MADEMOISELLE DE JONCQUIERES d'Emmanuel Mouret (2018) par Luc B.

MADEMOISELLE DE JONCQUIERES est le neuvième film de l’acteur scénariste réalisateur Emmanuel Mouret, croisement d’Eric Rohmer et de Buster Keaton, qui s’entoure à l’écran de nombreux rôles féminins. Ce qui est encore le cas ici. Mais cette fois, Emmanuel Mouret ne joue pas lui-même, le personnage du Marquis des Arcis revient à Edouard Baer.

Le film est adapté d’un passage de JACQUES LE FATALISTE de Diderot, dont Robert Bresson avait tiré LES DAMES DU BOIS DE BOULOGNE en 1945. C’est une histoire de vengeance, comme dans LES LIAISONS DANGEREUSES, auquel on pense souvent (version de Stephen Fears, 1988). Une aristocrate, Madame de la Pommeraye, cède aux avances d’un don juan, le Marquis des Arcis. Après un temps de folles passions, le Marquis se lasse, et va voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Avec une amie à qui elle confie sa peine et son orgueil bafoué, Madame de la Pommeraye met au point un plan pour se venger, avec l’aide de Madame de Joncquières et sa jeune et fraîche fille (Alice Isaaz, diaphane) qui ruinées, vendent leurs charmes aux hommes du coin.   

C’est film à petit budget, mais le manque de moyen est rattrapé par l’élégance et la précision qui se dégage de la mise en scène. Si chaque film en costume évoque inévitablement BARRY LYNDON, on serait tenté ici de penser aussi à Woody Allen, dans la manière de capter les personnages. Je pense à une scène dans un couloir, avec les va et vient du Marquis et de la Pommeraye, entrant et sortant du cadre, dans un ballet millimétré. Le premier plan du film est très beau, long plan en extérieur, magnifique photo, le couple d’abord invisible au lointain venant jusqu’à nous, jusqu’au premier plan, alors que le dialogue a déjà commencé. Typique du Woody. Dans la continuité, un panoramique cadre la demeure de Madame… Les hostilités peuvent commencer !

Film en costumes et dialogues d’époque (de Diderot, donc) mais rien n’est ampoulé, et ne sent la naphtaline. Grâce à l’interprétation de Cécile de France et Edouard Baer, leurs tons, la vivacité de leurs échanges, et une vision finalement assez contemporaine des relations femmes / hommes. Le film est bavard, sans doute un petit reproche à faire, au sens où, au cinéma, l’image peut parfois en dire autant qu’une ligne de texte, si on s’y prend bien. Le réalisateur ne se disperse pas, se focalise sur ses cinq personnages : un homme et quatre femmes. On sent petit à petit les bons sentiments faire place aux aigreurs, et ce pauvre Marquis des Arcis tomber dans le panneau. N’étant plus l’amant de Madame de la Pommeraye, il en reste toujours l’ami, du moins le pense-t-il, jusqu’à en faire sa confidente, sur les sentiments qu’il voue à la jeune mademoiselle de Joncquières. S’il savait…

Pour parler trivialement, cette garce va le mener par le bout de la queue... On s’interroge sur la réaction de la Pommeraye, qui semble bien prendre les choses, sur la relation entre le Marquis et la Demoiselle, tiendra, tiendra pas, et l’issue de leur nouvelle union. Et le brave homme aura-t-il conscience du piège qui se referme sur lui ?

Lumière et photo sont particulièrement travaillées, sans ostentation non plus, trop point n’en faut, les cadres précis. On remarquera tout de même quelques soucis de netteté, d’éclairage dans certains plans intérieurs, et un léger coup de mou dans l’intrigue au deux tiers. Avec l’union du Marquis, le film part dans une autre direction, on attend l’épilogue avec intérêt, d’autant que Mouret a modifié la fin par rapport au texte original.

Petit film, modeste, mais une belle fraicheur, du charme (les deux comédiens principaux y sont pour beaucoup) une belle réalisation, appliquée. Et c’est tout de même agréable d’entendre une langue aussi châtiée. Après LE RETOUR DU HEROS de Laurent Tirard, sorti cette année, c’est encore un film en costumes, d’un tout autre genre, qui avec un bon bouche à oreilles (faute de promo éléphantesque… y’a pas d’sou !) devrait remplir les salles. Espérons-le, car MADEMOISELLE DE JONCQUIERES est un marivaudage cruel, qui nous change du tout-venant.

couleurs  -  1h50  -  format scope.