir célèbres, mais certains arriveront au sommet plus rapidement que les autres.

L’habit ne fait pas le Claude Moine

Les 5 Rocks

Le rock battait son plein aux USA et en Angleterre mais en France nous en étions encore aux balbutiements, tel un nourrisson cherchant sa tétine. Les groupes existants copiaient outrageusement les grandes lignes musicales d’Elvis de Gene Vincent ou de Little Richard sans pouvoir y parvenir. Pourtant sur le nombre de groupe existant portant pour la plupart des noms les plus ridicules comme Les Bourgeois de Calais ou Hector et les Médiators (Hector plus connu avec le surnom «le Chopin du twist» fera une carrière solo plus importante), Les Mercenaire (Avec Papillon à la basse qui plus tard fondera le groupe Triangle), les Monégasques. Et aussi tout le bestiaire que le rock a pu compter avec Les Lionceaux, les Aiglons, Les Alligators, Les Loups Garous, Les Panthères, Les Pingouins, Les Vautours et cela jusqu’au jeu de mot avec Les Touistitis. J’ai l’air de me moquer de tous ses groupes alors que pas du tout ! Je trouve qu’il fallait être sacrément gonflé pour se jeter dans une aventure innovante où les conséquences étaient du domaine de l’inconnu. Mais quelques-uns arriveront à tirer leurs épingles du jeu comme Vince Taylor et ses Play-boys, Les Fantômes, Danny Boy et ses Pénitents, Les Pirates et surtout les deux têtes d’affiches qui se partageaient les beaux soirs du Golf Drouot, les Chats Sauvages avec Hervé Forneri et les Chaussettes Noires avec Claude Moine.

Nous sommes en pleine période des trente glorieuses et la jeunesse est atteinte d’un étrange virus avec la construction capillaire des Teddy boys anglais la «Pompadour» (La bananes en français) montée à grand renfort de brillantine et de Pento. Certain iront jusqu'à se laisser pousser les rouflaquettes et iront courir la gueuse dans les dancings et les concerts des MJC locales sapés de drape jacket et de suède Gibson shoes avec des semelles en crêpe (Qui plus tard seront remplacés par les Creepers) et bien sûr le rasoir de barbier dans la poche au cas où… ! 

Les Chaussettes Noires seront les pionniers et l’une des formations qui feront les premiers succès du rock français. La première trace date de 1959, un point de départ connu sous le nom de : les 5 Rocks. Comme beaucoup de groupes, c’est avant tout une bande de potes et surtout Claude Moine et Jean-Pierre Chichportich qui avaient déjà un pied dans le monde du travail et officiaient comme agents d’assurance. Tous les deux passionnés de Rock’n’roll, c’est en passant leurs soirées au Golf Drouot qu’ils croiseront un certain Jean-Philippe Smet. Ils décident de monter leur propre groupe avec quelques amis de vacances rencontrés à Royan dans le bungalow des parents du même Jean-Philippe Smet croisé plutôt au Golf. Le bassiste Aldo Martinez, les guitaristes Tony d’Arpa et William Benaïm vont ce joindre au chanteur et au batteur pour former Eddy Dan et les Danners. Eddy Dan était le pseudo de Claude Moine qu’il changera vite en Mitchell. 

Après quelques répétitions dans une salle paroissiale, le responsable va les enregistrer sur un magnétophone ; 4 titres qui resteront inédits pendant 40 ans. Eddy Dan et les Danners vont devenir les Cinq Rocks puis la mode l’anglicisme s'imposant : les Five Rocks. Leur stratégie artistique est de reprendre les grands standards américains et de les franciser. Eddy Mitchell va jouer les démarcheurs auprès des maisons de disques. Ils vont passer une auditions au studio Hoche et une reprise de Gene Vincent «Wild Cat» va impressionner un certain Henri Marchal qui les compare à des chats sauvages, plus tard il travaillera pour Pathé Marconi, la maison de disque qui lancera Dick Rivers et son groupe. 

Le titre de Joe Jones «You Talk too Much» qui deviendra en français «Tu parles trop» sera produit par Eddy Barclay en 1961. Le groupe est aux anges, mais la joie ne durera qu’un temps car Barclay va décider de faire sponsoriser le groupe par une marque de chaussettes (Stemm, en l’occurrence) afin de pouvoir pénétrer le marché radiophonique sans en parler à Eddy Mitchell et sa bande. Les Five Rocks sont rebaptisés à leur insu Les Chaussettes Noires par la maison de disque. Une fois la colère passée, ils vont accepter leur nouvelle raison sociale. Ils vont partir à travers toute la France lors d’une grande tournée rock’n’roll organisée par Europe 1 avec Johnny Hallyday.

Après les succès de «Tu parles trop» et «Be Bop A Lula», ils vont casser la baraque au propre comme au figuré avec «Daniela». Leurs concerts deviennent le refuge des blousons noirs qui profitent des concerts pour se battre et ruiner les salles de spectacle. L’année 61-62 sera l'une des plus prolifiques avec des succès comme «Eddy sois bon», «Dactylo rock» et «Le Twist du père noël». Pendant la même période, pas moins de trois albums sortiront dont le très connu : «Le 2.000.000 Disque des Chaussettes Noires» disque très recherché des collectionneurs. Pourtant aux yeux des générations plus anciennes, les Chaussettes Noires sont le signe d’une jeunesse violente. Eddy Barclay profite de la publicité tapageuse et du débordement du public de ses poulains pour avoir des retombés monétaires. Puis ils vont aussi se frotter au cinéma en jouant leurs propres rôles dans deux films «Comment réussir en amour» de Michel Boisrond et «Les Parisiennes» de Claude Barma et Marc Allégret. Eddy Mitchell prendra beaucoup de plaisir à jouer. Une première expérience d’acteur (Deux films en 1962 et trois en 1963) qui lui donnera des idées pour sa future carrière

Mais l’armée Française ne va pas oublier le groupe et ils vont partir les uns après les autres sous les drapeaux. Finis les Chaussettes Noires, bonjour les rangers ! Si beaucoup sont remplacés par d’autre musicien, l’absence d’Eddy pèse lourd dans la balance et le public ne l’accepte pas. Le chanteur profite de ses permissions pour assurer un concert ou un enregistrement. «Les Chaussettes ont des trous» écrira la presse de l’époque. Un concert à l’ABC  avec un Eddy Mitchell en tenue militaire se roulant par terre lui vaudront quinze jours d’arrêts pour manque de respect envers l’uniforme. Ce sera aussi l’époque ou il quittera le groupe pour se lancer dans une carrière solo. Privé de leur chanteur, le groupe essaiera tant bien que mal de subsister. Un dernier album sortira en mai 1963, Eddy Mitchell fera quand même acte de présence sur certaines plages du disque mais on trouvera aussi quatre titres instrumentaux pour combler les trous.

Le dernier concert aura lieu le 31 décembre 1963 à la Bourse du Travail à Lyon et, c’est après leur prestation qu’Eddy annoncera qu’il quitte le groupe. Il commencera sa carrière solo accompagné du groupe Les Fantômes alors que les Chaussettes Noires voient s'annuler leurs concerts en série. Ils feront quelques galas d’été en première partie. Le gong de fin sonnera en septembre 1964 avec quelques compilations à la clé, mais pas de nouveaux enregistrements depuis «Chaussettes Noires Party» de mai 63. 

Ces pionniers du rock en France auront quand même écoulé plus de deux millions d’albums en quatre années d’existence et marqueront aussi la fiction avec le groupe Ricky Banlieue et ses riverains, le groupe créé par Franck Margerin dans la bande dessiné du même nom. Des chaussettes qui seront reprisées avec un groupe comme Les Socquettes Blanches. Le Rock’n’roll de papa a encore de beaux jours devant lui.